En Laponie, par – 27 °C, le Ice hôtel propose ses chambres hypothermiques. Belles à en rester pétrifié. Une expérience forcément givrée.

Carnet de voyage en page 88.

Une jeune mariée en robe blanche s’avance solennellement au bras de son mari dans un interminable tunnel de glace réfrigéré. La scène n’est pas extraite du prochain film de David Lynch ou de la dernière exposition de Matthew Barney, le compagnon plasticien de Björk, mais d’une cérémonie au Ice hôtel, en Laponie. Chaque année, dans le petit village de Jukkasjärvi, dans le nord de la Suède, des voyageurs des quatre coins du monde viennent y tenter l’expérience hôtelière la plus troublante qui soit : loger par cinq degrés sous zéro dans l’une des 60 chambres ultrapolaires que recèle cet igloo grand format.

Intégralement taillé dans la glace, ce bunker palace biodégradable disparaît naturellement du paysage avec les fontes au printemps pour renaître six mois plus tard. Sa reconstruction débute chaque année à la mi-novembre lorsque la température du fleuve Torne chute suffisamment pour y tronçonner, et extraire à l’aide de grues, de titanesques blocs de glace. Une matière brute qui servira à la fabrication des piliers, meubles et autres sculptures qui décorent l’hôtel. Côté ingénierie, on assure ses arrières : la voûte principale de l’édifice qui abrite le hall, haut de 5 mètres et large de 6, est réalisée, elle, à l’aide d’une calotte d’acier en demi-arc de cercle, recouverte de neige et dégagée de la structure avant cristallisation complète. Il faudra au total 3 000 tonnes de glace et 30 000 m3 de poudreuse pour bâtir cet igloo d’une superficie de 4 000 m2 ! Outre les chambres, le complexe hôtelier comporte aussi une chapelle et un théâtre en annexes, réplique du  » Shakespearean Globe Theatre  » à Londres. La recette suédoise a fait école, la Finlande et le Canada ont désormais aussi leur Ice hôtel !

Jusqu’à l’aurore

Après un crépuscule boréal, d’une durée inouïe pour qui est habitué aux couchers de soleil méridionaux, la température extérieure chute à – 27 °C cette nuit-là. Une moyenne honorable, rassure la réceptionniste, triple doudoune de laine sur le dos et chapka en fourrure enfoncée jusqu’aux yeux. Grâce à de puissants générateurs, la caisse enregistreuse du front desk fonctionne à l’électricité, à l’instar de l’éclairage des lieux qui sublime la transparence de la matière. Pour ce qui est du chauffage, en revanche, il faudra repasser : ici, on se balade en combinaison et moonboots en Gortex, on se souhaite douce nuit emmitouflé dans un sac de couchage de haute montagne afin de se préserver des températures négatives qui peuvent atteindre les -8 °C.

Si les chambres les plus luxueuses rivalisent en imagination – sculptures zoomorphiques, piliers de glace anamorphosés, piste de chant intégrée… -, les lits, eux, sont tous moulés sur le même principe : caisson de glace, sommier en lattes de bois et peaux de rennes pour seul matelas.  » Pour dormir le mieux possible, ne vous couvrez pas trop « , recommande l’un des organisateurs. Mais il est capital de garder au chaud la tête qui évacue 65 % de la température du corps humain. Bonne chance !

En attendant de rejoindre sa chambre, on s’aventure du côté de l’Absolut bar (dont on trouve une réplique à… Milan !) où se sont déjà aventurés, apprend-on, les top models Naomi Campbell, Kate Moss ou le chanteur Van Halen. En l’absence de VIP, les plus sobres se satisferont d’un jus d’airelle, les autres opteront pour une vodka plus frappée que jamais et servie, comme il se doit, dans un cube de glace évidé… On a vu certains clients, incapables de trouver le sommeil, se réchauffer à l’Absolut bar à coups de pousse-café jusqu’à l’aurore.

Loger au Ice hôtel est un exploit hypothermique que l’on peut adoucir au comptoir ou, plus reposant, en se logeant dans l’un des chalets chauffés environnants. Un choix pour frileux qui n’auront jamais l’occasion d’exhiber fièrement leur diplôme certifiant en fin de séjour avoir survécu à l’expérience. Preuve que le Ice hôtel ne prétend pas miser sur le confort ; et s’il affiche un jour ses trois étoiles, ce sera à la manière des congélateurs.

Antoine Moreno

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