(Ana)chronique: Public cible

Le lobby de la NRA défend la culture des armes à feu avec une pugnacité redoutable. © KAREL DUERINCKX

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

« Happiness is a warm gun », « le bonheur est un flingue encore chaud », chantait John Lennon en 1968, encore abasourdi d’avoir lu une phrase aussi insensée, fût-ce en titre d’un article du Rifleman, magazine américain dédié aux armes à feu. Quelques années plus tard, le génial binoclard du Fab Four sera malgré lui le point de départ d’une campagne en faveur du contrôle des armes, mais on ne s’attardera pas sur ce tristissime épisode, pour revenir sur la publication qui avait retenu l’attention du rêveur, plus de vingt ans auparavant. L’illustré en question, The Rifleman, n’est autre que le journal officiel de la National Rifle Association, et il est assez étonnant de constater que c’est justement en 1968, et suite à deux autres assassinats retentissants, ceux de Martin Luther King Jr et de Bobby Kennedy, que la NRA décidera de peser dans l’arène politique états-unienne. Ce qu’elle fit avec un indéniable succès, car un demi-siècle plus tard, au beau milieu du mandat de Donald Trump, elle prétendra compter jusqu’à six millions de membres. Galvanisés par l’élection de leur poulain à crinière blonde, ses dirigeants vivent leur meilleure vie mais négligent de mobiliser les troupes ou de convaincre de nouveaux adhérents, et la compta commence sérieusement à tirer la tronche. La suite, ou plutôt, la chute, passe par la Justice et une série d’accusations, conflits d’intérêts, abus de biens sociaux ou encore fraude financière, avant une faillite, fin janvier, pour échapper aux poursuites.

Ce serait dommage d’entraver la marche du progrès par excès de précaution.

Ce spectaculaire revers serait-il en partie imputable à la chère jeunesse américaine, qui souhaite enfin évacuer les pétoires de l’espace public, comme c’est déjà le cas dans nombre de pays civilisés? Oui et non. Jusqu’en 2012, la NRA bénéficiait d’opinions favorables de la part des deux tiers du public US, tous âges confondus: on ne badine pas avec le sacro-saint Deuxième amendement, dans un pays où l’on peut souvent acquérir une arme trois ans avant de pouvoir entrer seul(e) dans un bar. Toutefois, il semblerait que la question des armes d’assaut, et leur promotion éhontée, aggravée par des réactions ineptes aux tueries de masse, aient réussi le tour de force de mettre d’accord une majorité d’ados, démocrates comme républicains; à croire qu’ils ont déjà assez de problèmes, pour en plus devoir craindre de se faire tirer comme des lapins alors qu’ils cirent tranquillement leur banc d’école.

Pour retrouver les faveurs des teenagers, le salut des amis de la gâchette passera peut-être, une fois n’est pas coutume, par un coup de pouce venu de Russie – où, comme partout, le marketing avisé nourrit l’innovation bien sentie. En début de mois, Kalachnikov était donc très fier de présenter son MP-155 Ultima, premier fusil intelligent, connecté, synchronisé et équipé d’une caméra. Un engin inspiré des jeux vidéo et « destiné aux hipsters et à la génération Z » qui laissera perplexe les maladroits, insensibles à la prouesse que représente ce « smart shotgun », capable de répliquer des fonctions dont s’acquittent déjà bon nombre de téléphones relativement communs, sans risquer de tuer quelqu’un. Qu’importe: ce serait dommage d’entraver la marche du progrès par excès de précaution. De toute façon, le facteur-clé du succès de cette soi-disant « arme gadget » résidera dans sa capacité à trouver son public cible, de préférence du bon côté de la gâchette.

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