Il peint la mode, le design et l’art, plus la faune alentour, avec légendes assorties. À la gouache mais pas à la lettre. Dans la presse et ailleurs. Avec Jean-Philippe Delhomme, ça parodie humaine.

Offrez des gouaches Winsor and Newton à un petit garçon de 4 ans qui s’imagine en  » subtil mélange de Marcel Proust et Michel Leiris « , il deviendra peut-être peintre, dessinateur et romancier, mais sans garantie. À moins que ce ne soit Jean-Philippe Delhomme en personne. Ou son alter ego blogueur. Le premier est parisien, s’est illustré dans l’illustration pour Vanity Fair, Los Angeles Times, GQ, a rassemblé ses £uvres dans deux belles poignées de livres indispensables – Le Drame de la déco, La Chose littéraire, Scènes de la vie parentale… – et signé trois romans du même acabit. Le second est virtuel, barbu, new-yorkais, se fait appeler The Unknown Hipster et distille ses posts quand ça lui chante, des dessins nerveux et de vraies/fausses confessions intimes dans un anglais élégant et décalé – un délice.

À force de le lire et d’en rire depuis vingt ans maintenant, on avait envie de rencontrer Jean-Philippe Delhomme, c’est chose faite, chez lui, de retour à Paris après une année faussement sabbatique à Manhattan. Et c’est au sixième étage, dans une enfilade de chambres de bonne redesignées en appartement lumineux, avec touches orange – vase de renoncules, plats de coloquintes, fauteuil Swan de Arne Jacobsen. Et, parfaitement encadrés par la fenêtre, la tour Eiffel, le jardin du Luxembourg et les Invalides. C’est pour la vue qu’il s’est installé ici avec sa famille il y a quelques mois – la preuve, son carnet rouge gondolé par ses gouaches entamées à l’automne. S’y succèdent la flamboyance des arbres, la blancheur hivernale, la nuit noire avec dame de fer emloupiotée. Pourtant, c’est devant un mur-bibliothèque qu’il a installé sa table à dessins, pas de tentation, mis à part ces quelques £uvres accrochées dans son dos, une coiffe Bijodo, une photo de l’atelier de Brassaï, une affiche de Savignac et ses paysages, deux ou trois, qu’il lui arrive parfois de peindre aux côtés de son père, chirurgien retraité, lequel pratique l’acrylique tandis que lui s’attaque à l’aquarelle. Bon sang ne saurait mentir.

 » AVANT, JE GALÉRAIS « 

Son enfance justement, Jean-Philippe Delhomme l’a passée à dessiner, et à photographier, en banlieue parisienne années 60, en Normandie années adolescence puis retour à Paris, années 70 (vers la fin), à la faveur d’une inscription aux Arts décoratifs parce qu’il ne voyait pas ce qu’il aurait pu étudier d’autre mais  » sans savoir comment on pouvait gagner de l’argent en faisant cela « . Il s’imagine alors affichiste tendance graffiti, il vient de découvrir le travail de Savignac – l’idée lui plaît de  » mélanger du graphisme et de la peinture dans le paysage urbain, faire des choses qui participent de la vie générale, auxquelles tout le monde peut accéder « . Il travaille alors en noir et blanc,  » rien à voir avec ce que l’on faisait dans une école d’art, je voyais les autres peindre des trucs abstraits ou hyperréalistes, je ne pouvais pas faire ça « . C’est que même la palette chromatique lui pose problème, il en ignore la grammaire. Jusqu’à ce qu’il découvre le travail de David Hockney – ses travaux préparatoires  » assez rapides  » pour l’opéra – mise en scène, décors, costumes.  » Il y avait une liberté, là, quelque chose de joyeux, de poétique, à la fois, pas maladroit, sans être précis, qui était très expressif, cela m’a donné l’impression que l’on pouvait faire ce que l’on voulait, qu’il n’y avait pas de règles.  » À partir de ce moment-là, Jean-Philippe Delhomme se met à peindre  » de manière plus libre « . Et à  » avoir du plaisir – avant je galérais « .

 » SAUVER SA JOURNÉE « 

Chez lui, d’emblée, le texte et l’image gouachée convolent en justes noces, d’abord dans des espèces de bandes dessinées  » qui ne ressemblaient pas aux autres bandes dessinées « . C’est la grande époque de Glamour, mensuel français, milieu des années 80, qui lui propose une page où s’étaler. Jean-Philippe Delhomme y va franco, parodie la photo, le Polaroid, d’où le titre Polaroids de jeunes filles, un condensé fantasmé de tout ce qui se dit et se pense alors, une hybridation texte et peinture de ces demoiselles et de leurs déclarations assumées, passées par le prisme delhommien. Rien de sociologique, que du satirique  » instinctif  » jamais sardonique. Pas de règlements de compte, non plus, pas son genre, ni d’attaque ad hominem, même si de loin en loin, on peut reconnaître dans ses planches Anna Wintour assise au premier rang d’un défilé ou Andrée Putman à même la moquette.  » L’idée c’est de faire quelque chose qui ait une sorte de légèreté, que ce soit lumineux, ou drôle ou beau, mais pas d’entrer dans un truc mesquin ou vengeur. C’est le contraire, on dessine, on écrit pour sauver sa journée, pas pour s’enferrer.  »

 » MÉLANGER LES DEUX « 

Si son dessin-rédemption vibre d’impatience, c’est parce qu’il  » aime bien que cela aille vite « , ou du moins que l’on ait cette impression-là – une sensation d' » énergie « ,  » une certaine idée de la spontanéité « , du  » truc qui tombe juste « . Ne rien esquisser en un trait, ne rien boucher, choisir l’entre-deux, donc, ce qui est  » valable pour à peu près tout dans l’existence « , on retiendra le conseil. Il a l’£il acéré, Jean-Philippe Delhomme et la plume parodique, qui mélange un vocabulaire désuet parfois au jargon des happy few qu’il scénographie, le choc est salutaire. C’est qu’il aime  » combiner les expressions un peu imbéciles de 2011 et les formules plus classiques – ma tendance naturelle, c’est plutôt la littérature XIXe siècle mais je vis dans un monde où les gens parlent comme des notices marketing, mélanger les deux, c’est drôle « .

Son avatar virtuel ne pense pas autrement, en anglais dans le texte. Sur son blog, The Unknown Hipster ne fait pas d’excès maladif, il ferait même plutôt le contraire : le dernier post date du premier décembre 2010, c’est dire, Jean-Philippe Delhomme n’écrit que quand il a quelque chose à raconter, une histoire, une vraie, un bon sujet, qu’il a  » vraiment envie de dessiner « . Au début, ce blog était une parodie de blog, tenu de main de maître par un anonyme  » qui parlait énormément de lui, tout le temps, et donnait des conseils  » mais très vite, l’homme a repris le dessus. Alors, quand il est aux États-Unis où ses illustrations le mènent régulièrement, Jean-Philippe Delhomme se met en mode éponge, il lui faut être  » dans un état réceptif « , que rien ne lui échappe, surtout pas ces sujets  » fantastiques  » qu’il s’empresse de dessiner, un maharadjah hiératique enturbanné dînant sur son yacht amarré ou une artiste en performance silencieuse.

 » C’EST PARFOIS BEAU « 

Il aime cette idée que des gens, ici ou ailleurs, vont le lire, même par hasard. Nulle nécessité d’entrer au musée, de s’exposer dans une galerie, c’est l’esprit affichiste/graffiti qui refait surface. Est-ce la raison pour laquelle il n’hésite pas à prêter son talent à la pub qu’il connaît bien ? Dans les années 90, il signe des campagnes pour Barneys, notamment –  » On ne peut pas vendre des vêtements avec des dessins « , lui avait-on alors rétorqué, eh bien si, et il prouvera le contraire. Rebelote il y a peu, avec la maison Kitsuné, label de musique et de prêt-à-porter, pour cet automne-hiver 10-11. Tout ça parce qu’il trouve le duo  » sympa  » et entre en résonance avec leur univers.

À part ça, bien entendu qu’il connaît la mode, ses parangons, son vocabulaire idoine. Il fut un temps où il croquait la Fashion Week dans Libération, il aime Zucca, Maria Cornejo, Dries Van Noten, Alexandre McQueen, pour leur sens du romanesque. Sinon, il n’est pas  » dingue  » des défilés :  » C’est drôle cinq minutes, c’est parfois beau, oui, mais il y en a beaucoup qui sont moches et ennuyeux. Les fringues en elles-mêmes ne m’intéressent pas, sauf pour les dessiner, je ne suis pas couturier, je ne tombe pas à la renverse quand les coutures sont super bien faites.  » Il n’empêche, son sens du détail, ses instantanés sentis, ses poses crayonnées, ses clichés peints ont les traits du génie.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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