Eva Velazquez, un travail de mémoire sur les traces des vêtements oubliés

© SDP

Il suffit de l’écouter pour avoir envie, comme elle, de sauver les vieux vêtements de travail, se les approprier et s’inventer ainsi une garde-robe unique. Eva Velazquez a le chic pour réhabiliter ces pièces anonymes qui finissent souvent au rebus et dans lesquelles elle voit des oeuvres d’art. Suivez l’exemple.

Elle ne customise rien ni ne fait dans le vintage. Sa tâche est autre, de même ses intentions : Eva Velazquez sauve de l’oubli, d’une petite mort certaine, parfois de la destruction sauvage, des vêtements anciens qui ont été portés, usés, rapiécés, raccommodés, aimés. Elle remonte dans le temps, jusqu’à fin 1800 et s’arrête dans les années 40, 50 du siècle dernier, collectionne les pièces qui ont vécu, souvent uniques, utiles, si pas nécessaires voire vitales, en tout cas qui ont une raison d’être, faites pour travailler, dormir, se protéger du froid, être belle le dimanche. Avec une bienveillante fascination, elle tente de les comprendre, lire les taches, traduire les accrocs, répondre aux points d’interrogation. Tout ça pour mieux les laver délicatement avec des savons qu’elle met au point elle-même, tenter de les récupérer, les remettre dans « leur état initial », celui que ces habits avaient quand « quelqu’un les a mis au monde », elle a appris à chiner les boutons ad hoc, les tissus du même acabit, les matières d’époque, tout a une raison – « Je reconnais les pièces qui sont dans mon univers, elles me trouvent et me parlent, il y a un sens à pourquoi elles sont là sur mon chemin. »

Cet amour-là ne lui est pas venu à la naissance, même si les étés de son enfance à Minorque, elle portait aux pieds « las menorquinas », ces souliers que les paysans des îles Baléares enfilaient pour aller travailler, faits de cuir récupéré et d’une semelle en pneu détourné. Pour le reste, elle a grandi à Barcelone, étudié au Lycée français, parce que sa mère aimait cette langue et l’idée d’une éducation « moins traditionnelle et moins catholique ». « Heureusement pour moi », Eva Velazquez sait être reconnaissante.

Pour l’heure, elle est assise sur un tabouret en bois qui ne dépareille pas avec le décor de sa micro boutique, ravissante, de la rue Franz Merjay, à Bruxelles. Cela sent le vieux cuir et, où que l’on pose le regard, c’est un enchantement pour qui aime les choses usées, les cicatrices de la vie, le fait main et les matières d’avant le pétrole. Elle déroule le fil de son parcours, des études de sciences économiques en Espagne, de psychologie avec Erasmus en Belgique, un enchaînement de boulots qui n’ont rien à voir : avec des enfants dans un centre ouvert, chez Armani, à Anvers, où elle commence par ranger le stock, à la boutique I. de B. puis chez Zadig & Voltaire pour qui elle devient directrice retail pour la Belgique, développe la Suisse et démarre l’Espagne avant d’occuper le même poste mais chez Bellerose dès 2010. A l’époque, elle n’est pas encore tombée en amour pour les vêtements anciens, cela viendra plus tard, après une période de grande lassitude, c’était il y a quatre ans, « il était temps de passer à autre chose ». Aujourd’hui, elle est donc « dans une autre phase », elle a cessé de dépenser beaucoup d’argent pour garnir sa garde-robe de griffes – Acné, Isabel Marant, Alexander Wang, Lanvin, Balenciaga… Elle chine, connaît comme sa poche les marchés aux puces d’Angleterre, des Etats-Unis et d’Espagne et conclut : « C’est le vêtement qui m’a éduquée. »

Elle a donc inventé sa voie, Eva Velazquez, avec Ancien Atelier, qui réinsuffle ainsi de la vie aux trouvailles qu’elle sort de sa caverne d’Ali Baba. Et avec une ligne contemporaine à son nom, qu’elle travaille avec Hugo, son frère styliste, lequel signe par ailleurs sa propre griffe. A partir de tissus issus des grandes maisons ou de matières anciennes chinées, ils réinterprètent – mais à peine – les coupes des modèles qu’elle a collationnés amoureusement, une robe tablier, une veste paysanne, un pull tricoté main et composé de fils récupérés…

A l’aube, vous la croiserez peut-être place du Jeu de Balle, à Bruxelles, elle y est tous les jours. Plus tard, si vous poussez la porte de sa ravissante boutique, vous aurez la chance de l’entendre rire, sa voix de rocaille vous cueillera là, inspirée, elle vous montrera tous ses trésors enracinés, qui désormais ont l’éternité devant eux.

Eva Velazquez, Shop Atelier, 56, rue Franz Merjay, à 1050 Bruxelles.

ww.evavelazquez.be

LE CALEÇON LONG

Eva Velazquez, un travail de mémoire sur les traces des vêtements oubliés
© GASTON LAFOND, MODEL CHARLOTTE COLLARD

« Ce caleçon d’homme d’intérieur était une pièce « invisible », cela m’amuse de le dévoiler au grand jour. Il est facile à combiner avec une blouse à rayures inspirée d’une vieille chemise que j’ai chinée, je me demande d’ailleurs si ce n’était pas un costume de théâtre ou de spectacle très, très ancien, le volume est magnifique et la découpe au niveau des manches sublissime. »

LA ROBE SÉVILLANE

Eva Velazquez, un travail de mémoire sur les traces des vêtements oubliés
© GASTON LAFOND, MODEL CHARLOTTE COLLARD

« Elle est inspirée d’une robe de communion ou de flamenco, pour fillette ou jeune ado, chinée à Madrid. L’original est incroyable, il date des années 20 et était très détérioré, je l’ai soigné. Après, je l’ai recréé dans un 100 % coton, en vichy car j’avais envie de casser le côté folklorique avec une touche sage et intemporelle. Je la porte avec des espadrilles catalanes que l’on enfile pour danser la sardana. Mais on peut aussi l’accessoiriser avec des hauts talons et une petite veste un peu évasée ou de travail, j’aime les mélanges. »

LA SALOPETTE

Eva Velazquez, un travail de mémoire sur les traces des vêtements oubliés
© GASTON LAFOND, MODEL CHARLOTTE COLLARD

« C’est un vêtement de travail que je trouve très contemporain, d’ailleurs toutes les marques l’ont adopté. Elle est confortable, elle date des années 40 ou 50, et son coton usé est un rêve total de douceur, sa patine est magnifique, on dirait de la soie tellement il a bien vieilli. J’aime l’histoire qui s’y est inscrite, toute cette énergie du travail manuel. Et puis, il a été rapiécé avec du fil vert, j’y vois de la beauté, pour moi, c’est une oeuvre d’art, je sais c’est subjectif. »

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