Philippe Lambillon, bourlingueur: « Je n’ai jamais eu besoin d’aller aux antipodes pour changer d’air »

© Frédéric Raevens
Mathieu Nguyen

C’est chez lui, à Namur, que nous retrouvons le plus célèbre aventurier du petit écran belge. Après 35 ans à arpenter la planète, le Bourlingueur boucle ses Carnets sur la RTBF, mais ne raccroche pas encore son chapeau. Il nous reviendra bientôt avec d’autres formats.

On a tous besoin de points d’attache. Pour moi, Namur (NDLR: en photo, le nouveau téléphérique de la ville), c’est ce pompon sur le bonnet du marin: c’est ici que je viens me ressourcer. Des hauteurs, je peux voir l’endroit où je suis né, celui où j’ai vécu et celui où je finirai mes jours, tout ça dans un périmètre de 1 km2, entre l’église Saint-Jean et l’église Saint-Loup.

Une île paradisiaque, on en fait vite le tour. Le rêve de tous les insulaires, c’est de se tailler à Paris ou à Londres. On me dit souvent que je devrais vivre sur une de ces îles au bout du monde, et en fait j’ai déjà essayé. J’ai vécu un temps en Amérique du Sud, mais ce n’est pas facile de vivre ailleurs, on reste tous attachés à nos racines. Et puis, je n’ai jamais eu besoin d’aller aux antipodes pour changer d’air: je pars en vacances dans le Pas-de-Calais, d’où mon père est originaire, et pour moi la mer du Nord est l’une des plus belles du monde.

Je n’ai jamais eu besoin d’aller aux antipodes pour changer d’air.

Le secret des Carnets, c’était « ni autorisation, ni accréditation, ni rien ». A l’arrache, toujours. On ne déclare même pas le matériel, on emmène la caméra démontée, dans des bagages séparés. Je fais des repérages, je loue une voiture et j’embarque l’équipe, sans aucune aide, de l’office du tourisme, de la police, de l’armée ; le principe, c’est de débarquer et de ne rien demander. Il y a juste un preneur de son, un cameraman et moi, et on va dans les endroits où les gens ne vont pas beaucoup. Alors avec la Covid, les douanes vidées des voyageurs, on allait d’office se faire fouiller et avoir des ennuis. Et sans la liberté de faire exactement ce que je veux, j’ai préféré arrêter.

Mon seul luxe, c’était d’aller où je voulais et de ne rendre de comptes à personne. J’amène une émission clé-sur-porte, je n’ai jamais accepté que l’on enlève un plan ou censure une parole. Jamais. Je remplis mon rôle en livrant X émissions par an, mais ne me demandez pas d’aller dans telle direction, de rencontrer telle tribu plutôt qu’une autre. Et n’exigez pas de voir l’émission avant qu’elle passe à l’antenne. Il faut dire que je n’ai jamais été exigeant sur le salaire, c’est peut-être pour ça que l’on m’a fichu la paix pendant trente ans.

Je sais qui va me causer des ennuis rien qu’en observant les visages. A la façon dont on m’aborde, je sais si ça va être facile ou pas. J’ai l’habitude, vu le nombre de fois où je me suis fait arrêter, où j’ai dû dealer avec les autorités, les militaires, les chefs de village, les féticheurs et les marabouts… En général, je leur propose de jouer un rôle dans le film que je tourne, et ils se prennent souvent au jeu. Tous les soldats ou policiers figurant dans les Carnets sont des vrais. En cas de menace ou d’agression, je vais toujours vers la plaisanterie et l’arrangement à l’amiable.

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Dès qu’on sort des circuits balisés, tout est possible, tout est dangereux. J’adore me retrouver dans ces no man’s lands où je suis un peu en danger, c’est mon côté cow-boy. Le moment où je me retrouve seul, à aller vers les gens dans une contrée inconnue, c’est toujours le plus intense . Je prends mon pied. Quand je vais voir des chercheurs d’or ou d’émeraudes dans des repaires de gangsters, s’ils décident de me prendre mon sac et de m’enterrer dans un trou, personne ne me retrouvera jamais. Mais je n’ai jamais rien dû annuler, et rentrer sans images. Maladies, conflits armés, tremblements de terre, même l’épidémie d’Ebola au Gabon. Ou des problèmes d’avion: les moteurs qui s’arrêtent, les pilotes qui te rançonnent, un pélican qui passe à travers le pare-brise aux Galapagos, un atterrissage forcé au Cameroun… J’ai toujours eu une chance incroyable.

Il y a toujours un moment où il faut choisir. Je suis né sous une bonne étoile, mais j’ai aussi fait des choix. Il ne m’est jamais rien arrivé de grave, on m’a laissé faire ce que je veux, je suis encore en forme, tout ça, c’est du pot. Mais oser, c’est essentiel, même si j’essaye de toujours prendre les choses avec beaucoup de détachement, en me disant « en fin de compte, c’est de la rigolade ».

Ici, on passe une demi-heure dans un rayon à hésiter sur le menu du jour. Quand les gens me parlent de leurs problèmes, je leur dis: « Vous ne vous rendez pas compte. » Combien de fois ai-je pu dire ça dans ma vie? Moi, j’ai vécu avec des gens à qui j’ai offert une boîte de sardines: le chef a mangé les sardines, les gamins ont bu l’huile et les tout-petits ont récupéré la boîte pour en faire une voiture. C’est ça, mon monde.

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