Christopher Bailey, le chevalier de Burberry

Christopher Bailey vient de présenter la collection Burberry Prorsum à Londres lors de la Fashion Week. L’ambition du lord de la mode british ? Faire rimer artisanat et high-tech. Rencontre avec l’homme fort de la marque au trench.

Avec ses cheveux roux un peu ébouriffés et son visage poupin, Christopher Bailey, 40 ans, ressemble à un Oliver Twist qui aurait des attentions de vieille dame anglaise. Bien calé dans son vaisseau amiral amarré au noble faubourg parisien – 930 mètres carrés flambant neufs sur quatre étages, avec escalier en marbre de Corinthe et écrans dernier cri -, le directeur général de la création de Burberry vous tend une assiette de shortbreads en sirotant un cappuccino. « Je ne bois pas beaucoup de thé et je ne suis pas un grand supporter de foot, avoue-t-il. Peut-être que je ne suis pas si anglais que j’en ai l’air… »

Si peu ! Il n’y a qu’à voir la tenue à l’élégance savamment décalée – la veste de costume et le jeans confortable – dont il a fait son uniforme pour comprendre que, derrière le dandy cool et discret (il donne des interviews au compte-gouttes), derrière la frêle silhouette se cache le démiurge exigeant de Burberry.

De la ligne Burberry Prorsum, la plus hype, à la classique Burberry London, en passant par les lunettes de soleil, les parfums, la décoration, les montres… ou sa page Facebook, sur laquelle il converse régulièrement avec 9 millions d’amis. Rien ne sort de Horseferry House, le QG londonien de la marque (15 000 mètres carrés de bureaux, 850 salariés), sans son aval.

Pragmatique éclairé, passionné par le numérique, ce garçon modeste, élevé au rang de membre de l’ordre de l’Empire britannique, a modernisé l’héritage du trench. Bâtissant au passage un géant du luxe global made in Britain, coté en Bourse. Et qui ne connaît pas la crise : fin 2011, les ventes de Burberry ont bondi de 21 % pour frôler les 2 milliards d’euros… Un sacré revival, en somme, pour la marque de vêtements de pluie créée en 1856 par Thomas Burberry. Sa longévité, elle la doit aux tommies du premier conflit mondial, qui portaient dans les tranchées le célèbre imperméable, bientôt baptisé « trenchcoat » (manteau des tranchées).

Popularisé par Churchill, Somerset Maugham et le prince Charles, ce manteau intègre l’uniforme du détective (de Bogart à l’inspecteur Clouseau), avant de devenir l’une des stars du look BCBG. Des référents qui ne font plus vraiment rêver…

Voilà quelques décennies, pourtant, Burberry a tapé dans l’oeil de Christopher Bailey lorsqu’il découvre la marque sur le dos de son grand-père, dont il conserve pieusement le trench. « C’était un homme très élégant, qui faisait tout pour le paraître, même en costume de travail (il était électricien). Sur lui, un simple tee-shirt devenait raffiné, car il se tenait très droit », raconte-t-il.

À l’époque, le futur créateur de Burberry n’est encore qu’un garnement du Yorkshire, comté industriel du nord du Royaume-Uni. Son père est menuisier, sa mère, elle, arrange les vitrines chez Marks & Spencer. C’est dire si la mode est loin de lui : « J’étais plutôt un gosse débraillé aux cheveux en bataille et aux jeans déchirés, toujours dehors, à grimper aux arbres, à vélo. » Il la découvre en venant étudier au Royal College of Art de Londres.

Cette nouvelle vocation le conduit chez Donna Karan, à New York, puis chez Gucci, où il passera six ans à dessiner les collections Femme au côté de Tom Ford. Il lui restait à rencontrer son Pierre Bergé (sa moitié business, comme dans le cas d’Yves Saint Laurent). Ce sera l’Américaine Rose Marie Bravo – remplacée en 2005 par sa compatriote Angela Ahrendts -, qui flairera le cerveau commercial derrière le talent créatif.

Le duo va devenir une fabuleuse machine de guerre. Propulsé à la tête de la création, le transfuge de Gucci découvre alors « une maison vivant dans le passé. Un passé fabuleux, certes, mais sans lien avec le monde moderne », explique-t-il. Et qui commettait des faux pas : avec une pub montrant Kate Moss en Bikini Nova Check, la marque avait cherché à capitaliser sur le tartan qui orne ses doublures… Mauvaise pioche : les chavs, ces banlieusards fondus de foot et de bière, l’arborent avec fierté sur leurs casquettes et leurs écharpes… Du coup, Burberry va délaisser peu à peu cet emblème highlander.

Qu’à cela ne tienne, la modernisation viendra par le trench. Transclasses et transgénérationnel, ce manteau incarne la diversité contemporaine, réinterprété de saison en saison, teint en rose vif ou délavé comme un jeans, en toile parachute ou brodé de perles de bois et de raphia au printemps dernier, dans un esprit africanisant. « Avec lui, le trench s’est mis à parler à un garçon de 20 ans comme à son grand-père, analyse Tancrède de Lalun, directeur des achats Homme au Printemps, à Paris. Tout le monde projette quelque chose sur Burberry. Christopher Bailey a su capitaliser sur toutes les facettes : la mode, l’intemporalité, la qualité, l’esprit british. » Et imposer son romantisme moderne, à une époque obnubilée par le show-off.

Cette approche « émotionnelle » lui vaudra le titre de créateur de mode masculine de l’année aux British Fashion Awards, en 2007 et en 2008. En dix ans, Bailey a su ainsi redorer le blason d’un certain dandysme bucolique à l’anglaise, avec ses amples silhouettes drapées dans des manteaux d’inspiration militaire, sa palette terrienne – tourbe, kaki, lichen, sauge – électrisée de jaune citron ou de tons métallisés. « J’aime ce qui est un peu usé, imparfait, une certaine nonchalance dans l’attitude, confie ce passionné d’artisanat. Mon père est menuisier. J’ai grandi avec l’idée excitante qu’on peut faire naître un objet d’un simple bloc de bois. »

La collection de l’hiver 12-13 en était la preuve éclatante. Hommage aux gentlemen qui vagabondent entre ville et campagne, elle revisite l’art du tailleur anglais et ses étoffes traditionnelles (tweed, cachemire, velours…) sur des cabans classiques ou des vestes de chasse. Mais aussi des costumes ajustés, nouveau fer de lance de Burberry, qui pourrait les proposer, à l’avenir, en sur-mesure via son site Internet.

Artisanat et high-tech. Tel est aujourd’hui le mantra de Burberry, qui a été l’une des premières marques à investir le Net, pour mieux rajeunir son image. Désormais, les défilés sont transmis en direct sur Twitter, et les clients peuvent commander aussitôt la pièce de leur choix. Mais il y a aussi Artofthetrench.com, un site sur lequel les adeptes de l’imperméable envoient leurs photos, dans l’esprit de The Sartorialist. « Dès que quelqu’un y poste une image, je la glisse dans mon mur d’inspiration, avoue Christopher Bailey. J’adore les réseaux sociaux, car c’est un échange à double sens. »

Pourtant, ce geek assumé a bien les pieds sur terre. Tous les week-ends, il part se reposer et jardiner dans sa maison du Yorkshire, « une ancienne ferme avec vue sur les moutons et les vaches ». « Ici, dit-il, nous avons une architecture et des musées formidables, où j’ai découvert très tôt David Hockney et Laurence Lowry, qui m’ont beaucoup inspiré », confesse-t-il. Tout comme la musique, une véritable passion, qu’il cultive sur le site Burberry Acoustic en révélant des jeunes talents. Ou en habillant la chanteuse Adele, dont il est un fan absolu, lors des derniers Grammy Awards.

Car Bailey adore mettre en scène l’aristocratie arty made in Britain, et il ne se prive jamais de s’en faire une vitrine pour l’étranger. Au printemps 2011, par exemple, il a recruté, pour sa nouvelle campagne publicitaire, le jeune acteur Eddie Redmayne, à l’affiche de My Week With Marilyn. Mais l’inverse est aussi vrai.

En revenant faire défiler la femme Burberry Prorsum à Londres en 2009, la griffe a redonné à la capitale son aura mode. En juin dernier, elle a accueilli aussi sa première vraie Fashion Weekmasculine, à l’initiative, notamment, de Christopher Bailey. Un signe envers Milan, où défile toujours l’homme Burberry ?

Charlotte Brunel

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