Après les générations X, Y, Z, les  » infultes  » et autres  » adulescents « , un nouveau genre intrigue les sociologues. Archétype : la personne de 45 à 60 ans qui assume parfaitement son âge mais croque la vie comme à 20 ou 30 ans. Avide de plaisirs, consciente de ses responsabilités. Voici le temps des quinquados.

Le jeudi précédant notre entretien, Joëlle Hirn sortait dans une boîte branchée de la nuit bruxelloise, où elle avait rejoint une bande de copains fêtards. Jusqu’ici, rien d’exceptionnel, cette jolie blonde est une habituée des lieux dont elle connaît, du reste, les patrons. Sauf que du haut de ses 50 ans, elle ne fait pas précisément partie de la clientèle habituelle, dont la moyenne d’âge tourne plutôt autour des 20-25 ans, même si cette discothèque est réputée accueillir aussi un public (un peu) plus mûr. Mieux : comme c’est régulièrement le cas, Joëlle y côtoyait sa fille de 19 ans, pour leur plus grand plaisir à toutes les deux.  » Il m’est déjà arrivé de l’accompagner dans des lieux où la moyenne d’âge est plus proche des 18 ans « , rit-elle. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Joëlle n’est ni une cougar, ni une adolescente attardée. Cette fonctionnaire européenne très professionnelle file le parfait amour avec un compagnon de son âge et ses meilleurs amis appartiennent à la même génération.

Comme elle, ils sont de plus en plus nombreux à (ré)concilier l’âge physiologique du quinquagénaire avec l’état d’esprit d’un trentenaire, voire plus jeune encore. Bien dans leur tête et dans leur corps, qu’ils assument parfaitement, ils incarnent un nouvel avatar sociologique que les spécialistes ont baptisé  » quinquado « . On doit ce néologisme facile à l’institut de sondage français Ipsos qui leur avait consacré une enquête il y a deux ans, soulignant l’émergence de ce comportement nouveau. Pour Rémy Oudghiri, auteur de l’étude, une quinquado est  » une femme qui a physiquement la cinquantaine, mais présente des envies et des attitudes semblables aux jeunes filles de 20 ans « . Un esprit jeune dans un corps mûr, en somme.

UN TEMPS LIBRE QUI S’ÉTIRE

Les observations portaient sur la gent féminine, mais la description s’applique clairement aux deux sexes. Elle caractérise des personnes qui veulent privilégier leur bien-être avant tout, profiter au maximum des bons moments que leur réserve l’existence. Quitte à les susciter.  » Leurs comportements sont liés à ceux de la jeunesse : l’envie de changer de vie, le voyage, l’aventure, les sorties, l’ivresse, l’inconséquence, commente le sociologue Aurélien Fouillet en marge de l’étude. Ce n’est pas par hasard si la cinquantaine est la tranche d’âge où le taux de divorces augmente le plus.  »

Plusieurs raisons expliquent le phénomène. Physiologiques : les progrès de la médecine conjugués à l’augmentation de l’espérance de vie maintiennent en forme plus longtemps aujourd’hui qu’hier et avant-hier. Beaucoup de gens se sentent pleins d’énergie jusqu’à la soixantaine, voire bien au-delà. La tendance générale à se soucier plus de son alimentation et de son hygiène de vie amplifie par ailleurs le mouvement. Sociologiques, ensuite :  » La cinquantaine est un temps libre qui s’étire de plus en plus, relève Rémy Oudghiri. Les enfants sont grands ou ont quitté le foyer. Eux-mêmes deviennent parents de plus en plus tard « , ce qui recule d’autant l’âge où l’on devient grand-parent. Et même cela ne caractérise plus nécessairement l’entrée symbolique dans le troisième âge. Psychologiques, enfin :  » C’est le contraire de la résignation face au temps qui passe et à l’âge qui avance, poursuit le psychologue. Je ne parle pas d’une sorte de quête de la jeunesse éternelle mais de la conviction croissante que la vie coule très vite et qu’il faut en profiter le plus possible. Avec une dimension plus hédoniste et individualiste.  »

CIBLES DE PUB

 » Mais sans l’insouciance qui caractérise souvent les ados, tempère Hakim Benbouchta, 49 ans, qui se reconnaît dans le modèle décrit. La paternité m’a mis du plomb dans la cervelle et si je me retrouve parfaitement dans cet état d’esprit poussé par le plaisir et l’envie de profiter de tout ce que l’existence peut m’apporter de bon, j’assume pleinement mes responsabilités professionnelles et parentales.  » Ensemble, sa compagne et lui élèvent trois enfants une semaine sur deux.  » Cela nous laisse une semaine de liberté totale où l’on peut régresser à souhait.  »

S’il a toujours été  » un jouisseur « , Hakim remarque qu’avec l’âge, sa quête de plaisirs est de plus en plus proactive.  » Je me demande souvent ce que je peux faire pour passer du bon temps. Seul, avec ma compagne, avec mes amis… ou avec les enfants. Quand ils sont là, nous sommes très investis. On essaie de multiplier les loisirs sympas avec eux.  » L’homme travaille toujours dans la pub et la communication, mais un héritage lui a donné les moyens de lever le pied il y a quelques années.  » Je ne suis plus un acharné du boulot « , admet-il. Le temps libre ainsi retrouvé, il l’investit dans des activités bénévoles au profit d’associations et dans la réflexion sur les gros enjeux de société.  » En fait, mon plaisir n’est pas insouciant, mais réfléchi. J’ai une maturité qui doit être liée à mon âge.  »

Très présents aussi sur les réseaux sociaux, avides de loisirs et de consommation, les quinquados deviennent une cible de choix pour les publicitaires. Actifs et au sommet de leur carrière, ils disposent d’un pouvoir d’achat bien supérieur à celui des générations précédentes (les pensionnés) et suivantes (les jeunes aux études ou qui entament leur vie professionnelle). Et tout les intéresse, pourvu qu’ils aient l’ivresse.

PAR PHILIPPE BERKENBAUM

 » La conviction croissante que la vie coule très vite et qu’il faut en profiter le plus possible. Avec une dimension plus hédoniste et individualiste. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content