Ils s’appellent Ula Sickle, Younes Baba-Ali, Thomas Hauert, Léa Drouet ou Eleanor Bauer. Artistes étrangers, ils se sont tous installés à Bruxelles. Malgré une réputation peu flatteuse, la capitale belge serait-elle the place to be de la scène artistique mondiale ?

Non, ce n’est pas pour son climat clément que la Singapourienne Sara Tan Siyin est venue s’installer à Bruxelles. Et non, ce ne sont pas les charmes architecturaux de notre capitale qui ont incité Victor Pérez Armero à quitter Barcelone. Si ces deux danseurs de l’équipe du show Simplexity de Thierry De Mey sont arrivés en Belgique, c’était pour étudier à PARTS (pour Performing Arts Research and Training Studios), l’école d’Anne Teresa De Keersmaeker basée à Forest. Ce qui a aussi été le cas de l’Américaine Eleanor Bauer et de plusieurs interprètes de son Meyoucycle, de la Canadienne Ula Sickle, qui présentait au Kunstenfestivaldesarts, en mai dernier, son Extended Play créé avec Daniela Bershan, mais également de l’Allemand Arco Renz, de la Danoise Mette Ingvartsen, du New-Yorkais Andros Zins-Browne et de bien d’autres personnalités marquantes de la danse contemporaine.

Depuis sa création en 1995, PARTS a toujours été fréquentée par un public international. L’école n’a jamais eu plus de 20 % d’étudiants belges. Son pouvoir d’attraction s’explique bien sûr par l’aura magnétique d’Anne Teresa De Keersmaeker, mais aussi par la position centrale dans le monde de la danse à laquelle notre capitale s’est hissée lors de ces dernières décennies. Une place enviable qui provient paradoxalement d’un vide.  » La Belgique est un pays qui historiquement ne dispose pas d’un appareil culturel solide et structuré, contrairement à l’Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne, explique Theo Van Rompay, directeur adjoint de PARTS. Dans les années 70, il n’y avait rien, c’était une friche. C’est ce qui a permis à un mouvement d’avant-garde de se développer dans les années 80, avec Anne Teresa, Wim Vandekeybus, Michèle Anne De Mey… A Bruxelles aujourd’hui, il n’y a quasiment pas moyen de voir de la danse ancienne comme c’est le cas par exemple à Paris, avec le Ballet de l’Opéra. Ici, il n’y a que l’avant-garde, et ça fonctionne comme un aimant à travers le monde.  »

En ouvrant PARTS dans cette ville, Anne Teresa De Keersmaeker a en réalité prolongé une tradition d’un enseignement de la danse novateur inaugurée en 1970 par l’exilé marseillais Maurice Béjart. Installé à la Monnaie avec ses Ballets du XXe siècle, l’homme a popularisé la danse grâce à des productions qui élargissaient les horizons tout en restant accessibles au plus grand nombre. A Mudra, une école unique en son genre, il a formé Dominique Bagouet, Maguy Marin, Catherine Diverrès, mais aussi de nombreux chorégraphes qui se sont depuis enracinés à Bruxelles : Michèle Noiret, Fumyio Ikeda, Pierre Droulers, Karine Ponties, Michèle Anne De Mey, Nicole Mossoux, José Besprosvany… et Anne Teresa De Keersmaeker. Cette dernière a comblé avec PARTS le vide laissé par la fermeture de Mudra en 1987, Béjart ayant quitté notre pays pour Lausanne.

DU RÉSEAU

Il n’y a pas que dans le domaine de la danse que Bruxelles attire les étudiants étrangers. A l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et des Techniques de Diffusion), la proportion d’étudiants français prend parfois le pas sur les Belges. En 2014, ils étaient 375 (sur 595 au total) candidats venus de l’Hexagone pour passer l’épreuve d’admission. Cette année-là, quarante d’entre eux y sont entrés, soit 63 % des étudiants inscrits en première année. Sans compter les Suisses et les Italiens.  » La réputation de l’école motive les déplacements à l’échelle internationale, explique Manon Ledune, responsable de la communication. La particularité de l’INSAS, c’est une pédagogie par séminaires. Dès le début, l’objectif est de responsabiliser au maximum les étudiants en les mettant progressivement en situation professionnelle. L’INSAS est une sorte de mini boîte de production : on crée énormément de films, de spectacles.  » Et quand tout cela est mené par des profs comme Jaco Van Dormael, Bouli Lanners, Veronika Mabardi, Isabelle Pousseur, Armel Roussel ou le spécialiste du son Daniel Léon, l’effet d’attraction joue à plein. Même au-delà des frontières.

Mais si ces étudiants viennent à Bruxelles, que ce soit pour fréquenter PARTS, l’INSAS, La Cambre (lire par ailleurs) ou l’Académie des beaux-arts, pourquoi restent-ils?  » On offre une formation très pratique, et les étudiants rencontrent ici énormément d’intervenants qui constituent le tissu du secteur professionnel à Bruxelles et en Belgique, poursuit Manon Ledune. Au bout de leurs années d’études, ils ont noué des relations, par le biais des stages, des enseignants qu’ils ont rencontrés… C’est donc naturellement dans nos contrées qu’ils vont trouver le terreau pour leurs projets.  » Une réalité qui vaut pour d’autres domaines artistiques. Theo Van Rompay :  » Les étudiants de PARTS arrivent chez nous quand ils ont en général entre 18 et 20 ans et ils y restent plusieurs années. C’est une période très importante dans la vie. Pour ces étudiants qui viennent de Suède, de Roumanie ou d’Espagne, les liens d’amitié qui existaient avant n’ont pas disparu mais sont passés à l’arrière-plan, parce que ces jeunes créent un réseau ici. Et puis, que leurs projets les emmènent ensuite travailler à Londres, Paris, Amsterdam, Francfort ou Berlin, Bruxelles reste une base formidable grâce à sa position centrale. En revanche, vers 40 ans, beaucoup veulent s’installer, ils ont des enfants, ils veulent se rapprocher de leurs parents et certains retournent alors dans leur pays d’origine ou dans celui de leur partenaire. Dans tous les cas, leur phase la plus intense de travail se passe dans notre capitale.  »

Nombre d’artistes choisissent de rester en Belgique parce qu’ils apprécient aussi la souplesse de ce petit pays bordélique, fragmenté et stratifié, où il y a toujours moyen de se faire une place. C’est ce que confirme Léa Drouet, artiste originaire de Lyon, sortie de l’INSAS il y a six ans et qui a proposé dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts de mai dernier une performance au skatepark des Ursulines :  » En Belgique, il y a des interstices où de nouvelles initiatives peuvent exister, alors qu’en France tout a tendance à être cadenassé. A Bruxelles, on trouve pas mal de lieux en friche, d’endroits autogérés, des espaces de liberté. Et puis il y a vraiment une aide à la jeune création. Un an après la sortie de l’école, j’ai pu bénéficier d’un soutien financier.  »

AUDACE ET SOUTIEN

 » Bruxelles pour moi, c’est le New York des années 70 « , affirme de son côté sans détour Younes Baba-Ali. Ce jeune plasticien marocain, formé en France et récompensé -entre autres lauriers – par le prix Léopold Sédar Senghor à la Biennale d’Art contemporain africain de Dakar en 2012, a présenté dernièrement, à la galerie Ravenstein, une installation extérieure et une exposition qui traitent des questions de la migration et de l’identité. Même s’il n’a pas eu un coup de foudre immédiat pour la ville lorsqu’il y est venu pour la première fois en 2011, il ne tarit aujourd’hui pas d’éloges sur cette cité d’adoption.  » Ici les gens sont plus à l’écoute, plus curieux aussi. Par rapport à la mentalité et à la scène artistique en France, il y a davantage d’audace. On ose se lancer dans des projets, donner des opportunités à de jeunes artistes. On n’a pas peur de se tromper ou d’échouer. C’est important dans l’art en général. A Bruxelles on peut trouver des bourses, des structures ou de jeunes galeristes prêts à nous soutenir, même si on n’a pas un CV ronflant. On ne te juge ni sur ton origine, ton âge ou ton parcours, mais bien sur ton travail.  » S’ajoutent à cela les loyers relativement raisonnables pour une capitale, l’enthousiasme des collectionneurs belges, réputés être mus davantage par la passion que par l’appât du gain, et le statut administratif octroyé aux artistes, qui leur permet de survivre malgré des revenus irréguliers. Et puis, du WIELS à Forest National, des galeries d’art du quartier Louise aux concerts destroy du Magasin 4 ou des Ateliers Claus en passant par les dizaines de salles de spectacle et les innombrables centres culturels, Bruxelles est entrelardée, à tous les étages et dans ses dix-neuf communes, de culture. La petite et la grande, la mainstream et la pointue, la flamande et la francophone, la locale et l’internationale.

Mais ce qui frappe plus que tout les étrangers qui arrivent, c’est que cette ville sans histoire forte et sans identité affirmée est prête à les accueillir comme un des siens.  » Bruxelles est une ville d’immigrés, explique la danseuse Sara Tan Siyin. C’est un sentiment qui m’est familier, parce que Singapour, d’où je suis originaire, lui ressemble sur ce point. On a l’impression que la ville n’appartient pas à ce qu’on appellerait des Bruxellois de souche.  »  » Je suis un artiste plutôt nomade et quand je reviens ici, j’ai l’impression de retrouver une grande famille « , conclut de son côté Younes Baba-Ali. Malgré les menaces qui pèsent sur elle, sa gestion parfois chaotique et ses labyrinthiques enchevêtrements de pouvoir, Bruxelles la Zinneke, cette sympathique bâtarde, n’a pas fini de séduire.

PAR ESTELLE SPOTO

 » À BRUXELLES, ON TROUVE PAS MAL DE LIEUX EN FRICHE, D’ENDROITS AUTOGÉRÉS, DES ESPACES DE LIBERTÉ.  »

 » BRUXELLES POUR MOI, C’EST LE NEW YORK DES ANNÉES 70.  »

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