Née aux Etats-Unis il y a une dizaine d’années, la  » littérature de poulette  » trouve aussi dans l’Hexagone des plumes à la hauteur. A commencer par celle de Géraldine Maillet, qui signe French Manucure, version parisienne – et très réussie – de Sex And The City.

La  » chick lit « , quèsaco ? Petit rappel pour les profanes : c’est l’abréviation de  » chick literature  » , autrement dit  » littérature de poulette « , un filon éditorial révélé en 1996 par Sex And The City, compilation des chroniques drôles et féroces de la journaliste américaine Candace Bushnell, dans le New York Observer, sur les m£urs des branchées friquées de Manhattan – incarnées à la télévision, et aujourd’hui au cinéma, par le quatuor glamour que l’on sait. Un an plus tard, en 1997, la Britannique Helen Fielding donne la parole à une célibataire à peine trentenaire, complexée par ses kilos en trop, obsédée par sa solitude : son Journal de Bridget Jones connaîtra lui aussi un succès phénoménal. Ces deux livres ont ouvert la voie au Diable s’habille en Prada, à Blonde Attitude, Mariée à tout prix, etc., et toute une flopée de livres à l’eau de  » rosse « , qui ont définitivement encanaillé le traditionnel roman sentimental, prenant à la fois pour cible et pour modèle un public féminin entre 25 et 35 ans, donnant la parole à des héroïnes sans tabous, délurées, décidées. La  » chick lit  » s’est ainsi mise à l’heure d’un postféminisme bourré de paradoxes, entre fringale de fringues et de mecs, liberté chérie, obligation d’être au top tout le temps, mais aussi obsession de décrocher le gros lot conjugal.

C’est exactement ce que vivent les quatre héroïnes de French Manucure, le nouveau roman de Géraldine Maillet, qui rehausse sacrément le niveau de la  » chick lit  » française, jusqu’alors décevante, trop popote, trop cheap. Ex-mannequin, actuellement chroniqueuse à Ça balance à Paris, sur Paris Première, et réalisatrice d’un court-métrage intitulé Un certain regard (avec Julie Gayet et Stéphane Freiss), ce beau brin de brune livre là une version frenchie irrésistible de Sex And The City, d’une plume acérée, avec plein de dialogues très crus et de répliques cinglantes. Soit quatre Parisiennes qui dînent ensemble chaque mois. Noé, 36 ans, vraie blonde, ancienne anorexique, les seins refaits, les paupières liftées, très riche, très snob, vit mal son divorce et craint de voir son fils lui échapper. L’excentrique Clarisse, 32 ans, travaille dans l’événementiel haut de gamme, lève un peu trop souvent le coude et vit mal l’indifférence grandissante de son mari. Jeanne, 29 ans, ex-fêtarde, s’est racheté une conduite (catholique) en faisant des enfants (quatre), excelle aux fourneaux, mais vit mal d’avoir perdu son sex-appeal d’antan. Gab, 27 ans, actrice, 1,84 m, passe sa vie à bouffer sans prendre un gramme et à baiser sans s’engager, mais vit mal l’échec de ses projets cinématographiques.

A l’instar de Sex And The City, ces amies ne sont plus dans un rapport duel – la confidente ou la rivale – mais pluriel, quatre étant le chiffre idéal, permettant de varier suffisamment les typologies. Elles se réunissent à la fois pour faire la fête et pour se consoler, pour s’étourdir (on boit, on fume) et pour tout se dire (on parle cul et couple essentiellement). Sexualité débridée, hantise du célibat, culte des apparences pour capturer et retenir le mâle convoité : French Manucure reprend les thèmes chers à la  » chick lit « . Des thèmes qui en disent long sur les femmes d’aujourd’hui, leurs névroses et leurs insatisfactions. Coups bas et talons hauts, de Tonie Behar, et Tous à mes pieds !, d’Isabelle Alexis, qui viennent de paraître également, jouent la même partition, mais sur un mode plus léger, voire simpliste.

La BD aussi

La bande dessinée n’est pas en reste, avec Gloria, l’album chicos de Marianne Maury Kaufmann, et surtout Eva. J. F. se cherche désespérément, d’Aude Picault. C’est peu dire que les donzelles de cette production éditoriale laissent libre cours à leur libido, dont elles parlent d’ailleurs avec un naturel confondant… Dans French Manucure, Gab n’hésite pas à sauter sur le premier type qui l’excite, que ce soit un top-modèle danois  » hypertrophié  » ou un Italien court sur pattes, tandis que Clarisse rechigne à tromper son mari, qui pourtant ne la touche plus depuis belle lurette.  » La fidélité, c’est une vive démangeaison avec défense de se gratter « , lui rappelle Gab. De fait, Clarisse va craquer, dans les toilettes de l’hôtel Costes, avec un inconnu,  » vingt minutes hard core  » pour un coït mémorable. Jeanne fait mine de s’offusquer, oubliant qu’elle a fait la même chose, un matin, avec le dépanneur de sa machine à laver le linge ! Noé, elle, se console avec son  » sex toy  » signé Marc Jacobs, waterproof, phosphorescent et qui parle anglais. Tous à mes pieds !, qui met en scène les péripéties sentimentales d’une Bridget Jones germanopratine et gaffeuse, vante les bienfaits du  » fuck friend  » :  » l’ami gentil, serviable, qui vient faire l’amour dès que vous l’appelez « . Quant à Dahlia, la fashonista de Coups bas et talons hauts, très inspiré par Le diable s’habille en Prada,  » elle allume mais n’éteint jamais « . Selon l’ethnologue Anne de Marnhac, auteur de Séducteurs et séductrices. De Casanova à Lolita,  » ces femmes qui revendiquent et assument leur liberté sexuelle, tout comme leur indépendance financière, ont l’air d’être dans le coup, d’avoir une vie brillante – d’ailleurs, elles travaillent toutes dans des métiers liés à la communication. En fait, cette autonomie n’est que de surface, elles sont dans l’attente « . L’attente de quoi ? L’homme idéal, encore et toujours ! D’où ce paradoxe, dont la  » chick lit  » fait si bien son beurre : d’un côté, ces trentenaires revendiquent leur indépendance et forment le gros des millions de célibataires français ; de l’autre, elles sont terrorisées par la solitude.  » Car elle va de pair avec la conscience du temps qui passe, du corps qui vieillit, de la difficulté de la rencontre « , insiste Anne de Marnhac. Exemple typique, Noé, qui vit son célibat  » comme une maladie incurable « , non sans mettre la barre très haut,  » persuadée que, tant qu’elle ne convolera pas en secondes noces avec un mec aussi riche que Steve Jobs, elle sera en situation d’échec « .

 » Vivre sans mec, c’est aussi vivre sans gros ennuis « , rappelle toutefois Patricia, l’héroïne de Tous à mes pieds ! Pour Anne de Marnhac,  » le célibat est vécu comme une succession de déboires, en attendant l’homme providentiel. La quête du mari est un vieux modèle qui résiste « . Exit, donc, la célibattante d’hier. Le mariage redevient une valeur refuge.  » En 1968, les femmes défilaient pour rester libres, aujourd’hui elles fantasment sur la robe blanche et tout le tralala « , s’étonne Géraldine Maillet. Et de renchérir :  » Le diktat du bonheur conjugal est une réalité. » La  » chick lit  » est finalement une nouvelle forme de roman social.

A lire cet été

French Manucure, par Géraldine Maillet,

Flammarion, 379 pages.

Coups bas et talons hauts, par Tonie Behar,

JC Lattès, 282 pages.

Tous à mes pieds !, par Isabelle Alexis,

Albin Michel, 294 pages.

Eva. J. F. se cherche désespérément,

par Aude Picault, Glénat, 56 pages.

Gloria et Gloria en vacances, par Marianne Maury Kaufmann, Jean-Claude Gawsewitch,

95 et 96 pages.

Delphine Peras

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