Nathalie Dufour, fondatrice et directrice de l’ANDAM: «  »Vas-y entièrement », c’est le seul conseil que je donne à un jeune qui veut se lancer »

© Renaud Callebaut
Anne-Françoise Moyson

Elle a porté à bout de bras le projet de l’Association nationale de Développement des Arts de la Mode et son concours international, les ANDAM Fashion Awards, né en 1989. Le nom des lauréats de sa 33e édition sera dévoilé ce 30 juin, à Paris. La ville mérite son titre de capitale fashion un peu beaucoup grâce à Nathalie Dufour.

Les nouvelles générations ont des leçons à nous donner. Je suis à la fois dans l’étonnement et l’émerveillement: je les trouve audacieuces et engagées, avec un discours extrêmement construit. Elles sont passionnantes, convaincantes, avec de l’épaisseur. Les jeunes créateurs sont traversés par toutes les questions de notre époque. Je remarque qu’il y a chez eux une grande ambition de créer des collections qui soient le plus sustainable possible, que les matériaux soient les plus nobles et les plus durables, avec le désir d’être dans l’excellence du savoir-faire.

J’ai toujours été passionnée par la mode. Ma grande sœur avait une copine modèle. Elle défilait pour Azzedine Alaïa, Mugler, Montana… Cela me fascinait. Elle m’invitait à des shows quand j’étais toute gamine. J’ai ensuite étudié l’histoire de l’art à une époque où la mode n’était pas reconnue comme une industrie culturelle, contrairement au design ou à la photo. C’était il y a plus de trente ans. Je me souviens que convergeaient alors tous les talents vers la Cour du Louvre, il y avait une réelle effervescence créative portée par les Japonais et les Belges.

On peut ne pas être sûr de soi et en même temps porté par une détermination. J’ai eu la chance d’avoir le soutien et l’engagement de Pierre Bergé, alors président du Défi, l’organisme chargé de défendre les couleurs de l’industrie textile française. Il me laissait porter mon projet mais au moindre souci, il était là. Il fallait que je sois à la hauteur de sa confiance, c’était stressant pour la jeune femme que j’étais, d’autant plus que je venais du Havre et que je n’avais aucune famille qui habitait Paris. Mais j’avais la certitude que mon idée de suivre la jeune garde et de l’accompagner dans son développement était la bonne.

Un prix, cela peut changer une trajectoire. Martin Margiela fut notre premier lauréat de l’ANDAM, en 1989. Il m’a confié qu’avec la bourse de 100 000 francs, il avait monté sa collection Artisanale, plus couture. Je pense que quelqu’un comme lui n’avait pas besoin de cette reconnaissance pour exister, même s’il s’est senti valorisé. Je désirais donner des lettres de noblesse à ce secteur, l’affirmer dans sa dimension culturelle. J’ai l’impression d’avoir été un peu celle qui imposait le fait que la mode, c’était des artistes, des créatifs et qu’il fallait les valoriser comme on le faisait pour toutes les autres sphères de la création contemporaine. C’est aujourd’hui devenu indiscutable.

Il y a quelque chose de très profond chez les créateurs belges. Je pense à Glenn Martens, à Stéphanie D’heygere, qui ont été nos lauréats, à Ester Manas, qui fut finaliste en 2021, à toute cette génération formée dans les écoles belges. Je les trouve très ouverts. Il y a également chez eux une rigueur, un sérieux magnifique. On sent qu’ils sont solides, que l’on peut vraiment s’appuyer sur eux.

Le minimalisme semble de retour. Même si tous les courants cohabitent. Je vois des collections plus profondes, un peu plus cérébrales, comme si effectivement ces années de remise en question et de grand chamboulement à la fois social, économique et sanitaire avaient recentré le propos. Je constate une certaine économie de moyens, avec une vague de vêtements plus classiques, moins ludiques, que l’on peut envisager de garder des années.

La mode n’est pas un art mais il faut un artiste pour la faire. C’est une phrase de Pierre Bergé. C’est vrai que Saint Laurent faisait des robes mais il aurait pu faire des tableaux. D’ailleurs, il a créé des robes-tableaux. Sans créativité, pas de mode. Grâce à l’intelligence artificielle, les ordinateurs font des robes que tout le monde attend. Ce n’est pas de la mode comme je l’entends.

Vas-y entièrement. C’est le seul conseil que je donne à un jeune qui veut se lancer, et cela vaut pour la mode. Je constate que les jeunes filles ne sont pas très sûres d’elles, alors je leur répète: «Vas-y, ne te laisse pas influencer par ce qui pourrait te tirer en arrière. Et si tu te plantes, au moins tu auras vécu une expérience.»

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