Bien vu

© RENAUD CALLEBAUT

Enfant, il croyait dur comme fer qu’il était invisible. L’acteur, qui est en ce moment sur les planches, à Paris, pour Ramsès II et bientôt au cinéma, dans le film de la Belge Nawell Madani, a fini par exister sur la scène, l’écran et même dans la vraie vie. La preuve, nous l’avons rencontré.

Il a longtemps joué les types qu’on croise et qu’on ne regarde pas. Un employé des postes, un père jésuite, un pharmacien, un flic, souvent un flic d’ailleurs. La paupière lourde et l’oeil perçant, le physique dépressif, on appelle ça la tête de l’emploi. Il a dû attendre la quarantaine pour se faire un nom et un visage. Aujourd’hui, François Berléand, 65 ans, signe des autographes et tient le haut de l’affiche. Une revanche pour celui qui, enfant, se pensait invisible et croyait fermement que les miroirs ne lui renvoyaient pas son image mais celle d’un inconnu.

Il sera bientôt sur grand écran, dans le film de l’humoriste belge Nawell Madani, C’est tout pour moi (en salle le 29 novembre), et se produit en ce moment dans la Ville lumière pour Ramsès II, une pièce non-sens où il incarne un bourgeois qui part en vrille.  » C’est mon univers « , explique avec enthousiasme l’acteur devant un café crème, en face du théâtre des Bouffes parisiens.  » C’est la troisième comédie de Sébastien Thiéry que j’interprète. J’aime son sens de l’absurde et de la dérision, ça vient peut-être de mes ascendances belges.  » Son grand-père maternel était originaire de Verviers. Dans son autobiographie, parue en 2006, Le fils de l’homme invisible, dans laquelle il évoque son enfance fragile marquée par un dédoublement de personnalité, l’acteur consacre quelques lignes à  » papy Constant  » mais réserve ses plus belles pages à la branche paternelle ashkénaze, plus haute en couleur… Une grand-mère comédienne de théâtre yiddish et l’ombre du  » papouchka « , le papa de son papa, qui parlait  » plein de langues « , mort dans les camps de concentration en 1944. Sa famille était arrivée de Moldavie à Paris, en 1926. Chez François, on discutait en français, en russe, en allemand. De quoi enflammer l’imagination. Il a 16 ans quand le psychologue de son lycée lui conseille de devenir acteur. L’idée fait son chemin. Les docteurs de l’âme n’ont pourtant pas ses faveurs.  » Entre 11 et 18 ans, j’ai été suivi par de nombreux psychothérapeutes. J’étais plutôt un bon élève mais j’étais dyslexique, dysorthographique et gaucher contrarié. Je suis venu à la lecture par la BD, le fait de lire avec une image m’a beaucoup aidé.  » Il possède 5 000 albums, reste fan de la ligne claire, admire Blake & Mortimer et Tintin,  » même s’il a un côté réac épouvantable « , précise-t-il en se marrant. Un fétiche arumbaya a longtemps orné l’entrée de son appartement.  » Malheureusement, aucun de mes quatre enfants ne s’intéresse à la bande dessinée.  » Pas même ses deux filles jumelles de 8 ans et demi, nées de sa relation avec l’actrice Alexia Stresi, sa compagne depuis une dizaine d’années.

A quelques jours du premier lever de rideau, il ne cache pas ses angoisses. La trouille est toujours là, vissée au ventre, malgré ses années de métier. Peut-être parce que le théâtre demeure sa passion.  » Grâce au rapport direct que l’on a avec le public. Sur un tournage, on crée des liens avec l’équipe mais on ne sait pas comment le film va être monté, ça vous échappe.  » C’est à la scène et à Claudel qu’il doit sa rencontre décisive avec Nicole Garcia, en 1990. Ils partageront leur vie pendant douze ans. Elle l’a aidé à passer de l’ombre à la lumière, à prendre confiance en lui, dit-il. Il situe le déclic professionnel au moment de Fred (1997), un thriller avec Vincent Lindon.  » Pour la première fois au cinéma, j’ai bossé mon personnage. A chaque prise, mon jeu montait en puissance. C’était nouveau pour moi.  » Pour la profession aussi. Les réalisateurs lui proposent des rôles plus complexes et le font passer du deuxième au premier plan.  » C’est Nicole qui m’avait dit : « Dans un long-métrage, un acteur n’a pas grand-chose à faire, il n’a pas plus d’une ou deux scènes importantes, mais celles-là, il ne faut pas les louper. »  » Il n’a pas oublié la leçon, visiblement.

PAR ANTOINE MORENO

 » J’aime son sens de l’absurde et de la dérision, ça vient peut-être de mes ascendances belges.  »

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