Demeures victoriennes ou Regency, luxuriants jardins subtropicaux… l’ancienne capitale du coton a recouvré toute sa splendeur. Et invite à une sublime balade architecturale.

A u petit matin, Forsyth Park s’éveille sous les bruissements d’ailes d’oiseaux perchés dans les frondaisons des chênes verts. Soudain, les eaux jaillissent d’une gracieuse fontaine, provoquant la fuite éperdue des palombes et des écureuils en direction des sycomores, magnolias ou buissons d’azalées qui parsèment le parc à l’anglaise. Bientôt, joggeurs et chiens prennent le relais. Les cloches des églises tintent. Il est 8 heures à Savannah.

Du pont qui relie la Caroline du Sud à la Géorgie, Savannah se présente comme un petit bijou ponctué d’îlots de verdure. Une ville quadrillée, de dimension humaine, que son fondateur, l’officier James Edward Oglethorpe, a conçue à Londres en 1732 selon le plan d’un camp militaire romain. Sur 4 kilomètres carrés, 21 squares répartis de manière régulière, un vaste parc et un cimetière colonial sont desservis par des artères bordées d’arbres luxuriants. Dans ce cadre parfait, un patrimoine architectural élaboré au fil du temps a fait de Savannah une ville sans équivalent aux Etats-Unis.

C’est en 1733 que la couronne britannique investit ces territoires marécageux convoités par les Espagnols alors installés en Floride. Savannah va bientôt devenir la première capitale de la Géorgie. Mais il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que le rêve des nouveaux colons d’un  » paradis sur terre  » commence à prendre forme. Grâce au commerce du coton, Savannah devient en effet rapidement l’un des ports les plus florissants des Etats-Unis, où affluent des hommes d’affaires venus des Etats du Nord et de l’ancienne métropole britannique. L’âge d’or arrivant, la ville va bientôt prendre les allures d’un petit Londres sous le soleil.

Très vite, armateurs, banquiers et riches commerçants se mettent à passer commande à leurs architectes de la Nouvelle-Angleterre, de New York et même de Londres. C’est à qui aura la demeure la plus élégante ou la plus fastueuse. Aujourd’hui, tous les styles d’architecture postcoloniale sont représentés dans le c£ur historique de la ville : Federal, Regency, victorien, hellénisant ou italianisant, second Empire ou  » romanesque « . Un véritable musée à ciel ouvert qui se parcourt à pied de Forsyth Park aux bords de la Savannah River.

Parmi les maisons qui se visitent, Davenport House offre un parfait exemple d’architecture Federal dont l’austérité est atténuée par un élégant escalier double de fer forgé. Owens-Thomas House est une villa Regency achevée en 1819 dont la façade patricienne se déploie autour d’un portique de fines colonnes ioniennes. Andrew Low Hose, du nom d’un riche négociant anglais qui fit édifier cette maison de caractère hellénisant au milieu du XIXe siècle, possède un jardin raffiné donnant sur Lafayette Square. D’autres ne se visitent pas, mais on peut aisément admirer la diversité de leurs façades, la richesse de leurs balcons-terrasses, la luxuriance de leurs jardins subtropicaux. On ne saurait manquer Green-Meldrim House, cette somptueuse villa de style  » gothic  » dont le grand-père de Julien Green a été le commanditaire, Champion-McAlpin-Fowlkes House au monumental portique dorique, Armstrong-House, véritable petit palais italianisant ou encore Baldwin House, un manoir Queen Anne en briques rouges d’époque victorienne. En dépit de la diversité architecturale des bâtiments de la ville, une impression d’harmonie se dégage de l’ensemble grâce à la régularité du plan urbain, à ses espaces de verdure ainsi qu’à l’omniprésence d’une élégante ferronnerie d’art. A l’époque de la floraison des azalées, camélias, glycines et magnolias, parcourir les larges et élégantes allées de ce petit Boston du Sud est un plaisir sans cesse renouvelé.

La ville a pourtant connu bien des déboires. Amorcé avec la grande crise de 1929 et la chute des cours du coton, le déclin de la cité s’accentue durant la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain du conflit, une lady en visite à Savannah fait rougir la bonne société en qualifiant la ville de  » vieille aristocrate au visage sale « . La démolition de l’ancien City Market au profit d’un parking sera le signal d’alarme. Des dames patronnesses créent alors une fondation pour sauver d’anciennes résidences menacées. De son côté, le Savannah College of Arts and Design, en rachetant plus d’une cinquantaine d’immeubles à l’abandon, dont une armurerie, une prison, un théâtre et des écoles, apporte une contribution de taille à la rénovation du patrimoine. La perle du Sud a recouvré sa splendeur lorsque paraît  » Minuit dans le jardin du bien et du mal « , le best-seller inspiré d’un crime perpétré à Savannah, dont Clint Eastwood tirera un film. Ce n’est pas la première fois que Savannah se trouve placée sous les feux de la rampe. Elle a déjà servi de décor à une bonne trentaine de longsmétrages. Mais voici que la ville elle-même y joue un rôle majeur, avec ses endroits clés tels que Forsyth Park, Monterey Square, Gaston Street et, bien entendu, Mercer House, la maison du crime ! Sur tout ce parcours, il est désormais difficile d’éviter calèches et bus multicolores de touristes venus repérer les lieux mêmes du célèbre drame.

Cette  » disneylandisation  » a aussi ses bons côtés : plusieurs vieilles demeures ont été transformées en  » Bed and Breakfast  » dans lesquels le mobilier de style victorien ou Chippendale vous font remonter le temps. On n’y hésite pas à vous offrir, à l’heure du thé, du madère quand il ne s’agit pas d’un bloody mary, daiquiri ou mint julep. Elle n’a pas non plus altéré la traditionnelle politesse des gens du Sud. Impossible, par exemple, de traverser Forsyth Park sans être salué par des  » How are you doing today ? » Plus spontané encore est l’accueil réservé par la société noire de la First African Baptist Church : l’étranger de passage est bienvenu à l’office dominical, au milieu des tenues colorées, pour y suivre un service rythmé par les gospel songs.

Le soir venu, il ne faut pas hésiter à se promener dans le quartier de River Street. Arpenter le Factor’s Walk, l’ancien chemin des courtiers en coton, fait de pierres de ballast déchargées des navires venus d’Europe. Grimper les marches des escaliers qui mènent à Bay Street, hautes comme celles des pyramides mayas. Descendre enfin le long de la Savannah River, en se régalant des odeurs de sucre caramélisé, de cannelle et de clou de girofle qui s’échappent des boutiques fréquentées dans la journée par des touristes en route vers la Floride.

Ici se trouvent les anciens entrepôts où se déroulait l’incessante chorégraphie des balles de coton manipulées par des esclaves à l’aide de cordes et de poulies. C’est dans ces lieux de labeur, en total contraste avec la partie résidentielle de la ville, que s’est bâtie la fortune de Savannah. Sur les bords de la rivière, à présent empruntée par d’énormes porte-conteneurs, on se prend à rêver à l’âge d’or et aux trois-mâts qui rejoignaient l’Angleterre, les cales pleins à craquer de marchandises aujourd’hui disparues. On se risquerait même à fredonner  » Too Marvelous for Words « , un air célèbre composé par Johnny Mercer, un enfant du pays. Car Savannah, c’est aussi cela :  » Trop magnifique pour être dit avec des mots . » Ou trop beau pour être vrai ?

Texte: André Maisonneuve Photos : Jean-Marc Barr pour l’Express

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