A Londres, ils se démarquent par leur sens de l’épure. Repéré par le groupe de luxe Aeffe, le duo Sinha-Stanic, constitué par Fiona Sinha et Aleksandar Stanic, tisse brillamment sa toile en signant une nouvelle collection tout en raffinement.

L eur atelier est situé juste au-dessus de celui de la créatrice grecque Sophia Kokosalaki, dans ces blocs industriels de Tudor Street, nichés dans l’Est de Londres, la nouvelle pépinière de jeunes talents made in Britain. Déjà un bon présage. Un de plus. Car leur défilé printemps-été 2006, présenté en septembre dernier dans l’église Spitafield, toujours au c£ur de cet Est londonien tous les jours un peu plus trendy, augurait déjà du meilleur. Pour ce jeune couple à la ville comme sur les catwalks qui s’est rencontré lors de la Fondation Course (l’année préliminaire) du prestigieux Central Saint Martins College of London, la mode est une façon de s’inscrire dans son époque. Dès la fin de leurs études, un BA (Bachelor of Arts) en mode et imprimés pour lui, un MA (Master of Arts) en prêt-à-porter féminin pour elle, Fiona Sinha et Aleksandar Stanic fondaient le label Sinha-Stanic, né de l’association de leurs deux noms, l’un d’origine indienne, l’autre croate. Un nom à forte consonance japonisante pourtant, qui sied bien à cette recherche perpétuelle de l’essentiel, propre au couple.

Repérés à la Fashion Fringe en septembre 2004 (un concours destiné aux jeunes créateurs émergents), ils présentent, sous leur propre label, leur première collection automne-hiver 2005 dans le calendrier officiel de la London Fashion Week au printemps dernier. Repérés par Aeffe (1), ils signent dans la foulée un contrat avec le groupe italien qui assure depuis la production et la distribution de leur collection. Lors de leur second défilé, soutenu également pour la deuxième saison par le grand magasin Topshop, sponsor de la jeune création durant la London Fashion Week, le duo Sinha-Stanic s’est encore une fois démarqué par son minimalisme et son obsession de l’épuration qui contrastent avec l’excentricité des créateurs émergents. Leur collection est une mélodie d’été nostalgique et délicate constituée de vêtements à la coupe sobre et féminine qui bannissent le superflu. Avec des couleurs qui vont chercher dans la palette des blancs, des bleu nuit ou des rouge carmin, des imprimés discrets, des tailles élégamment ceinturées et des robes légères délicatement soulignées sous la poitrine, l’approche de Sinha-Static s’apparente plus à une philosophie de l’esthétique qu’à un simple exercice de style. Rencontre à Londres avec deux jeunes talents qui prennent la mode très au sérieux.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous avez choisi de présenter votre défilé printemps-été 2006 dans une église de l’Est de Londres. Un lieu en complète adéquation avec votre collection, très épurée…

Sinha-Stanic : Il s’agit de l’église de Spitafield qui venait juste d’être rouverte après des travaux de rénovation. Nous l’avons choisie car cela fait plusieurs années que nous vivons dans l’Est de Londres et que nous la regardions de l’extérieur. C’est vrai que l’atmosphère de cette église, avec son sol impeccable et ses hauts plafonds, correspond bien à la netteté de nos collections. Ce n’est pas simplement un lieu vide. C’est minimaliste mais il y a une émotion. Cela correspondait bien, selon nous, à l’esprit classique romantique de notre collection.

Classique romantique : est-ce ainsi que vous définiriez votre travail ?

Disons qu’il s’agit d’une nouvelle forme de minimalisme. En fait, nous épurons de plus en plus notre travail. Nous voulons que la coupe soit de plus en plus propre. Nous passons nos créations au filtre minimaliste. Mais il ne s’agit pas du minimalisme des années 1990. Même si le travail d’une Jil Sander, d’un Helmut Lang ou d’un Yojhi Yamamoto nous a beaucoup inspirés. Mais il y a peut être dans cette nouvelle forme de minimalisme plus d’émotion. Ce n’est pas froid et c’est très féminin aussi.

On a l’impression qu’il s’agit d’une collection très mature alors que vous avez chacun 25 ans à peine…

C’est sûr que cela ne ressemble pas à ce que font les jeunes créateurs à Londres. En ce sens-là, peut-être peut-on taxer notre travail de  » mature « . Nous ne partageons pas l’extravagance d’un Basso & Brooke ( NDLR : l’autre duo de créateurs soutenu par Aeffe) par exemple. Nous aimons polir le vêtement le plus possible.

Réduire à l’essentiel, il semblerait que vous ayez une approche très profonde de la mode…

Nous ne suivons pas un thème précis. Ce qui nous intéresse, c’est d’atteindre le c£ur des choses. Nous discutons ensemble de l’atmosphère que nous voulons donner à notre collection. Parfois, c’est très abstrait mais nous sommes toujours d’accord. On peut partir d’une photo, d’un article trouvé au marché de Spitafield par exemple et nous en retirons des impressions. Pour cette collection, il s’agissait de retranscrire les mémoires du passé, d’un été anglais romantique et nostalgique.

Vos origines culturelles (germano-croate et anglo-indienne) influencent-elles votre travail ?

Aleksandar : Moi, c’est plutôt l’Allemagne où j’ai grandi et les expressions artistiques de ce pays qui m’ont influencé, beaucoup plus que la Croatie.

Fiona : Quant à moi, même si mon père est indien, j’ai été élevée en Grande-Bretagne. En fait, je crois que ce qui nous caractérise, c’est que l’on a tous les deux grandi dans un environnement international. Nos familles, par leurs origines croate et indienne, sont très proches sur le fond. Nous voyons les choses de la même façon. Mais notre background ne se traduit pas de manière évidente dans notre travail.

Est-ce difficile de travailler en couple ?

Difficile de vous répondre car nous n’avons pas connu la vie de couple autrement, c’est-à-dire sans le travail ( rires) ! Nous nous sommes rencontrés à Saint Martins College, en première année. Nous avons présenté deux collections séparées lors de notre BA, mais dès la fin de nos études, nous avons créé ensemble le label Sinha-Stanic. Ensuite, nous avons participé à Fashion Fringe où nous avons remporté un prix. C’est en effet plus facile de travailler en couple car on subit moins de pression. On relativise davantage, on se soutient. Et puis, nous portons le même regard sur la mode.

Justement, quelle est votre idée de la mode ?

La mode, c’est ce qui nous entoure, c’est l’air du temps. Si nous n’avions pas fait de la mode, nous aurions fait du cinéma, de la musique ou quelque chose qui se rapporte à notre époque. Mais la mode s’est imposée d’elle même. Et puis, ce qui est génial avec un défilé, c’est de traduire un long processus de création en vingt minutes de spectacle seulement. Après quoi, on avance. Six mois après, c’est déjà autre chose. Cela nous correspond bien.

Quelles sont vos références en termes de mode ?

Ce qui nous intéresse, c’est d’imposer notre vision de l’esthétisme. Peu de créateurs sont clairs sur leur travail. A Londres, par exemple, la mode part dans tous les sens. Nous n’adhérons pas à ce courant d’excès dans la création. Il y a une véritable schizophrénie chez les créateurs. Rares sont ceux qui gardent un axe. L’exemple à suivre est celui d’Ann Demeulemeester qui s’en tient à ce qu’elle aime depuis des années. Parfois c’est à la mode, parfois ça ne l’est pas, mais elle continue. Cette saison, on a également adoré le travail de Jean Paul Gaultier pour Hermès car il s’inscrit parfaitement dans les codes de la marque tout en étant très moderne. Cela semble d’une justesse incroyable. D’autres créateurs, en revanche, restent bloqués aux années 1980.

Envisagez-vous de continuer à défiler à Londres ?

Pour l’instant oui. On est trop jeunes pour partir à Paris, on pourrait être noyés au milieu des autres créateurs. Quant à la Fashion Week de Milan, même si on commence à voir émerger des initiatives, elle n’est pas vraiment réputée pour sa jeune création. Nous y organisons simplement une présentation. Mais avant tout, nous voulons bâtir notre notoriété à Londres.

Vous avez été repérés par le groupe italien Aeffe avec lequel vous avez signé un contrat. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Notre contrat avec Aeffe court pour deux saisons encore. Sans ce soutien, nous pourrions dessiner les collections et monter un défilé, mais il nous serait impossible d’assurer la production et la distribution. Grâce à eux, nous avons accès à une très grande qualité de tissu. C’est la première fois qu’ils sponsorisent des jeunes créateurs. Ils disposent de marques très prestigieuses et ils voulaient se diversifier en s’intéressant à la jeune création.

A Londres, n’êtes-vous pas tentés de dessiner une collection pour le grand magasin Topshop ?

Ils nous l’ont proposé. Nous avons remporté deux fois le New Generation Award organisé par Topshop lors de la London Fashion Week. C’est vrai que c’est un énorme sponsor. Ils paient pour les défilés des jeunes créateurs. Mais nous ne sommes pas sûrs que ce soit une bonne idée de réaliser une collection pour eux. En effet, il faut être prudent car ils proposent des prix tellement compétitifs que, du coup, cela pourrait nuire à notre propre création. Comme nous utilisons de très beaux matériaux, nos vêtements sont relativement chers. Or, avec Topshop, nous pourrions faire la même collection, avec les mêmes matériaux, et elle serait vendue moins chère. Dès lors, pourquoi acheter du Sinha-Stanic chez Browns si on peut l’acheter chez Topshop meilleur marché ? Il faut auparavant que nous confirmions la notoriété de notre label.

(1) Le groupe Aeffe comprend Alberta Ferreti, Moschino, Pollini, Velmar, Philosophy di Alberta Ferreti, Moschino Cheap and Chic, Jean Paul Gaultier, Narciso Rodriguez.

Carnet d’adresses en page 152.

Agnès Trémoulet

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