Les Belges Myriam et Guy Ullens ont créé, à Pékin, dans une ancienne usine d’armement, le tout premier musée d’art contemporain en Chine continentale. Pour son exposition inaugurale, l’UCCA présente une rétrospective de la nouvelle vague chinoise des années 1980. Notre reportage exclusif.

Dimanche 4 novembre dernier, au premier étage de l’Ullens Center for Contemporary Art (UCCA), à Pékin… L’artiste chinois Yu Youhan, signe, dans un silence religieux, une série limitée de sérigraphies de sa toile 1986-3. L’original, lui, est présenté dans la grande nef de l’UCCA, le centre d’art contemporain rêvé et financé à coups de millions d’euros par le baron belge Guy Ullens de Schooten et son épouse Myriam.

Ouvert officiellement au public dès le lendemain avec l’exposition ’85 nouvelle vague, l’UCCA est la première institution muséale – au sens le plus complet et le plus noble du terme – à voir le jour en Chine continentale. Une véritable prouesse… applaudie par des centaines d’invités chinois et étrangers, séduits à la fois par le lieu et par l’exposition inaugurale. Quant aux spécialistes, tous s’accordent aussi pour saluer l’exploit : réunir autant d’£uvres-clés de cette période, c’est du jamais-vu !

Il a fallu en tout une quinzaine de mois à Myriam et Guy Ullens pour transfigurer un ancien atelier d’armement en musée de niveau international. Pour mener à bien leur projet, ils ont fait appel à l’architecte français Jean- Michel Wilmotte, dont l’une des spécialités est précisément la transformation de lieux anciens et historiques en espaces contemporains.  » Nous avions à notre disposition deux grandes nefs construites par des Allemands de l’Est dans les années 1950 et totalisant quelque 6 500 m2, explique le créateur. Nous avons d’ailleurs gardé deux éléments du passé qui se font face dans la première nef : la grande cheminée en briques qui s’envole haut dans les airs et une sorte de réservoir. L’enjeu d’un tel musée n’est pas uniquement d’abriter les 1 500 £uvres de la fondation Ullens, mais bien d’en faire un lieu d’échanges, de création. Travailler avec d’autres musées et obtenir de la part de grandes institutions ou de collectionneurs de premier plan le prêt d’£uvres majeures exige, entre autres, une climatisation et une lumière de grande qualité. « 

Jean-Michel Wilmotte a focalisé ses interventions sur la première nef, celle qui accueille à la fois des expositions mais aussi un auditorium, une cafétéria, une boutique.  » Sans altérer la structure et ses successions de travées en béton, poursuit-il, nous avons créé de toutes pièces une mezzanine qui permet d’accueillir les indispensables bureaux, des lieux de conférence et aussi une bibliothèque et un centre de recherches ouverts aux étudiants, aux artistes et à tout amateur. « 

La deuxième nef n’a subi aucune modification. Elle abrite, jusqu’au 17 février prochain, la plus grande partie de l’exposition ’85 nouvelle vague mise en scène par le Belge Paul Vandebotermet.  » J’ai travaillé sur la base d’une énorme source de documentation rassemblée par Fei Dawei, artiste, critique d’art et conseiller des Ullens, souligne le muséologue. Avec Jan Debbaut, avec qui j’ai collaboré, entre 1986 et 1989, au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, nous avons sélectionné quelque 120 £uvres qui entendent présenter un reflet cohérent de cette période d’éveil de l’art contemporain chinois. Je les ai réparties, sans tenir compte de la chronologie, en trois sections : l’abstrait, l’expressionnisme et les installations. Une partie des £uvres seulement provient de la collection Ullens, comme ces toiles magnifiques de Gu Wenda ou de Yang Jiechang. A épingler aussi : Gu Dexin, un artiste de tout premier plan, qui a reconstitué son studio de l’époque.  »

Deux autres £uvres occupent un espace séparé, dans la première nef : l’installation A Book from the Sky de Xu Bing, prêtée par le musée de Hong Kong et une vidéo relatant la performance du mouvement Xiamen Dada. Cette vidéo montre comment les artistes ont mis le feu à leur £uvre qu’ils avaient exposé en face du musée de Xiamen entre le 28 septembre et le 5 octobre 1986. Son objet étant que les idées sont l’aboutissement réel de l’art. Pour Fei Dawei, actuel directeur artistique de l’UCCA (et depuis 2002 conseiller de Myriam et Guy Ullens), ce genre de happening historique est aussi à mettre en parallèle avec la situation précaire des artistes de l’époque. Même dix ans après la mort de Mao, des expositions peuvent être fermées quelques heures après leur ouverture.  » C’est une époque où des artistes se sont endettés, ont même vendu leur sang pour continuer à créer « , souligne Fei Dawei.

Guy Ullens s’est intéressé à l’univers de l’art contemporain chinois peu après, dans la seconde moitié des années 1980. Il voyage alors régulièrement en Chine pour développer Artal, l’affaire familiale active dans le secteur agroalimentaire.  » Nous sommes devenus le premier boulanger de ce pays, s’enthousiasme-t-il. Ce fut l’une des périodes les plus intenses de ma vie. Je suis venu en Chine quelque 180 fois ! Je m’étais déjà passionné pour la peinture ancienne, que je collectionnais sur les conseils d’un ami chinois. Il connaissait aussi tous ces jeunes gens issus de l’académie des Beaux-Arts. Le week-end, comme nous n’avions rien à faire, nous partions en voiture à la campagne pour pique-niquer, parler, échanger… C’était vraiment une période fantastique. « 

A l’image d’un Alex Flamant (Flamant Home Interiors) qui, subjugué par la réalisation, se déclare  » fier d’être Belge « , beaucoup reconnaissent aux Ullens la capacité d’être visionnaires. Leur collection d’art contemporain chinois – qui compte aujourd’hui 1 500 £uvres – est généralement considérée, en qualité, comme la plus importante au monde. Et elle a trouvé en l’UCCA un écrin où elle peut de temps à autre être vue du plus grand nombre.

L’art contemporain chinois

Fei Dawei, directeur artistique de l’UCCA, comme bien d’autres observateurs de la scène artistique chinoise, critique l’actuelle évolution du marché de l’art en Chine. Il semble en effet y avoir peu de vrais collectionneurs chinois aujourd’hui. Les clients sont davantage des investisseurs qui recherchent des objets propres à la spéculation et qui organisent ainsi la flambée des prix. Et, dans ce pays où la seule religion est l’argent, les artistes entendent bénéficier eux aussi du boom qui booste actuellement l’art contemporain en Occident. Dans un excellent dossier publié le 21 septembre dernier, Le Journal des Arts parcourt cette planète mystérieuse avec beaucoup de scepticisme, d’autant plus lorsqu’il analyse l’affirmation officielle qui veut que  » La Chine ouvrirait mille musées d’ici à 2015 « . Et avec quels critères de qualité ? Selon les dires d’un des observateurs interrogés par cette revue :  » Les critiques ne sont plus indépendants. D’ailleurs, les galeries les paient pour qu’ils écrivent.  » Tout à l’opposé : la collection de la fondation Ullens s’est constituée sur la base d’une vraie révolution culturelle et consiste donc en un moment unique de vérité.

L’UCCA, lui, a tenu son pari, là où d’autres, comme le centre Pompidou, à Paris, ont échoué : être la première institution muséale en Chine.  » Nous avions d’abord pensé nous établir à Shanghai, le centre des affaires de la Chine, nous confie Guy Ullens. Mais très vite, nous avons été confortés dans l’idée que Pékin était le véritable c£ur artistique du pays. Les anciens ateliers d’armement de Dashanzi, encore appelés 798, ont été d’abord colonisés par les artistes, puis par une foule de galeries d’art, locales et internationales. Ces deux nefs nous ont d’emblée séduits. Tout a ensuite été très vite. Nous avons pu signer un bail de huit ans avec le propriétaire. Il nous reste donc six ans pour rendre l’UCCA durable.  » Mais tous les observateurs locaux en conviennent. Le 798 tout entier, convoité par des promoteurs désireux d’y construire un grand centre commercial, considère l’UCCA comme sa meilleure garantie pour le futur.

Carnet d’adresses en page 80.

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

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