Exclu: Pierre Bergé nous parle de l’exposition Yves Saint Laurent à Bruxelles

A partir de 30 janvier, une exposition de pièces encore jamais exposées offrira une nouvelle lumière sur l’esprit d’innovation d’Yves Saint Laurent. Entretien avec son compagnon et associé, Pierre Bergé – devenu à son tour un monument vivant.

Il a 82 ans et un peu de mal à marcher à cause d’une maladie des muscles, mais sinon c’est un Pierre Bergé en pleine forme qui nous attend à l’Espace Culturel ING Bruxelles. L’ancien compagnon et associé du « dernier grand couturier du monde » est en Belgique pour préparer Yves Saint Laurent Visionnaire, l’exposition de mode qui s’ouvre ce mercredi, Place Royale.

Pierre Bergé a l’air détendu (« Je ne prends pas de café, merci ») et, malgré sa réputation d’être peu friand de médias, consacre plus d’une heure à cet entretien. Comme si nous avions tout le temps du monde, alors qu’il est attendu à Paris.

Petit monde suspect

Bergé est un homme aux multiples visages. Un commerçant en livres d’occasion sans diplômes, ayant construit un empire de la mode d’une main de fer, actionnaire majoritaire du journal Le Monde mais également propriétaire d’une maison de vente aux enchères à Paris et à Bruxelles et un « patron de gauche » avec des tentacules dans différents domaines. Dans la mode, – comme ancien président de la Chambre syndicale du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode, et fondateur et dirigeant de de l’Institut français de la mode, – mais également en politique – où il fréquente et conseille des présidents de gauche et de droite et a été le mécène de Ségolène Royal pendant des années. Il a également été bailleur de fonds, producteur ou président de théâtres et de musées tels que le Centre Pompidou. Bref, Bergé connaît presque tout le monde et tout le monde connaît Bergé.

Il est l’ami et le manager du peintre Bernard Buffet depuis huit ans, lorsqu’en 1958 il est présenté à Yves Saint Laurent. Ce dernier lui a alors montré sa première collection pour Christian Dior, la célèbre maison de mode dont le fondateur venait de décéder. « Je m’en souviens comme si c’était hier », déclare Bergé. « Buffet et moi étions fort amis avec Dior. Pas à cause de sa mode. Celle-ci ne m’intéressait pas, je n’avais même jamais vu ses défilés. Mes passions à Paris étaient la littérature, la peinture et la musique – la mode me semblait un monde suspect. Jusqu’à ce que le représentant français de Harper’s Bazaar nous invite à un dîner en présence d’Yves. Une soirée animée où j’ai reconduit tout le monde chez lui, Yves en dernier. Si rien ne s’est passé ce soir-là, le courant est passé immédiatement. Six mois plus tard, j’avais quitté Bernard et je vivais avec Yves, le reste est de l’histoire. »

La mode comme miroir

Trois ans après leur rencontre, Bergé a trouvé le financement nécessaire pour lancer la maison de mode d’Yves Saint-Laurent. Pourquoi a-t-il pris un nouveau tournant dans sa vie ? A cause de la vulnérabilité d’Yves Saint-Laurent, reconnaît Bergé. « Comme beaucoup de génies il était très timide, et cela me touchait énormément. Mais en plus de son charme, il possédait une grande intelligence, un aspect de sa personne qui est malheureusement beaucoup moins connu. Pour Yves, la mode n’était pas un art mais un miroir de l’air du temps. Elle raconte notre société et notre histoire, les moeurs et les convictions qui régnaient à un certain moment – même parfois la politique. Yves comprenait très bien cela. C’est pourquoi il a tant accompli dans la mode. Il comprenait parfaitement ce qui vivait dans la société et quelles étaient aspirations des femmes, il voulait les accompagner et les rassurer. »

L’homme aime rappeler comment lui et le créateur ont diversifié leurs activités et se sont mis à créer du prêt-à-porter, à côté de la haute couture – une révolution dans le cercle des créateurs. « Je ne sais pas si les générations futures seront familiarisées avec l’oeuvre d’Yves Saint-Laurent – on verra. Mais je sais comment il devrait être évoqué : comme l’homme ayant sorti la mode de son cocon esthétique et artistique et l’ayant transformé en phénomène social. Chanel avait fait quelques tentatives dans cette direction, mais c’est Yves qui a engendré une véritable révolution. Il ne considérait pas les femmes comme des objets et le but de ses vêtements n’était pas seulement de les embellir. Il ne travaillait pas non plus pour une petite élite de dames aisées, mais pour les femmes actives et modernes qui travaillent, roulent en voiture et sont indépendantes. Celle-ci ne sont pas servies par une mode reposant uniquement sur les fantasmes des couturiers.

Pas de nostalgie

Sur le plan amoureux, le tandem Saint Laurent-Bergé a duré jusqu’en 1976. Le couple s’est alors séparé en toute amitié. Bergé est resté CEO d’ Yves Saint Laurent jusqu’en 2002, l’année où le créateur a fait ses adieux à la mode et au département haute couture . Saint-Laurent est décédé le 1er juin 2008, à l’âge de 72 ans.

Depuis, l’oeuvre du maître domine toujours la vie de Bergé. Ainsi, il est président de la Fondation Pierre Bergé- Yves Saint Laurent depuis dix ans, la fondation qui gère l’héritage du créateur et organise des expositions autant à Paris que dans le reste du monde. L’expo à Bruxelles montrera une centaine de pièces de haute couture et de prêt-à-porter, en plus de croquis, de tissus, de dessins de bijoux, de documents inédits et d’images d’archives.

« Pour moi, une telle expo, est toujours une confrontation au passé, mais il n’est pas question de nostalgie », dit Bergé. « Cela ne me dit absolument rien et regretter ce qui est passé encore beaucoup moins. Je veux être un homme qui vit dans le présent- même à mon âge. Je consacre une grande partie de mon temps à chérir le passé, mais ceci est différent. Il s’agit de l’oeuvre d’un artiste et du plus grand couturier du XXème siècle. Les expositions attirent toujours énormément de monde, l’intérêt est phénoménal – ceci prouve à lui seul que l’oeuvre et la fondation en valent la peine et que nous devons protéger son héritage. »

Wim Denolf

Yves Saint Laurent Visionnaire, du 30 janvier au 5 mai à l’Espace culturel ING, Place Royale 6, 1000 Bruxelles. Infos: 02 547 22 92, www.ing.be/art.

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