Suite et fin de notre série des duos de mode  » made in Belgium « . Rappel du principe : un créateur confirmé se mesure pacifiquement à une valeur montante du stylisme belge autour de deux mannequins d’atelier et de huit mètres de tissu. L’objectif ? Une exposition qui débute précisément ce 29 octobre à la galerie Usagexterne, à Bruxelles, et qui met en scène vingt modèles exclusifs réalisés pour Weekend Le Vif/L’Express. Zoom sur le dernier duo en date : Crstof Beaufays, styliste-assistant de Jean Paul Gaultier, face à Céline Desmecht, jeune diplômée de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles.

Carnet d’adresses en page 96.

Duos de mode : lire aussi Weekend Le Vif/L’Express des 5 mars, 2 avril, 7 mai, 4 juin, 10 septembre et 24 septembre derniers.

Duel placé sous le signe de la timidité et de la concentration. A ma gauche, Céline Desmecht, 26 ans, fraîchement diplômée de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles. A ma droite, Crstof Beaufays, 31 ans, formé à l’école bruxelloise de La Cambre et à l’Institut français de la Mode de Paris, actuellement styliste-assistant de Jean Paul Gaultier sur l’ensemble de ses lignes. Si le second n’avait jamais entendu parler de la première avant l’organisation de ce duo de mode, Céline connaissait en revanche le travail de son interlocuteur récompensé notamment au Festival international des Arts de la Mode à Hyères, il y a cinq ans déjà.

Flash-back. Pour les non-initiés, Crstof Beaufays excelle dans l’art subtil d’explorer cette frontière invisible qui sépare les univers de la deuxième et de la troisième dimension. Concrètement, le travail qui le révèle au Festival de mode à Hyères en 1999 consiste en une série de silhouettes taillées à plat û un peu comme si les vêtements n’étaient que l’ombre d’eux-mêmes û dans une mise en scène grinçante qui joue allègrement sur la dualité réel-virtuel. Cette année-là, le jury hyérois composé entre autres de Jean Paul Gaultier, Martine Sitbon, Viktor & Rolf et Hussein Chalayan octroie le Prix Mixte au jeune Belge alors étudiant en quatrième année à La Cambre. Cette prestigieuse récompense en poche, Crstof Beaufays décide, contre toute attente, de ne pas entamer sa cinquième et dernière année d’études au sein de l’école bruxelloise. A l’époque, Franc’Pairon, responsable de l’Atelier de Mode de La Cambre, a en effet décidé de rejoindre la direction de l’Institut français de la Mode (IFM) à Paris et le jeune étudiant choisit donc de lui emboîter le pas le plus naturellement du monde. Désormais installé dans la Ville lumière, Crstof Beaufays entame le cycle international de création de mode de l’IFM avant de décrocher quelques mois plus tard (et de nouveau avant la fin de ses études !) un poste d’assistant chez Claude Montana. Il y travaille une saison complète et rejoint, à la fin de l’année 2002, le label parisien Auguste, spécialiste du cuir d’exception, en tant que designer exclusif de la marque. Il y reste une année au cours de laquelle il croise à nouveau le chemin de Jean Paul Gaultier qui lui propose alors d’intégrer son équipe. Intéressé, le créateur belge fraîchement trentenaire accepte l’invitation. Depuis le début de cette année, Crstof Beaufays officie donc comme styliste-assistant de maître Gaultier au sein d’une cellule axée sur la recherche de nouveaux concepts sur l’ensemble de ses lignes.

Face à ce parcours déjà impressionnant, le curriculum vitae de la jeune Céline Desmecht se révèle, en toute logique, beaucoup plus léger. Diplômée en stylisme de l’Institut Saint-Luc de Bruxelles en juin dernier, la jeune femme affiche une première formation en Illustration au sein de la même école et un stage au sein de la marque belge Le Vêtement de Willy à Tournai. Certes, la styliste en herbe doit encore faire ses preuves dans le milieu de la mode mais sa collection de fin d’études lui a déjà valu d’être sélectionnée parmi les douze finalistes de la deuxième édition du Fashion Weekend, un festival dédié à la jeune création belge et organisé par notre magazine le 28 octobre dernier ( lire Weekend Le Vif/L’Express du 8 octobre dernier). Construite autour du thème de la folie, des obsessions et des actes manqués, sa collection baptisée  » Upside down  » renfermait quelques jolies trouvailles textiles comme, par exemple, cette robe composée de pantalons masculins déconstruits et reconstruits spécialement pour la femme. Si Céline Desmecht ne pense pas encore à se lancer dans l’aventure de sa propre marque de vêtements ( » Projet insurmontable !  » dit-elle aujourd’hui), elle n’en reste pas moins ouverte aux propositions de collaboration avec l’une ou l’autre maison de couture et projette d’ailleurs de s’envoler bientôt vers New York dans l’espoir d’y décrocher un stage.

Le décor est planté. Retour au duel créatif. Visiblement stressée par l’ampleur du défi et le CV de son adversaire, Céline Desmecht peine à aligner deux phrases en cet après-midi d’octobre. L’exercice stylistique est d’autant plus angoissant que Crstof Beaufays officie aussi, un samedi sur deux, en tant que professeur en stylisme à l’école du Château Massart de Liège. Mais l’assistant de Jean Paul Gaultier refuse d’emblée d’endosser ce rôle trop facile. Cette rencontre se déroulera, selon lui, d’égal à égal, sans aucun préjugé ni le moindre rapport de force. D’ailleurs, Crstof avoue être tout aussi désemparé que son interlocutrice à l’idée d’affronter son mannequin d’atelier : il n’a aucune idée du tissu choisi par nos soins et avoue même ne pas avoir réfléchi au modèle qu’il va réaliser. La tension monte.

D’un coup de ciseau symbolique, les huit mètres d’étoffe sont découpés en deux surfaces égales. Chacun répartit sa matière première sur la table de travail et se dirige lentement vers le buste désigné. Premiers calculs de proportions, premiers regards anxieux. Les aiguilles et les mètres rubans virevoltent dans un silence pesant. De toute évidence, les quatre heures d’affrontement pacifique se dérouleront dans le recueillement le plus total, troublé de temps à autre par les questions d’un journaliste sans doute trop curieux à leur goût. Consciencieusement, les deux protagonistes plient, mesurent, découpent, calculent et posent enfin leurs premières bandes de tissu sur leur mannequin respectif. Le modèle prend forme, lentement mais sûrement. La jeune diplômée de Saint-Luc opte pour une robe d’inspiration 1950, avec une ligne de taille très basse et un effet trompe-l’£il qui consiste en une fausse veste posée au niveau de l’épaule droite. De son côté, Crstof Beaufays reste fidèle à ses premières amours stylistiques : le haut de sa silhouette consiste en un trench û ou plutôt l’ombre d’un trench û en deux dimensions que vient contrebalancer une grosse bordure de volants pour mieux équilibrer le modèle. Une fois de plus, Crstof joue sur le conflit 2D-3D qui l’obsède depuis ses études à La Cambre, avec précision et raffinement.

Quatre heures après le début des hostilités textiles, les deux silhouettes déploient leur audace et leur élégance finales. Même s’ils jetaient parfois un regard furtif vers le modèle de leur adversaire, Céline et Crstof prennent maintenant le temps d’examiner patiemment le travail de l’autre.  » J’aime beaucoup la forme de sa création, résume Céline. Elle correspond à ce que j’ai déjà pu voir de son travail. C’est lui.  » Crstof enchaîne à son tour sur la robe de la jeune diplômée :  » C’est élégant. Les volumes sont bien maîtrisés. Ça me plaît. C’est plutôt prometteur !  » Quant à la nature de l’exercice proprement dit, les deux intéressés sont sur la même longueur d’onde : l’expérience était très intéressante, même si le stress était difficile à dompter. Réunies sur la même thématique des duos de mode, leurs silhouettes ne vivront heureusement pas que sur papier. Désormais, elles vous sont accessibles en trois dimensions, jusqu’au 20 novembre prochain, à la galerie Usagexterne de Bruxelles. Qu’on se le dise…

Frédéric Brébant

Crstof Beaufays reste fidèle à ses premières amours stylistiques : le haut de sa silhouette consiste en un trench û ou plutôt l’ombre d’un trench û en deux dimensions que vient contrebalancer une grosse bordure de volants pour mieux équilibrer le modèle.

Céline Desmecht opte pour une robe d’inspiration 1950, avec une ligne de taille très basse et un effet trompe-l’£il qui consiste en une fausse veste posée au niveau de l’épaule droite.

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