Elles sont plus d’une à avoir troqué talons et défilés contre disques et tournées. Sauf que la musique de Karen Elson tranche avec les minauderies de ses collègues top models. Le rock classe mannequin.

Avec leur costard cravate et leur Borsalino, ses musiciens semblent tout droit sortis d’un vieux film de gangsters. Elle, grande rousse élancée au visage pâle, a plutôt tendance à s’afficher nature. Sans maquillage ni manière. C’est du moins ainsi, à l’état brut, qu’elle nous accueille dans sa loge un peu froide de l’Ancienne Belgique, à Bruxelles. Karen Elson a joué les top models pour les plus grands stylistes, prêté ses courbes et sa grâce aux créations de Jean Paul Gaultier et de Chanel. Mais si la plastique, c’est peut-être fantastique, la femme de Jack White, du duo rock The White Stripes, a d’autres aspirations que de remplir son frigo et son compte en banque avec un physique avantageux. À 31 ans, la Britannique a enfin décidé de se lancer sérieusement dans la musique et l’oiseau ne tombe pas du nid. Il a déjà donné de la voix sur un remix de Robert Plant et chanté Je t’aime moi non plus en anglais avec Cat Power sur un tribute à Serge Gainsbourg. Miss Elson a même failli sortir un album au début des années 2000 avant de tout envoyer promener.

 » Je ne le sentais pas, se souvient-elle, sûre de son fait. Je n’avais pas le contrôle des opérations, j’avais l’impression d’être une marionnette dont quelqu’un tirait les ficelles en coulisses. Je voulais pouvoir me regarder dans une glace et m’y reconnaître. La musique devait être quelque chose qui émane de moi et qui me ressemble. Je ne voulais pas gâcher la chance que j’avais d’enregistrer un disque (*). D’autant que quand tu es mannequin, tu n’as pas vraiment le droit à l’échec. On te laisse relativement peu de crédit.  »

Et de fait, elles sont plus d’une star des catwalks à s’être pris les pieds dans le tapis. Naomi Campbell, par exemple. Babywoman, l’album sorti par la panthère noire au milieu des années 90, s’est peut-être vendu à plus d’un million d’exemplaires, il a juste cartonné au Japon et le disque se trouve à un euro chez nous dans les (mauvaises) brocantes. À la fin du siècle passé, Caprice, elle, a signé un contrat de cinq disques avec Virgin, mais sa carrière s’est arrêtée après deux singles. Quant à Karen Mulder, après avoir repris un tube disco et chanté pour les Enfoirés, elle a enregistré un album passé totalement inaperçu avec Daniel Chenevez, membre de feu Niagara.

Les temps n’ont pas vraiment changé. Agyness Deyn, la petite chérie des défilés, n’a atteint que la 102e place des charts en chantant sur le Who des Five O’Clock Heroes, un titre égratigné par toute la presse musicale. Et on attend de juger sur pièce ce que nous réserve Irina Lazareanu, la copine d’enfance de Pete Doherty, à l’ouvrage depuis des plombes avec Sean Lennon.

 » Quand tu es mannequin, tu ne peux pas perdre ton temps à te demander ce que les gens vont penser de toi ou de ce que tu fais, épingle Karen Elson. Quand tu agis pour plaire aux autres, tu te plantes. Tu fonces droit dans le mur. C’est ce qui explique, je pense, l’échec de certains top models. Des mecs leur tombaient dessus et leur suggéraient d’enregistrer un disque parce que ces filles possédaient des voix géniales mais elles ne réfléchissaient pas à leur contribution. À ce qu’elles amèneraient d’elles dans ces projets. « 

Macho world ?

Pour les maisons de disques, un top model, c’est un peu comme une actrice. Scintillant. Facile à vendre aux magazines et aux talk-shows. Peu importe qu’elle sorte le disque de l’année ou une daube musicale. Pourtant, autant que du business et de ses pontes, les carrières de ces dames sont souvent lancées par les rockeurs eux-mêmes. Keith Richards et Anita Pallenberg, Seal et Heidi Klum, David Bowie et Iman, Adam Clayton (le bassiste de U2) et Naomi Campbellà Les musiciens se sont de tout temps acoquinés avec les égéries des grands créateurs. Il n’est finalement pas si surprenant que certains de ces messieurs poussent leurs belles à de plus ou moins éphémères reconversions. Ainsi, Kate Moss est-elle parvenue à chanter avec Primal Scream et à apparaître sur le premier Babyshambles de son ex Pete Dohertyà

 » Étant la moitié du mec que tout le monde épie dans l’industrie du rock, je craignais que les gens se demandent si j’avais réellement écrit les chansons, confie Karen Elson. Mais il suffit de penser à la situation de Charlotte Gainsbourg pour se consoler. Je ne suis que la femme de Jack. Elle, c’est la fille de Sergeà La fille de l’homme qui a révolutionné le monde francophone avec ses textes. On peut appeler ça de la pression non ? Et elle l’a très bien gérée. Pleine d’âme, elle a réussi à faire son truc avec une personnalité incroyable. Vulnérable et unique. « 

Ne pas compter sur Karen pour cracher sur la profession, égratigner ses collègues, et encore moins ses quelques amies du métier. Mais au-delà de son style rock’n’roll, elle a du caractère, la Elson.  » Mon monde n’est jamais macho. Je ne le laisse pas le devenir. Les misogynes, je leur mets une trempe, rigole la mère de famille installée à Nashville. Avec la musique, je suis dans mon univers. Un univers plus masculin que celui de la mode mais dans lequel il est encore possible de ne pas se laisser marcher sur les pieds et de résister à ceux qui essaient de vous dicter leur loi. Quand on essaie de m’imposer un truc, je fais le contraire. Je suis mannequin, on peut me prendre en photo tous les jours mais quand on parle de choses qui me touchent, m’émeuvent, je ne peux pas admettre le compromis. « 

Ann Demeulemeester et Patti Smith

S’habiller, se montrer, poser pour d’interminables sessions photosà Les métiers de chanteuse et de mannequin ont quelques points communs liés, de près ou de loin, au narcissisme. Karen Elson voit pourtant d’autres ponts entre les milieux du rock et de la mode.  » Pour moi, ce sont deux univers, deux états d’esprit fondamentalement différents, souligne-t-elle. C’est comme l’hémisphère droit et gauche du cerveau. Je pense que les designers, les mecs qui créent, ont plus à voir avec les musiciens que les top models. Ils comprennent la musique. Certains se laissent même réellement influencer par un disque alors qu’ils travaillent sur une collection.  » Karen a rencontré de nombreux stylistes profondément marqués par le rock.  » Ann Demeulemeester mettait toujours du Patti Smith en bande-son de ses défilés. Les créateurs intéressants dans la mode apprécient toujours la bonne musique. J’ai même découvert Leonard Cohen sur un catwalk. « 

(*) CD The Ghost Who Walks, chez XL Recordings.

Par Julien Broquet

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