« Mes objets insufflent de nouvelles perspectives »: Pierre-Emmanuel Vandeputte, designer d’objets déroutants et élégants

© FRÉDÉRIC RAEVENS

Imaginant des échelles d’intérieur pour prendre de la hauteur, transformant des pointeuses de la Stib en boîtes à clés, il joue avec la fonction pour créer l’émotion. Jeune Invité d’honneur du Contemporary Design Market, fin septembre, il incarne cette génération de concepteurs bruxellois pour qui le partage aide chacun à tracer sa voie.

Dire que Bruxelles est une ville de design serait prétentieux. Oui, il y a un design à Bruxelles et il y a un public pour cela. Mais il ne déplace pas les foules comme il peut le faire à Milan. Je n’ai pas non plus l’impression qu’il existe un style belge ou bruxellois. En revanche, il y a une philosophie, un état d’esprit. Si je prends les designers de ma génération, il n’y a pas d’identité commune à notre travail mais on se voit souvent, on va manger l’un chez l’autre. On cherche à s’entraider, à se tuyauter. Je ne perçois pas de concurrence. Et c’est quelque chose qui s’alimente. Pas mal de jeunes designers passent par ici et décident de s’y installer car ils aiment cet esprit.

Il existe plein de définitions du design. A La Cambre, j’ai appris un design industriel « qui ne se voit pas », où tout revient à faciliter l’usage. A l’inverse, j’ai cherché à aller vers un « design d’auteur » et mes objets questionnent l’utilisateur par de nouveaux usages. Si vous allez au Salon de Milan, où il faut trente minutes pour traverser les 22 halles en courant, tout se résume à des chaises, des tables, des canapés, des miroirs… Sommes-nous aussi simples que ça? Ne peut-il y avoir d’autres besoins, d’autres nécessités que de s’asseoir et dormir? Mes pièces insufflent de nouvelles perspectives. Au bout d’un temps, j’ai compris que cela ne correspondait pas forcément aux attentes des éditeurs et je me suis dit que je pouvais les produire moi-même.

Est-ce que l’art s’utilise? Je ne pense pas. L’art se contemple. Mes pièces sont parfois décrites comme de l’art et je ne suis pas d’accord. Même si c’est un besoin que peu de gens éprouvent, lorsque je conçois un casque en liège pour s’auto-isoler, il s’agit selon moi d’objet destiné à être utilisé.

Un scénario ou un peu de poésie permettent aux gens de rêver à travers un objet. Quand, avec un Atelier de Travail Adapté, nous avons transformé 3 000 oblitérateurs de la Stib en boîtes à clés, je ne suis pas sûr que tous ceux qui l’ont acheté aimaient l’orange. Mais ces boîtes que tout le monde connaissaient devenaient en quelque sorte des objets iconiques qui racontent une histoire. Quand nous avons fait des sacs avec les anciennes bâches de travaux de la Grand-Place et que trois équipes de télé en ont parlé, tout est parti en 24 heures.

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On célèbre le « Made in Belgium ».Mais si votre acier est importé, est-ce encore du « Made in Belgium »?Je peux réaliser des pièces uniques ou de petites séries dans mon atelier, mais je ne suis pas artisan ou fabricant. Récemment, on m’a commandé 200 tables pour un espace de coworking. Face au budget, j’ai compris qu’il serait impossible de les faire en Belgique. Dois-je avoir des scrupules d’être allé en Roumanie? Cet hiver, avec ma petite voiture de location, j’ai traversé le pays, ses routes sinueuses pleines de calèches où l’on voit des femmes aller chercher l’eau au puits. Le choc des cultures était énorme mais il a été atténué par le dialogue. Ces gens m’ont accueilli, m’ont invité au restaurant et ont cherché toutes les solutions techniques possibles dans leur atelier et à travers leur réseau. J’ai rencontré une générosité incroyable. Au point de vue humain, c’était une belle expérience. Le bilan carbone, j’avoue ne pas pouvoir le calculer.

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Il y a plein d’aberrations dans le système, mais les designers ne sont qu’un maillon de la chaîne. Récemment, ma machine à laver était en panne. On me disait de la remplacer. Je l’ai démontée et j’ai filé la carte électronique à quelqu’un qui s’y connaît. Pour 10 euros, il me l’a réparée. En matière d’obsolescence programmée, je ne crois pas qu’il faille blâmer le designer mais l’ingénieur qui va imaginer la charnière prête à céder au bout de cinq ans. Par contre, quand je vois un banc public conçu pour que les SDF ne s’y couchent pas, je sais qu’il y a un designer qui l’a dessiné. Je n’aimerais pas être ce designer-là.

Le noir est comme un uniforme qui me permet d’allouer du temps à d’autres questions. C’est une constante dans mon quotidien. Pourquoi le noir? L’historien Michel Pastoureau dissèque la symbolique du noir et dit que le cygne est un animal du démon, à la peau noire sous ses plumes blanches. Moi, je ne pense pas venir de l’enfer. Et cette couche extérieure ne correspond pas à ce que j’ai dans le coeur.

Le Contemporary Design Market se tient les 25 et 26 septembre, à Bruxelles, à Tour & Taxis.

Plus largement, retrouvez notre sélection d’évènements à ne pas manquer pendant le Design September.

Plus d’infos: designmarket.be et pierreemmanuelvandeputte.com

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