Les reflets colorés du miroir Francis ou la noblesse paresseuse du Vertigo nous ont tapé dans l’oil au dernier salon Maison & Objet, à Paris. L’occasion était belle de rencontrer leur créatrice, Constance Guisset, dans son atelier pour un brin de causette décontractée.

De Constance Guisset, on connaît surtout les objets qui dansent en apesanteur et les couleurs suaves, tout un univers d’enchantement et de grâce onirique. Mais au-delà de cette image douce et éthérée apparaît une jeune femme énergique à l’£il pétillant, une sympathique pile électrique fan de compète et de sports collectifs.

Déjà sur les bancs de l’école, Constance s’amusait à bricoler pour tuer l’ennui, au point d’y gagner le surnom de  » Madame Tipp-Ex « . Élève aussi brillante que dissipée ( » du genre à perdre la médaille du travail pour mauvaise conduite « ), elle empoche le bac à 16 ans et, malgré d’évidentes dispositions pour le dessin, se dirige vers le commerce, puis entre à Sciences Po et passe un an dans le sillage d’un député au Parlement de Tokyo.

 » De retour en France, je me suis inscrite en gestion culturelle : fini d’être une bête à concours. J’ai travaillé dans la musique, puis dans une galerie où, même en faisant bien mon boulot, je n’avais aucune liberté. J’ai donc voulu changer et, pour satisfaire à la fois mes envies artistiques et ma sensibilité technique, le design s’est vite imposé. « 

C’est à cette période qu’a lieu la rencontre décisive avec les frères Bouroullec, dont elle fut l’administratrice culturelle, en cachette d’une école interdisant toute activité professionnelle. Un secret rapidement éventé qui ne l’empêchera pas de s’illustrer avec un ambitieux triptyque en guise de projet final : Fiat Lux, un globe lumineux dont le galet interrupteur lévite comme par magie, Duplex, une cage-aquarium, théâtre de la fascinante cohabitation oiseaux-poissons, et Tri3, une poubelle sur laquelle elle exerce ses talents à faire valser les objets, même les plus prosaïques.  » Ça a jeté beaucoup de bases pour l’avenir, j’y dévoilais les multiples facettes de mon travail.  »

Aujourd’hui, Constance Guisset collectionne les distinctions, voit aboutir une collaboration de longue haleine pour Dior et sa Dancing chair être éditée par Cappellini. Tout n’est pourtant pas rose dans un milieu qui exige de s’endurcir mais s’entête à la confiner dans un rôle étriqué de pourvoyeuse de douceur. Et lui reproche à l’occasion de prétendus excès de féminité, là où la délicatesse d’un homme aurait peut-être été saluée.

 » La société est restée plus dure pour les femmes. Je veux à tout prix conserver une ambiance familiale au sein de mon équipe car le monde est déjà assez violent comme ça. Et quand il faut aller défendre nos idées à l’extérieur, j’enfile ma carapace et j’y vais. « 

Il y a donc d’un côté, l’artiste tout en intelligence et en élégance posée, et de l’autre, la jeune femme rentre-dedans, avide de défis à relever ; comme lorsqu’elle accepte de concevoir la clé USB la plus résistante du marché ( » un vrai truc de warrior « ) ou la scénographie du Funambule, le spectacle solo du danseur Angelin Preljocaj. Casting parfait pour un moment de poésie suspendue, qui, comme nombre de ses créations, invite à la rêverie.  » J’essaie d’apporter une forme d’immatérialité dans nos vies très matérialistes. Je recherche la légèreté, l’émerveillement. Sans oublier une dimension ludique, une certaine espièglerie. C’est une évidence dans mon travail. On est toujours dans le jeu, l’illusion. Je suis quelqu’un d’extrêmement joueur.  » Un tempérament encore reflété par cet attrait des apparences instables (voir les boîtes Cairn, qui se moquent du porte-à-faux grâce à un système d’aimants) ou des explorations cinétiques (comme sur la photo ci-contre, le fauteuil à bascule asymétrique Sol,  » qui bouge même à l’arrêt « ).

 » J’évolue dans une sorte de classicisme en mouvement. Je n’aime pas l’instabilité en tant que telle. L’équilibre, le risque, le funambulisme, tout ce qui peut amener à la surprise m’intéresse, mais pas la chute. Le funambule, je le trouve beau quand il est là-haut sur le fil. « 

PAR MATHIEU NGUYEN

 » JE RECHERCHE LA LÉGÈRETÉ, L’ÉMERVEILLEMENT « 

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