Rencontre avec le Belge Olivier Theyskens, intime et fulgurant

Il a désormais 40 ans et passé la moitié de sa vie à faire de la mode. Après la haute couture et le mid-market, Olivier Theyskens revient à ses premières amours : une collection à son nom présentée à Paris dans l’intimité. Il n’a rien perdu de sa fulgurance.

© Thomas Deschamps

Il s’est assis à la table de Sonia Rykiel, le serveur vêtu de noir, tablier blanc, l’a appelé par son prénom, il a ses habitudes ici, il a toujours aimé le Flore. C’est l’endroit idéal, un peu mythique certes, pour parler de son travail, d’autant plus qu’il a préféré s’extraire un moment de son studio dans le IIIe arrondissement de Paris où se prépare sa deuxième collection, réfléchir tout haut à son « projet », sa marque qu’il a relancée et présentée lors de la Fashion Week en septembre dernier.

Un printemps-été 2017 à son nom, le retour, 25 silhouettes défilant dans l’intimité, avec en guise de décor un cadre de métal noir suspendu au plafond, qui permet de se concentrer sur ce qui importe, ses vêtements.

Olivier Theyskens a eu quatre vies, déjà : les débuts fulgurants du jeune prodige (1997-2001), la maison de couture révérée surtout pour ses parfums qu’il faut faire renaître de ses cendres (Rochas 2002-2006), une autre vénérable qui entend changer de direction (Nina Ricci 2006-2009) et le mid-market américain (Theory 2010-2014).

Rencontre avec le Belge Olivier Theyskens, intime et fulgurant
© Dessins Olivier Theyskens

Le voici redevenu parisien et indépendant, avec une saison placée sous le signe de la fraîcheur et de la rigueur. Il a changé, l’existence l’a façonné, et cela lui va bien. Déjà quand il était étudiant à La Cambre mode(s), il avait préféré quitter l’école, choisissant de se frotter à la vraie vie plutôt que de s’y essayer pour du semblant. Avec une grande confiance en lui, un peu sur un coup de tête mais réfléchi tout de même. A l’époque, il avait attendu avant de présenter son travail, à Paris. Et puis, il a patienté encore la saison suivante, l’été 99, pour produire ses pièces, refréner les ardeurs des acheteurs qui désiraient du Theyskens dans leur vitrine, parce qu’il estimait ne pas avoir trouvé les bons producteurs.

Rencontre avec le Belge Olivier Theyskens, intime et fulgurant
© CLAESSENS DESCHAMPS / DESSINS : OLIVIER THEYSKENS

De même, s’il a décidé de se lancer à nouveau dans l’arène, c’est parce qu’il considère que c’est « le bon moment ». Il est permis de hausser un sourcil interrogateur, à l’heure où les maisons se cherchent pour inventer un nouveau schéma économique, passant par le see now buy now, la communication urbi et orbi et l’utilisation à plus ou moins bon escient d’influenceurs followés et likés, autres temps, autres moeurs.

A la fin, Olivier Theyskens se dira enchanté de ne pas avoir par trop plongé dans le passé, car seul le présent compte, et un peu le futur, même s’il est la somme de ce qu’il fut, il ne le niera pas. Avec sérénité, il dessine ce qui fait son essence, à la perfection.

Cette collection été 2017 ouvre un cycle et résume en condensé tous les autres. Dans quel état d’esprit étiez-vous lors du défilé ?

C’était une priorité pour moi de représenter une collection à mon nom et de me consacrer complètement à ce projet. Je ne l’ai pas pris comme un début mais comme une continuité, j’ai toujours conservé l’idée de relancer ma marque. J’ai laissé des réminiscences du passé réapparaître, j’ai créé des clins d’oeil fortuits sans plus grande intention que d’oser dire : « Je n’ai pas peur de montrer des choses que vous savez que j’ai faites, je n’ai pas peur des étiquettes, c’est moi. » Il m’a semblé que c’était un bon moment pour faire ce type de petits liens parce que pas mal de temps s’est écoulé et que, quand on crée, on s’adresse à de nouvelles générations qui ne savent pas forcément ce qui fut réalisé avant.

© Thomas Deschamps

Votre show fut intime, en dessous de votre studio parisien, était-ce votre voeu ?

A la base, je n’avais pas l’intention d’organiser un défilé, j’avais dans l’idée d’être calme dans cette histoire de relance. Il est arrivé un peu comme une nécessité. J’ai eu le désir d’un rapport très proche avec tout le monde, j’ai encouragé les acheteurs à venir me rendre visite la semaine qui suivait, pour montrer les vêtements et parler de la collection. On s’est positionné le premier jour de la Fashion Week, je me sentais bien en version légèrement décalée par rapport à l’agenda officiel ; je ne voulais pas être « trop ». A la présentation, nous étions une centaine de personnes, 100 % du monde des médias parce que les acheteurs, j’allais les rencontrer après, en rendez-vous direct et personnel. Ce n’était pas une volonté d’agir différemment mais de faire ce qui me semble juste.

Ce printemps-été ne porte pas de titre…

Rencontre avec le Belge Olivier Theyskens, intime et fulgurant
© CLAESSENS DESCHAMPS / DESSINS : OLIVIER THEYSKENS

Généralement je n’en donne pas, pourtant, j’en avais un : Crèvecoeur, parce que c’est le nom du modèle de la dentelle et que le tartan vient de l’usine Crevacuore en Italie, j’ai pensé que c’était un signe. Et puis, c’est une chanson de Marie Laforêt, j’ai toujours trouvé en elle la même beauté à la française que j’aimais chez la soeur de ma mère. Et cette collection est partiellement une ode à mes origines normandes, je ne suis pas sûr qu’il existe un tartan normand mais ce tissu-là me faisait penser à ma famille maternelle. Il est apparu comme ça, j’aime sa rusticité, tout comme ces petites fleurs brodées ou ces volants de taffetas. J’ai l’impression, dans mon travail, qu’existe ce mélange entre mon esprit belge et une approche « à la française ».

Vous faites la part belle au tailoring, et depuis toujours en réalité…

C’est naturel, j’ai une main « tailleur ». Et les expériences que j’ai vécues ont encouragé cette approche, j’aurais ressenti un manque de ne pas me consacrer à un tel développement. Depuis 1997, il n’y a pas eu une collection sans tailoring, si ce n’est à l’époque de Rochas, bien qu’à la fin, il y en ait eu ! Dans le cas présent, je me suis laissé aller à faire ce que j’aime voir sur les femmes.

© Thomas Deschamps

Et le biais, est-ce une signature ?

Je ne pense pas avoir une signature sur une technique. Mais c’est vrai que l’une des parties de la réflexion sur le vêtement concerne souvent l’aspect technique, tout le travail étant de trouver comment le réaliser. Les éléments esthétiques, on les a en tête, c’est bon, les choix sont faits, mais ensuite, l’exercice est d’ordre pratique : comment l’exécuter, par qui, comment ajuster et que ce soit comme on le désire.

A l’instar d’aujourd’hui, on s’ennuyait un peu dans la mode en 1997 quand vous y avez fait vos premiers pas…

On ne s’ennuyait pas mais cela faisait un moment qu’il n’y avait pas eu de nouvelles étapes franchies. Quand j’ai démarré, une génération est apparue, qui a donné un coup de sang frais, les gens en avaient envie, il y avait de l’espace pour la nouveauté.

Et maintenant ?

Rencontre avec le Belge Olivier Theyskens, intime et fulgurant
© CLAESSENS DESCHAMPS / DESSINS : OLIVIER THEYSKENS

Dans l’absolu, oui. En tout cas, j’ai ressenti qu’il y avait de la place pour ce que je crée, parce que mon travail véhicule des valeurs qui sont recherchées, des valeurs de beauté pensée, de qualité d’exécution, de luxe et de modernité. Toute mon attention est portée sur une recherche de qualité, la collection est positionnée sur la partie haute du prêt-à-porter de luxe. Mais je veux rester puriste, je ne cherche pas à apporter des décorations pour justifier la qualité. Seul compte le travail de coupe, de matière… Je n’ai aucun souci à utiliser parfois des techniques rétro ou visionnaires ensemble : l’important, c’est que le résultat donne un sentiment de modernité.

En somme, vous êtes un « vieux » créateur, cela fait vingt ans que vous êtes dans le métier et vous n’aviez pas 30 ans que vous étiez déjà classé parmi les sept plus grands couturiers par le magazine Vogue.

Je ne me sens pas « jeune créateur » mais je pense que mon esprit est assez frais. J’ai fêté mes 40 ans, c’est vrai que c’est symbolique, j’ai déjà travaillé vingt ans, mais la notion du temps, il faut la considérer comme un paramètre flexible. C’est passionnant d’en parler avec des gens plus âgés, qui ont entamé des étapes importantes à 50 ans, comme Karl Lagerfeld. Il le dit lui-même, notre monde est obnubilé par l’image de la jeunesse mais en réalité tout le monde vieillit.

© Thomas Deschamps

Qu’avez-vous retenu de vos années américaines chez Theory ?

J’ai adoré l’expérience, c’est une grosse boîte, dans le giron du groupe japonais Fast retailing, mais la philosophie est restée américaine. A la base, nous nous étions rapprochés parce qu’il y avait eu une excitation mutuelle à l’idée, dans ce secteur de l’industrie, le mid-market, sachant que Theory a toujours été un précurseur en la matière, de pouvoir avoir un point de vue de designer et un oeil de créateur sur l’évolution de la marque. Mes cinq années là-bas ont été consacrées à cela, afin de la rendre très pointue pour renforcer son positionnement.

Mission accomplie ?

Je suis parti de chez Theory le coeur léger, on a réalisé des merveilles ensemble. Mais je ne pouvais pas rester là-bas ad vitam, ce serait devenu le projet de ma vie. Il était temps de donner une nouvelle priorité à mon travail.

Dorénavant, quand vous créez, quelque chose a changé ?

Rencontre avec le Belge Olivier Theyskens, intime et fulgurant
© CLAESSENS DESCHAMPS / DESSINS : OLIVIER THEYSKENS

Oui, mais pas seulement à cause de mon expérience aux USA. Je pense que toute mon approche aujourd’hui est immanquablement le résultat de ce que je suis. Et de toutes les expériences que j’ai vécues.

Quand vous quittez New York en juin 2014, vous consacrez trois mois à la robe de mariée de votre amie Nell Diamond. C’était impérieux de vous offrir ce luxe-là, du temps et de l’artisanat ?

Cette robe m’a pris le temps d’une collection. J’étais comme dans une année sabbatique et je voulais m’amuser. C’était un bonheur. Et ça permet de comprendre mieux l’importance de la concentration. J’ai un grand respect pour les couturières émérites, il faut donner le meilleur de soi pour réaliser une pièce impeccablement, cela exige temps et talent.

Etes-vous attaché à la transmission des savoirs ?

J’ai l’habitude d’accueillir des stagiaires, je siège souvent dans des jurys d’école… J’ai envie que les étudiants chez moi vivent une expérience intéressante, je les considère tout de suite comme des membres de l’équipe sachant qu’ils travaillent sous la supervision de quelqu’un, j’aime cette énergie propre à ceux qui démarrent et qui en veulent. Je n’ai pas de conseil à leur donner, toutes les personnalités sont différentes et il est difficile, quand on est jeune, d’avoir une vraie observation sur soi. La vie est une bonne école.

Saviez-vous depuis toujours que vous vouliez vous exprimer à travers le vêtement ?

© Thomas Deschamps

J’ai très tôt considéré que c’était ce que je ferais, je dessinais tout le temps et j’ai commencé à esquisser des dessins de mode en 1987, très à la sauce 80 donc, je les ai encore. Je suis arrivé à La Cambre comme un bleu, en 1994. Récemment, j’ai traversé l’école et ses jardins. Comme cela ressemble à Harry Potter, l’école des sorciers version Belgique, une vieille abbaye avec un parc, dans un univers empli d’étudiants créatifs… J’aimais énormément les cours de dessin d’anatomie d’après modèle vivant, ce qui n’avait rien à voir avec la mode. Apprendre, c’est se concentrer sur un sujet, et c’est là que je me suis mis à le faire. Cela se passait bien mais j’avais envie de faire les choses en vrai. Je suis parti un peu sur un coup de tête.

La mode belge, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Il est important de cultiver l’idée que ce pays est fort pour sa scène mode, il s’avère être un vivier pour beaucoup de créatifs et d’industries. Je suis fier de venir de Belgique. Cependant, il faut que chaque histoire de mode deviennent indépendante du reste et ne soit pas trop assimilée à un groupe. D’ailleurs, les maisons belges sont libérées de leurs attaches, Dries Van Noten, Martin Margiela, je ne les mets pas dans un seul paquet.

Avez-vous été nourri par ces créateurs-là ?

Evidemment. Ne fût-ce qu’en réagissant à ce que j’avais vu et en créant ma propre version. On ne peut pas être aveugle à ce qui se passe autour de soi. Et se conforter sur ses propres points de vue, c’est déjà réagir. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus ouvert à apprécier les autres démarches, alors qu’avant j’étais un peu buté. Je suis plus zen vis-à-vis de ce qui se fait autour de moi. Je suis surtout heureux de ce que j’accomplis, cela me permet peut-être d’être un peu libéré.

Vous présentez votre deuxième collection ce 28 février lors de la Fashion Week à Paris. Vous mettez-vous la pression ?

Naturellement. Ce serait malsain de ne pas se la mettre. Cela dit, j’aime quand on rate un peu le coche sur une saison et qu’ensuite vient une belle collection, c’est très humain.

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