Nina Bouraoui

La dualité et les interrogations sont une constante chez Nina Bouraoui. Quoi de plus confus que l’amour ? A l’affût d’une émotion naissante, entre un homme une femme, l’auteur sonde leurs fébrilités et leurs doutes intérieurs. Tout sépare, à priori, cette quadra écrivain et ce jeune lecteur admiratif… Pensive, la romancière plonge son regard vert dans l’encrier de son intimité pudique, sincère et sympathique.

Que vous inspire votre prénom ?
Ma double identité. Mon prénom « administratif » est Yasmina, mais en guise de second baptême, j’ai choisi Nina. Comme je n’étais qu’une enfant, c’était plus doux à prononcer.

Et votre nom de famille ?
Symbolique, il signifie « le conteur » en arabe. Je l’ai appris tardivement, mais ce devait être mon destin. Peut-être qu’on n’est pas si libre que ça…

L’écriture vous permet-elle de ne plus  » être perdue à l’intérieur de vous-même »?
L’écriture est une évidence, un territoire qui m’a permis de trouver ma place dans le monde. En dépit de ses zones noires, je n’imagine pas mon existence sans elle.

Pourquoi vous définissez-vous comme une artiste ?
Parce l’écrivain comprend une posture intellectuelle. Or je ne suis pas une penseuse, mais un auteur sensitif. J’écris avec mon corps. La sensualité n’est pas séparée de l’esprit. J’aime la création, jusque dans la forme de ce livre qui ne forme qu’un bloc. Dans le sentiment amoureux, il n’y a pas d’air. On est juste replié sur soi et sur l’autre.

Avant d’écrire, vous étiez tournée vers la peinture…
Ma peinture était abstraite car intérieure. Mais dépourvue de talent, je me sentais impuissante et frustrée. L’écriture traduit mes sentiments et ceux d’autrui. Ereintante, elle est très physique, mais moins solitaire que le dessin. Quand je peins, le temps n’existe pas.

Peintres préférés?
Mon rapport à l’art est sauvage. Parmi mes préférences, il y a Vélasquez et certaines périodes de Picasso. J’apprécie aussi la photographie, des installations vidéo, la poésie, les oeuvres éphémères et inattendues qui contribuent à la légèreté du monde.

Si vous étiez un tableau ?
J’adore les natures mortes et les compositions romantiques, mais je me verrais bien en femme de Balthus.

Un instrument de musique?
Le piano pour le son, pas pour la frappe (rires). Ma grand-mère en jouait très bien, mais à mon grand regret, ce n’est pas mon cas.

Un tatouage ?
Sur les autres, j’aime les tatouages féminins, ciselés, japonais, comme les colibris ou les fleurs de cerisiers. Mais étant angoissée, j’ai du mal avec tout ce qui est définitif.

Un mot qui « renferme le mieux une promesse » ?
L’amour, parce qu’il n’est fait que de promesses qu’on essaye de tenir.

Quels écrivains vous ont façonnée ?
Marguerite Duras, à cause de son écriture identifiée et de sa musique. Belle, sexy, courageuse et élégante, Annie Ernaux me touche beaucoup.

Les livres qui vous ont aidée à « traverser vos jours de peine »?
Le Puit de solitude de Radcliffe Hall, une saga culte qui aborde l’amour impossible entre femmes. Adolphe de Benjamin Constant est le chef-d’oeuvre absolu ! Avec Mes parents, Hervé Guibert m’est essentiel. Enfin, Madame Bovary, que je relis pour sa langue et sa mort théâtrale.

Qui sont vos muses ?
La personne que j’aime, quelqu’un qui me lit depuis toujours et ceux qui me veulent du bien. La sonorité de Passion simple d’Annie Ernaux reste inspirante, mais Sagan est ma vraie muse. J’aime me sentir regarder par elle.

Qu’apporteriez-vous dans votre « boîte de survie » ?
Un stylo et un carnet. J’en ai toujours sur moi, car l’écriture ne prévient pas.

Qu’expriment vos livres ?
Mes premiers romans m’ont permis d’évacuer la violence, ce résidu du passé, cette mémoire ancestrale que j’avais en moi. Puis, ils se sont mis à décrire des amours compliquées, des désirs impossibles. J’aime explorer la fragilité et la solitude des êtres. En quête de beauté, j’estime que l’artiste a pour mission d’insuffler du Beau. Aussi ce roman est-il heureux, lumineux.

Le précédent s’appelait Avant les hommes. Se situe-t-on ici « avant l’amour »?
Oui car on est dans l’attente. J’aime l’image d’un couple tissant sa toile amoureuse et faisant connaissance par les mots. Il faut une concentration intense pour s’ouvrir à quelqu’un qu’on ne connaît pas, qui devient soudain indispensable. La rencontre m’intrigue. Elle comprend un basculement, un dénuement et un abandon qui nous mettent en danger.

L’attente, fertile ou infernale ?
La zone blanche est l’attente de l’autre. Je suis fascinée par l’imagination, la construction du fantasme. Quand on rencontre l’autre, on pénètre un monde étranger. Puis, on découvre son enfance, son odeur, son souffle et ses peurs. C’est presque livresque tant cela renferme ce qui constitue l’être humain. On apprend de soi chez l’autre. Il peut nous révéler ce qu’il y a d’insoupçonnable en nous.

L’amour, liberté ou prison ?
Si c’est une prison, je me sauve ! Les amours destructrices ne sont pas pour moi. Aimer l’autre, c’est le rendre libre. J’en ai besoin pour écrire. Il y a des êtres qui vous mangent l’écriture et d’autres qui ne vous volent rien.

Quel genre d’amoureuse êtes-vous ?
Une amoureuse fidèle et loyale, qui peut avoir mauvais caractère. Je suis sanguine, mais je m’améliore (rires). L’amour me rend presque mielleuse…

Est-ce un roman d’espoir ?
Totalement. Tout comme la narratrice, j’ai été désabusée et blessée par l’amour, au point de perdre la foi. Mais si on ne croit plus en lui, en quoi peut-on encore croire ? J’espère que ce livre donne envie de tomber amoureux. J’ai opté pour un homme et une femme, qui n’ont pas le même âge, car cette différence les fragilise. C’est ce camp-là qui me touche le plus du côté humain. Moi aussi, je suis née d’une différence…

Qu’est-ce qui vous touche chez cette héroïne de 40 ans ?
Sa prise de conscience du temps qui passe. Elle aime un jeune homme de 23 ans, or cette jeunesse peut aussi être fragile. Ce souffle les porte et les réunit. Je suis agacée par cette société jeuniste. C’est émouvant de voir ses parents vieillir. Suivre le chemin du temps est vertigineux.

Couples mythiques ?
Lauren Bacall & Humphrey Bogart, Sartre & de Beauvoir, Françoise Sagan & Peggy Roche, car on ne peut pas les séparer l’un de l’autre. Au-delà de l’amour, ils sont liés à quelque chose qui les dépasse… Comme Marguerite Duras et Yann Andréa, que j’ai eu la chance de rencontrer. Quel couple étrange, si tendre, si complice. J’ai été séduite par la différence d’âge qui unissait l’écrivain et son plus grand admirateur.

Le plus beau compliment qu’on puisse faire à l’auteur que vous êtes ?
Que mon livre a sauvé quelqu’un de quelque chose, a amélioré sa vie. Si on peut guérir une personne, l’espace d’une lecture, tant mieux.

Et à la femme ?
Que j’ai gardé toute ma douceur, que j’ai peur de perdre. Il est toujours agréable d’entendre qu’on est belle, mais l’image de soi dépend tellement de son état mental. Désormais, je suis de mieux en mieux dans ma peau.

La mode utile ou futile ?
Nullement frivole puisqu’elle fait partie de l’air du temps. J’aime m’inscrire dans le monde. La mode m’intéresse beaucoup. Un écrivain est quelqu’un comme les autres ! Je veux être au courant des dernières tendances. Cet automne, j’ai flashé sur l’imprimé écossais.

Style vestimentaire?
Tantôt j’opte pour le style garçon, tantôt je mets des robes romantiques. J’aime mettre du noir ou du gris avec une petite touche à la mode.

Créateurs favoris ?
Vanessa Bruno, Isabel Marant, Zara ou H&M. J’aime les choses jolies, élégantes et discrètes, sans être invisibles. Une blouse romantique, un tee-shirt en V blanc ou un pantalon slim sont mes must. Comme je vis dans le Marais, je suis entourée de boutiques.

La sensualité, c’est…
Impalpable. J’aime l’image de la peau sous le soleil : la chaleur est aussi celle de l’amour.

Vos rêves déçus?
Quitter l’Algérie de façon brute, à 14 ans. C’est une cassure nostalgique. Je rêve de retourner sur les lieux de mon enfance.

Ceux qu’il vous reste à réaliser ?
Vivement que la route des livres ne s’arrête jamais.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

Appelez-moi par mon prénom, par Nina Bouraoui, Stock, 112 pages.

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