Platine vinyle dans la boîte à gants: « Quand on confond fantasme de vrai geek et expression un peu vulgaire d’un petit snobisme »

© KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

Bien obligé de s’illustrer dans un secteur où les constructeurs se tirent la bourre, Lexus a dévoilé son nouveau modèle IS Wax —  » wax », comme la cire, parce que cette rutilante berline sport exhibe une platine vinyle alu-carbone imprimée en 3D dans la boîte à gants. On imagine que les créatifs maison ont été inspirés par le revival du format, en cours depuis une éternité, et le fait que pour la première fois depuis 1986, les ventes de disques ont dépassé celles de CD. Toujours est-il que nombre de rédacteurs tech se sont immédiatement enthousiasmés pour cette DeLorean sonique, rêve motorisé de tout audiophile qui se respecte. Côté technique, l’incrustation du pick-up fut confiée au studio SCPS, tandis que pour la promo, le fabricant japonais s’est adjoint les services de Madlib et Kaytranada, DJ et producteurs bien cotés — il a dépensé sans compter. A tel point d’ailleurs que toute l’opération implique aussi la sortie d’un morceau et d’un documentaire en deux parties, en partenariat avec Pitchfork, bible de la scène musicale indépendante et arbitre des coolitudes. Avec cette crédibilité en béton, et encore la carte du Japon-entre-tradition-et-modernité à jouer, le tableau semble donc parfait, à un détail près: le concept.

‘Par bonheur, il sera inutile de s’u0026#xE9;terniser sur cette u0026#xE9;niu0026#xE8;me tentative de s’approprier une culture de niche sans vraiment la comprendre.’

S’il est déjà permis de douter qu’un authentique puriste cherche vraiment à user ses galettes dans une voiture, fût-ce une Lexus, demeure l’aspect pratique: au vu de la taille des disques et du soin généralement accordé à leur prise en main, quiconque espère jouer à DJ-ames Bond avec le son à fond dans son chouette bolide à gadgets s’expose à de graves désillusions — et peut-être quelques articles de presse et une modification du code de la route. La manipulation des plaques étant exclue, le pilote se retrouve donc condamné à réécouter la même face en boucle, une vingtaine de minutes seulement. Pour ne rien arranger, un disque, c’est encombrant, et l’exiguïté anguleuse de l’habitacle menace constamment d’en abîmer la pochette. Inutile de compter sur la boîte à gants pour abriter la discothèque, elle est occupée par la platine et sa suspension high-tech — qu’on aimerait bien présenter aux nids-de-poule de l’E411, juste pour voir.

Un respect infini pour Madlib ne saurait masquer l’évidence: l’essence même du projet respire la fausse bonne idée. En fait de prouesse rétrofuturiste, l’entreprise évoque surtout la défunte émission Pimp My Ride sur MTV (2004-2007), qui consistait à retaper des bagnoles délabrées à grand renfort de tuning outrancier, en les dotant au passage d’équipements inattendus, piano à queue, fontaine de chocolat, table de ping-pong ou Jacuzzi. « Ils étaient tellement préoccupés de savoir s’ils pouvaient y arriver, qu’ils ne se sont pas demandé s’ils devaient » — d’illustres théoriciens du chaos nous le répètent depuis des années. Par bonheur, il sera inutile de s’éterniser sur cette énième tentative de s’approprier une culture de niche sans vraiment la comprendre: l’édition Wax ne demeurera qu’un exemplaire unique, dont l’excellence technique était surtout prétexte à un bon coup marketing. Evitant le piège tendu aux candides, qui ne pourront s’empêcher d’en parler, on ne s’étendra pas sur cette « cascade publicitaire », confondant fantasme ultime de vrai geek et expression un peu vulgaire d’un petit snobisme, et l’on se gardera de tout commentaire.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content