Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Durant tout l’été, Le Vif Weekend zoome sur de grands photographes et leur vision de la femme. Pour poursuivre cette série, Jeanloup Sieff nous plonge dans les années 1960 avec un océan de noir et blanc charnel. Ses femmes fatales et bercées d’Amérique fantasmée, ont le chic français. Forcément français.

Né à Paris dans une famille d’origine polonaise, Jeanloup Sieff décroche en 1959, à l’âge tendre de 26 ans, le prestigieux Prix Nièpce pour un reportage sur le Borinage : ses portraits de mineurs, de désolation et de tension sociale y ont beaucoup de force. Voilà une façon de dire que cet architecte de la beauté sait naturellement saisir le mouvement de la vie, fut-elle condamnée aux noirceurs de l’oubli. Avec sa bonne gueule de pirate courtois, Sieff, va naviguer d’eaux salées en piscines climatisées avec la même aisance dandy. Passant sa relativement courte vie – il est mort en 2000 à l’âge de 67 ans – à saisir l’inaltérable beauté de la femme, modes et époques confondues. Pourtant, sa décennie bénie est celle des Sixties flambées, d’ Elle, Vogue et Harper’s Bazaar. Cela se voit et se sent à la manière dont il saisit le corps féminin, affiché dans un mix d’élégance, de juste provocation et de classicisme. D’une certaine manière, les femmes de Sieff ont l’allure de créatures antiques revisitées par ce qui fait rêver la décennie : le swinging London, le Miami exotique, la Californie libérée, l’Amérique enfin décoincée. Sieff se sert volontiers du décor naturel des villes : maisons, statues, voitures, terrasses, toutes généralement abonnées à un chic épanoui. Il lui arrive aussi de plonger dans le vert. Ainsi, Jeanloup photographie l’une des icônes des Sixties, l’Anglaise Mary Quant, planquée dans les fougères : la maigreur absolue dans la verdeur, c’est synchro. Dans la formidable photographie qui nous concerne, saisie en 1964 à Palm Beach, on dirait une héroïne hitchcockienne se laissant prendre en flagrant délit de naturel sensuel. L’image est un guide intemporel de ces années-là. Le chapeau est mutin, comme le nez, prometteur, et cette peau blanche aristocrate semble violemment snober le soleil cramé de Floride. On sent la très jolie Astrid prête à se laisser prendre par les rayons de la lumière. Ou peut-être pas. C’est toute l’ambiguïté délicieuse des images de Sieff qui, à ce moment-là en tout cas, se contente d’une promesse d’érotisme, sans doute parce que la suggestion est souvent plus sexy que le nu frontal. Travail qu’il opérera très occasionnellement dans les décennies suivantes. A l’époque, prendre en photo un mannequin de dos constitue une révolution, tout au moins un acte d’indiscipline notoire. Sieff déplace les conventions vers un territoire inédit, se sert du dessin coquin de la robe, tout en ménageant l’agencement des lumières et du cadre, dignes d’une peinture d’Ingres.  » Mes photos sont autant de petits cailloux noirs et blancs que j’aurais semés pour retrouver le chemin qui me ramènerait à l’adolescence « , dira-t-il . De fait, la jeunesse est le passeport de la plupart des images sieffiennes : on y vit et pose, sans entraves. Se dégage ce sentiment précieux qu’il n’est guère possible d’aller plus loin dans la géographie du corps, retenu mais émoustillant. Sieff y fait preuve d’un noir et blanc engagé qui perdure alors que la couleur est depuis longtemps une convention. Sieff s’en fout et emmène la gravité des noirs, la nuance des gris, aux portes de l’extase. Ses images ne cesseront de voyager et les Etats-Unis seront souvent l’antichambre de son offrande visuelle. Sur son beau site officiel (1), on voit d’ailleurs qu’entre le relief d’un paysage de la Vallée de la Mort et celui de cette Femme involontairement provocante, Paris 1978, il y a la même façon inattendue, charnelle, composée, de saisir la beautéà

(1) www.jeanloupsieff.com

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 » Sieff emmène la gravité des noirs, la nuance des gris, aux portes de l’extase. « 

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