À 35 ans, le journaliste Dieter Van Den Storm devient le curateur de la nouvelle section Design de Bozar. En dix ans de carrière, sa route a croisé celle des plus grands créateurs d’aujourd’hui. Son intérieur en est le reflet. Visite privée.

Il en est des lieux comme des gens : certains ont ce petit supplément d’âme et de coolitude qui vous font instantanément tomber sous leur charme. Tout comme son propriétaire, l’appartement de Dieter Van Den Storm est de ceux-là. Sis dans le premier immeuble construit, en 2005, à Bruxelles, par l’architecte flamand Eugeen Liebaut, il laisse la lumière s’en donner à c£ur joie d’une baie vitrée à l’autre. Côté cour, la ville, la vraie, celle qui ne dort jamais, est à portée de main. Côté jardin, au contraire, les arbres du parc qui le bordent sont là pour la faire oublier. Ici, tout est juste, sans être lisse. Du dessin griffonné par son filleul et accroché à une grappe d’algues rouges imaginées par les frères Bouroullec pour Vitra à l’affiche signée par la photographe et réalisatrice Sam Taylor-Wood, rien n’est arrivé par hasard. Mieux, tout ce qui squatte cet espace aux proportions racées raconte une tranche de vie, aussi anecdotique soit-elle, de son propriétaire.

 » Toutes les rencontres sont importantes, glisse le journaliste qui, en un peu plus de dix ans de carrière, a interviewé (presque) tous les grands designers contemporains. Ce n’est pas leur durée mais leur intensité qui compte. On peut croiser la route de quelqu’un. Ne jamais le revoir. Et en garder quelque chose en soi pour toujours.  » Témoignages tangibles de ces affinités électives, un buffet bleu roi signé Jaime Hayon pour BD Barcelona fait face aux chaises One et Myto de Konstantin Grcic, attablées avec deux Series 7 d’Arne Jacobsen, elles aussi bien nées.  » Mes premières pièces, je les ai achetées un peu par hasard, par chance même, confesse-t-il. Je ne recherche pas l’unité stylistique même si je fais attention à l’harmonie des accords. Au contraire, j’aime les mélanges. « 

Dans son dressing comme dans son intérieur, Dieter Van Den Storm pratique avec talent l’art périlleux du mix and match : ici, même la vaisselle est volontairement dépareillée, jusque dans le choix des coquetiers qu’il collectionne et achète toujours par deux.  » Si un jour je me marie, je mettrai sur ma liste le service de Louise Campbell pour Royal Copenhagen, plaisante-t-il en nous montrant une tasse mug revisitée par la créatrice danoise. Elle a repris tous les codes des modèles classiques en porcelaine bleu et blanc qu’elle a réussi à détourner intelligemment. C’est familier et intrigant, comme un puzzle. J’adore, vraiment.  » Sur le plan de travail de la cuisine, les couleurs douces un peu passées des bols en bois et céramique de Vincent Van Duysen répondent à celles des tables basses que l’architecte anversois a créées pour Pastoe.  » Avec le temps, mon goût a évolué, constate Dieter Van Den Storm. Plus jeune j’aimais le design très, très épuré. Aujourd’hui, je préfère les objets chaleureux. Il ne faut pas que ce soit trop clean, en tout cas. « 

UNE CURIOSITÉ AIGUISÉE

Ce sens du beau lui a été inoculé dès l’enfance, par un père professeur d’architecture d’intérieur à Sint-Lucas, à Gand.  » J’ai toujours été entouré de beaux objets, raconte-t-il. Dans la salle à manger, nous dînions sur les Ghost Chairs de Philippe Starck, mais je n’avais aucune idée de ce que c’était, à l’époque. Chez nous, c’était toujours nickel, bien rangé, ce qui n’était pas le cas chez mes copains. C’est peut-être comme ça que j’ai pris conscience de l’environnement exceptionnel dans lequel je vivais. Quand nous partions en vacances, le contexte était toujours culturel. Cela ne veut pas dire que ce n’était pas fun : mon frère, ma s£ur et moi, nous avions toujours du temps pour jouer, nager, nous amuser. Mais la destination était choisie aussi parce qu’il y a avait des musées à visiter, des sites intéressants à voir. « 

Dieter Van Den Storm se souvient avec acuité de l’étrange lampe posée sur le dessus de son piano qui le surveillait alors qu’il faisait ses gammes et enchaînait, enfant puis adolescent, les variations de Bach.  » C’était une Tizio noire, précise-t-il. Je ne la trouvais même pas belle. Juste bizarre, comme une sorte de grue articulée. Je ne connaissais bien sûr ni la marque, ni le designer ( NDLR : Richard Sapper). Encore moins la valeur artistique d’un tel objet.  » La lampe qui ne l’a jamais quitté occupe désormais une place de choix dans son bureau – où règne  » un bazar organisé « , sourit-il -, coincée entre les piles de magazines ( Monocle, Frame, Elle Decoration UK…) que ce journaliste, tatoué à la presse papier, accumule avec passion.

 » J’ai fait mes humanités chez les Jésuites, à Bruxelles, au collège Sint-Jan Berchmans, explique Dieter Van Den Storm. Ça n’a pas été une partie de plaisir tous les jours. D’ailleurs je n’étais pas un élève très brillant. Mais je dois reconnaître que l’on nous poussait à l’excellence, on nous empêchait de nous endormir. À la fin de mes études, je rêvais d’un boulot créatif, sans avoir d’idées précises pour autant. J’ai commencé par un baccalauréat en langues germaniques, à la KUB ( NDLR : une antenne aujourd’hui fermée de la KUL, à Bruxelles) mais au bout de trois ans, j’ai bifurqué vers la journalisme à la Lessius Hogeschool, à Malines.  » Un cursus qui le conduit d’abord à la télévision publique flamande où il travaille pendant cinq ans comme journaliste culturel sur la chaîne Canvas.  » Je crois que j’ai dû visiter tous les musées de Belgique, s’exclame-t-il. Une expérience extraordinaire – en télévision, il faut savoir travailler en équipe – qui a changé mon regard sur l’image en général et sur le cinéma en particulier.  » À côté de la cheminée, la bibliothèque en polypropylène expansé de Sean Yoo pour Casamania débordant de DVD – Rundskop, A Single Man, Atonement, The Reader mais aussi quelques perles plus  » easy going  » du cinéma indie comme (500) Days of Summer ou The Kids Are All Right – confirme en tout cas l’éclectisme de ses choix.

En 2005, deux ans après avoir entamé une collaboration régulière comme spécialiste design avec le Standaard Magazine, Dieter Van Den Storm est contacté par les organisateurs d’Interieur, à Courtrai.  » Une plateforme extraordinaire pour monter des expos, souligne celui qui assumera jusqu’en octobre 2012 le rôle de directeur artistique de la Biennale pour la quatrième et dernière fois. Jusque-là, comme journaliste, je pouvais parler des designers, de leur travail, de leurs projets. Et tout à coup, j’ai eu la possibilité de leur offrir un autre moyen d’expression. Ces deux aspects de mon travail sont complémentaires : la plupart des créateurs que j’ai exposés, c’est lors d’une interview que je les ai d’abord rencontrés. Qu’un lien s’est créé. Qu’une alchimie est née. Sans laquelle rien d’ambitieux ne peut se monter.  »

Accroché à la patère Hang It All, en total look black, de Charles et Ray Eames pour Vitra, un sac fourre-tout perdu parmi les tote bags de la Biennale d’architecture de Venise et du Salon du meuble de Milan, affiche un slogan –  » Bozar is all my life  » – que l’on sait aujourd’hui prémonitoire. À 35 ans, ce Bruxellois néerlandophone est, depuis le mois de juin dernier, le curateur de la nouvelle section Design du département Expo, à Bozar.  » J’ai à ma disposition un espace de 140 m2 baptisé White Box, détaille-t-il. La première exposition ( NDLR : prévue pour fin 2012) sera consacrée au projet Colour One for MINI du duo Scholten & Baijings.  » Dans cette installation montrée pour la première fois à Milan, en avril dernier, les deux créateurs néerlandais  » épluchent  » de manière graphique et ludique les différentes étapes de fabrication de la voiture.

BRUXELLES À TOUT PRIX

 » Ce qui est sûr, c’est que je ne veux pas me contenter de montrer des objets sur un socle, à moins qu’il ne s’agisse de pièces historiques fragiles ou de prototypes, insiste-t-il. Une expo design doit raconter une histoire, véhiculer une émotion, sans quoi, il suffit d’envoyer les gens voir des meubles dans un showroom. La valeur éducative est essentielle puisque l’on est dans un contexte muséal. Il sera bien sûr question de design mais aussi de tout ce qui touche à l’industrie créative au sens large, comme la mode ou le graphisme par exemple. « 

S’il compte bien faire jouer son formidable réseau pour attirer à Bruxelles, le temps d’une expo, d’un workshop ou d’une conférence, les pointures du design contemporain, Dieter Van Den Storm entend nous faire découvrir, au-delà du travail proprement dit de ces créateurs, l’univers qui est le leur.  » Tous ceux dont je suis fan, qu’il s’agisse de Jaime Hayon ou, dans un tout autre registre, de Mika par exemple, ont un langage très fort qui leur est propre, constate-t-il. Une part d’ombre assumée aussi. Comme Bruxelles. Une ville que j’ai découverte pendant mes études secondaires – je faisais alors la navette tous les jours depuis Dilbeek – et qui n’a jamais cessé de me fasciner.  » Davantage qu’Anvers qu’il trouve trop  » étriquée  » en dépit de son côté tellement attractif sur papier.  » Bien sûr, comme tous les Bruxellois, il y a des choses qui me font pester, admet-il. La gare du Midi est affreuse, le train qui relie le centre à l’aéroport de Zaventem est une vraie poubelle, c’est sale. Pourtant, en Belgique, je ne me verrais vivre nulle part ailleurs. Parce que c’est son côté trash aussi qui me plaît. Sans laideur, la beauté n’existerait pas. « 

PAR ISABELLE WILLOT / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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