Le printemps-été 2005 est incontestablement celui d’Ozwald Boateng. Non content de signer sa propre ligne masculine depuis une douzaine d’années déjà, cet expert britannique de la coupe au scalpel est désormais le nouveau directeur de création de Givenchy Homme. Rencontre exclusive à Milan.

Carnet d’adresses en page 130.

Will Smith, Mick Jagger, Robbie Williams, David Bowie, Keanu Reeves, Daniel Day-Lewis… Tous ont craqué, un jour ou l’autre, pour les coupes impeccables et l’audace colorée des costumes signés Ozwald Boateng. A 37 ans, ce Britannique d’origine ghanéenne est devenu la nouvelle coqueluche des podiums masculins, surtout depuis que Givenchy lui a offert la direction artistique de sa ligne masculine. L’exploit est d’autant plus louable que c’est la toute première fois que la vénérable maison française confie son prêt-à-porter Homme à un créateur. Certes, la nouvelle a quelque peu surpris les Parisiens conformistes ( » Un héritier de Savile Row pour dessiner l’homme chez Givenchy ! « , s’offusquaient certaines mauvaises langues), mais lorsque l’on découvre le parcours de ce tailleur hors pair, il ne fait aucun doute que le choix s’avère judicieux.

Tombé dans la mode un peu par hasard à l’âge de 16 ans ( » Grâce à une copine qui m’a appris à faire des vêtements « , confie-t-il), Ozwald Boateng découvre avec bonheur cet univers qui lui est, de prime abord, complètement inconnu. En parfait autodidacte, il se prend de passion pour le costume et se forme à la meilleure école qu’il soit : Savile Row, le quartier réputé des tailleurs londoniens. Lentement, il observe, découvre, expérimente et apprend son métier sur le tas. Après un passage chez Tommy Nutter où il travaille en tant que tailleur, Ozwald Boateng se décide à lancer sa propre ligne de vêtements en 1994 qu’il médiatise, la même année, lors d’un défilé à Paris. Séduits, les initiés apprécient d’emblée son savoir-faire technique associé à un sens aigu des couleurs et du détail aussi personnel que moderne. Le buzz est lancé ; la marque commence tout doucement à faire parler d’elle.

Au fil des années, le créateur londonien affine son style et ses ambitions. En 1996, il reçoit le Prix du meilleur créateur masculin aux Trophées de la Mode à Paris. Suivi, quatre ans plus tard, de la récompense équivalente aux British Style Awards de Londres. Les points de vente se multiplient, les people commencent à se bousculer pour ses créations aussi raffinées que chatoyantes, et en 2002, le créateur britannique concrétise l’un de ses rêves en installant son siège principal à Savile Row, le quartier des tailleurs renommés qui l’a révélé à Londres.

Fort de ses trois boutiques en nom propre (en Grande-Bretagne, en Allemagne et au Japon) et de quelque 300 points de vente dispersés à travers le monde, Ozwald Boateng aurait pu se contenter de développer calmement sa marque au gré des inaugurations de boutiques et des défilés. Mais voilà, l’homme aime les défis, surtout lorsqu’ils dégagent un léger parfum de conquête. Et quand Givenchy le contacte en 2003 pour prendre en main toute la création de sa ligne Homme, c’est donc avec un plaisir non dissimulé que le Britannique relève le pari. Objectif de la célèbre maison française : doubler les résultats de son département masculin en moins de quatre ans avec une collection aussi classique qu’originale. Première échéance : le printemps-été 2005 qui, de l’avis général, a déjà conquis le parterre des spécialistes par le biais de ses silhouettes impeccablement coupées.

Alliant parfaitement son goût de la modernité à son sens certain de la tradition, Ozwald Boateng fait aujourd’hui partie des créateurs qui comptent et qui montent. En exclusivité pour Weekend Le Vif/L’Express, ce gentleman charmeur à la dégaine d’enfer a accepté de faire le point sur sa propre collection et ses nouvelles fonctions.

Weekend Le Vif/L’Express : Depuis votre collaboration avec Givenchy, vous sentez-vous aujourd’hui un peu Français ?

Ozwald Boateng : Non, pas du tout ! Je suis comme je suis. Je respecte évidemment l’esprit français quand je travaille pour la maison Givenchy comme je respecte d’ailleurs les différentes cultures qui m’entourent. Je les aime et je pense que cela se voit dans mon travail. Mais je ne me sens pas Français pour autant ! En fait, toutes les cultures du monde m’intéressent et m’influencent fortement dans mes créations. Chaque fois que je dessine une collection, je ressens l’influence des parties du monde que j’ai visitées. La Russie était, par exemple, fort présente dans ma collection précédente de l’hiver 04-05…

La collection printemps-été 2005 de votre propre marque a, elle aussi, un petit goût étrange venu d’ailleurs. Quel message souhaitez-vous faire passer à travers ces silhouettes ?

C’est une collection très importante pour moi parce que c’est la première fois que je présentais mon travail à Milan dans la semaine des défilés. En fait, cette collection repose sur le concept de l’American Dream. Chaque fois que je vais aux Etats-Unis, le message est clair : il y a une foule d’opportunités à portée de main et donc j’essaie de comprendre ce qu’est vraiment cet American Dream. Et puis, en y réfléchissant, j’ai fait le lien entre l’American Dream tel qu’on le perçoit habituellement et le sens de la spiritualité que l’on trouve chez les Indiens d’Amérique. J’ai d’ailleurs fait un film sur l’idée d’attraper un rêve et j’ai donc voulu montrer la possibilité de capturer un rêve dans cette collection. Elle est très inspirée par ça…

Le maquillage est fort présent dans cette collection. Ne porte-t-il pas finalement préjudice aux vêtements ?

Ce que vous dites est intéressant, mais je ne vois pas les choses de cette façon. Si j’ai mis toute cette couleur sur le visage des mannequins, c’était pour leur donner une forme de pouvoir. Et comme cette collection est très forte et très masculine, je pense que cela se justifiait. Et puis, je vous rappelle qu’il s’agissait de mon premier défilé à Milan, donc j’ai voulu qu’elle ait un gros impact, notamment par le maquillage.

Cette saison printemps-été 2005 est aussi primordiale pour vous : elle marque vos débuts à Paris chez Givenchy…

Tout à fait ! Le challenge de cette collection consistait à donner une nouvelle approche du gentleman français. Le style et l’élégance d’Hubert de Givenchy m’ont d’ailleurs aidé dans mes recherches. En fait, il doit toujours y avoir un message clair chez un créateur. Il est important de savoir ce qu’il veut exactement définir. A Paris, c’était très clair. L’idée était de faire avec Givenchy quelque chose de classique, de sophistiqué, de luxueux… Quelque chose d’unique !

Précisément, comment travaillez-vous selon que vous créez pour Givenchy ou pour votre propre marque ?

Il s’agit de deux états d’esprit complètement différents. Quand je travaille pour ma propre collection, je ne change strictement rien à mes habitudes de création qui sont tout de même là depuis une quinzaine d’années. C’est toujours la même énergie ! En revanche, quand je suis à Paris, je suis à 100 % dans un environnement Givenchy. C’est une tout autre façon de penser. Bien sûr, j’ai toujours une approche design, mais je suis malgré tout détaché de ma propre vision habituelle. Car je dois respecter l’esprit de la marque et surtout l’héritage. Si vous ne respectez pas les traditions, elles meurent et vous ne faites plus rien de bon. Mais si vous prenez ces traditions en compte, elles vous donnent des fondations solides et une plate-forme phénoménale pour créer quelque chose de nouveau. Et chez Givenchy, cette plate-forme est la notion même du gentleman français. Il faut que je la respecte pour mieux l’interpréter à ma façon.

Y a-t-il malgré tout un point commun entre l’homme selon Ozwald Boateng et votre homme étiqueté Givenchy ?

Chez l’un comme chez l’autre, il y a toujours ce désir de prendre les traditions û britanniques ou françaises û et de trouver un moyen moderne de les exprimer. Le point commun consiste en fait à prendre les classiques pour leur donner une nouvelle énergie, une nouvelle vie, bref une modernité à travers les matières, les petits détails ou l’utilisation de la couleur. Mais pour moi, l’important est surtout de trouver ce côté magique collection après collection. Je fais confiance à ce que je ressens. C’est très important. Quand on ne le fait pas, on prend la mauvaise direction et la créativité s’en ressent.

Pourriez-vous définir le style Ozwald Boateng en trois mots ?

Traditionnel, moderne et sexy. ( Il hésite.) Ou plutôt traditionnel, moderne et beau. Ce mot est plus approprié. Oui, c’est cela : mes collections sont belles, on ne peut pas y résister ! J’aime bien cette notion du Beau. Aujourd’hui, les hommes veulent vraiment de beaux vêtements. Des vêtements qui expriment leur masculinité, mais avec toutefois un sentiment féminin. Il n’y a rien de mal à ça !

C’est la fameuse  » metrosexual attitude  » dont on a déjà beaucoup parlé…

Exactement ! Nous y sommes enfin arrivés et, personnellement, j’ai envie de participer pleinement à ce mouvement. Je veux donner une voix à ces hommes-là ! J’ai envie de leur dire qu’ils ont la chance d’avoir aujourd’hui les mêmes options vestimentaires que les femmes.

A ce propos, vous créez des vêtements pour les hommes, mais vous ne leur avez pas encore imaginé de parfum alors que, paradoxalement, vous venez de créer un parfum pour des femmes qui ne peuvent bizarrement pas encore s’habiller en Ozwald Boateng !

Parce que je suis fou ! Disons que je ne suis pas encore prêt pour donner une collection aux femmes, mais au moins, je peux déjà leur offrir un parfum. En fait, c’est faux : je suis plus prêt que jamais mais je dois d’abord trouver le bon partenaire. Je ne peux pas faire cela tout seul. J’ai besoin de support. Donc, je cherche le bon partenaire. Mais je vous le confirme : je suis bel et bien prêt et il y aura donc, à moyen terme, une ligne Femme chez Ozwald Boateng.

Cela vous aurait-il plu de signer la collection Femme chez Givenchy ?

C’est une question intéressante. En fait, j’ai toujours été attiré par le prêt-à-porter féminin. Au stade où je suis arrivé maintenant, je pense que je peux sincèrement franchir le cap, mais je préfère le faire pour ma propre ligne. Je pense que je pourrais transcrire très facilement ce que je fais pour l’homme vers la femme. C’est très naturel et, encore une fois, je pense qu’il est temps.

Vous faites exception dans le monde de la mode masculine : vous êtes un père de famille entouré de créateurs gays ! Cela rejaillit-il sur votre façon d’aborder le vêtement ?

Effectivement, je suis plutôt unique ( sourire) ! Mais je vis comme ça. Je suis comme je suis. Je fais ce que je fais. Cela dit, je respecte tout le monde, parce que c’est un business très dur. Il faut se battre en partant de rien tous les 6 mois pour arriver à créer quelque chose. C’est presque une odyssée instinctive dans laquelle il faut garder la foi.

Aujourd’hui, quelle est votre plus grande fierté après tout ce chemin parcouru ?

Justement, ce sont mes enfants ! C’est ce qui donne vraiment un sens à la vie. J’ai un fils de 2 ans et une fille de 5 ans qui, comme leur mère, n’arrêtent pas de me demander de leur faire des vêtements ! Là aussi, je suis prêt et c’est juste une question d’opportunité.

Avez-vous une devise ?

J’en ai quelques-unes. J’ai celle-ci de mon père que je trouve très bien :  » Un problème n’est un problème qu’à partir du moment où vous le considérez comme tel.  » Mon père disait aussi ceci et c’est une pensée qui m’a d’ailleurs toujours poussé à continuer :  » Si tu crois en quelque chose à 100 % et pas à 99,9 %, cela peut se réaliser.  » Et croyez-moi, il y a effectivement une grande différence entre les 99,9 % et les 100 %.

Propos recueillis par Frédéric Brébant

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