Le duo dandy de l’électro français adore s’enfermer en studio, loin des turpitudes du monde extérieur… Pour retrouver les sensations intimes qui rappellent le cocon du ventre maternel. Rencontre qui ne manque pas d’Air avec Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel.

CD  » Talkie Walkie « , chez Virgin, le 26 janvier ; Air en concert le 7 février prochain au Cirque royal

(tél. : 0900 260 60, à 0,45 euro/min).

En 1998, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, deux jeunes Parisiens bien sous tous rapports, sortent sous le nom de Air un disque délicieusement léger de pop électronique. Cette bulle de champagne synthétique titrée  » Moon Safari  » va permettre au duo de connaître un véritable succès international alors que souffle le vent de la  » French Touch « , la musique électronique française, avec Daft Punk et Laurent Garnier. Le  » Sexy Boy  » de Air devient même un tube inattendu et déclenche des éloges chez des artistes aussi prestigieux que David Bowie. Loin de se contenter de répéter une formule charmante, mais un brin légère, le duo diversifie alors sa musique et compose la BO du film  » The Virgin Suicides  » de Sofia Coppola, parue en 2000. Air expérimente, s’enferme régulièrement dans son endroit préféré û le studio û et produit des disques étranges, décalés, naïfs et déroutants, tels que  » City Reading « , un accompagnement sonore pour l’écrivain italien Alessandro Baricco, paru l’été dernier.  » Talkie Walkie « , le nouvel album, caresse l’auditeur comme un film sonore passant au ralenti, les synthétiseurs venant y distiller les mélodies sucrées avec gourmandise alors que les voix se fondent dans les mélodies délassantes. Un refuge amniotique, loin du chaos du monde, chargé de morceaux qui glissent dans l’oreille. Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, sont, décidément, des enfants gâtés û mais sympas û qui transforment sans douleur leurs rêves en disques guérisseurs d’angoisses.

Weekend Le Vif/L’Express : Votre album  » Talkie Walkie  » apparaît comme vaporeux, baigné d’un brouillard… artificiel ?

Nicolas Godin : C’est notre style naturel que de se connecter très facilement à quelque chose d’aussi évanescent. C’est un don, en fait. Pour arriver à casser les barrières de ce qui les sépare de leur inspiration, beaucoup de groupes ont tendance à consommer des substances artificielles. Mais nous, pour oublier les oripeaux que la société nous met sur le dos, on laisse simplement nos problèmes derrière la porte du studio. On est un groupe naturellement planant. Depuis le début…

Jean-Benoît Dunckel : Notre état personnel n’a pas de rapport avec le résultat musical : on peut être extrêmement énervé et faire un morceau très doux. On essaie de se calmer avec la musique, c’est un univers dans lequel on se sent bien, c’est notre maison à nous.

Air est-il thérapeutique ?

N.G. : On ne supporte pas l’anxiété ou l’angoisse : donc la musique agit comme une véritable thérapie. Faire cette musique, c’est se détendre. Nous sommes nos propres cobayes.

En studio, perdez-vous la notion de temps, du jour, de la nuit ?

N.G. : C’est le propre des studios d’être sans fenêtres ( NDLR : ce n’est pas une règle). Pour ma part, je déteste la lumière du jour en studio. Lorsqu’on a eu un problème technique dans notre studio et qu’on a dû enregistrer des voix ailleurs, j’ai demandé qu’on mette une bâche sur les fenêtres pour occulter le lieu. Le studio est un lieu amniotique : c’est comme régresser et retourner dans le ventre de sa mère, sans subir les agressions de l’extérieur. On peut être dans n’importe quelle ville du monde, n’importe où, n’importe quand : c’est un sous-marin ! On a d’ailleurs un rapport assez fort avec l’eau : de la pluie de  » Moon Safari « , de la mer sur ce disque-ci… Notre image du paradis serait une plage vierge où on aurait de l’eau jusqu’à la taille en écoutant seulement le clapotis des vagues.

Vous êtes de jeunes pères. Faites-vous écouter Air à vos enfants ?

J.-B.D. : Oui. Mes enfants aiment bien, mais pas forcément de la manière escomptée. Ils apprécient les détails : mon fils adore le remix qu’a fait Beck de  » Sexy Boy  » qui commence par le bruit de quelqu’un qui mange une pomme. Cela le fait marrer.

 » Alone in Tokyo « , l’un des morceaux de  » Talkie Walkie « , semble symboliser la quiétude absolue…

N.G. : C’est un titre qui a été composé pour la BO du film de Sofia Coppola  » Lost In Translation « . Bill Murray qui incarne un homme d’affaires américain, arrive au Japon où il se trouve pris dans le décalage horaire, ce qui est un bon moyen de regarder sa vie, loin de chez soi, isolé. Il a l’esprit très clair alors que tout le monde est endormi. Cela nous a rappelé des souvenirs.

Etes-vous un groupe cinématographique ?

N.G. : Disons qu’on fait de la cinématographie adaptée à la chanson. On essaie de créer l’image dans le son : nos morceaux sont très soundtrack et veulent susciter l’émotion qu’on peut éprouver face à un film.

Quel type de clip avez-vous choisi pour  » Cherry Blossom Girl « , le premier titre issu de  » Talkie Walkie  » ?

N.G. ( sourire) : Nous avons travaillé avec Kris Kramski, un metteur en scène qui ne fait que du porno ! C’est la première fois qu’il fait un clip !

Etes-vous à l’écran ?

N.G. : Seulement dans les scènes soft ( sourire). Kris Kramski est un Français qui vit à Los Angeles depuis quinze ans : il réalise des films fan- tastiques comme  » Sex Exhibition N°1 « . C’est élégant, assez hardcore et un peu bizarre ! C’était l’occasion de découvrir l’industrie du porno à Los Angeles, une grosse affaire qui occupe toute la Vallée derrière les collines, qui pèse plusieurs milliards de dollars, qui a ses règles, ses codes. Depuis le début de Air, on explore différents milieux : celui de la litté-rature avec Alessandro Baricco, celui de la danse avec Preljocaj et le ballet  » Nearlife Experience « , celui du cinéma avec les Coppola. Avec Air, on peut croquer de tout…

Qu’ont donc pensé vos compagnes de cette idée de clip porno ?

N.G. : Elles avaient autant peur du sexe que des drogues, mais on fait cela dans un but purement artistique ! On aura une version porno pour le Net et une autre, soft, pour la télévision…

J.-B.D. : Ceux qui en parlent le plus en font, généralement, le moins…

L’autre qualité de  » Talkie Walkie « , c’est la sobriété. Etait-ce prémédité ?

N.G. : Si  » 10,000 Hz Legende  » était un peplum, celui-ci est plutôt un film d’auteur… Intimité, sentimentalisme, romantisme. Dans  » Cherry Blossom Girl « , justement, on a voulu contrecarrer le côté sucré de la chanson par un clip hardcore.

Vous avez travaillé avec Michel Colombier, arrangeur de Gainsbourg !

N.G. : Il fait partie de ces gens qui vous enrichissent et vous font devenir meilleur. Colombier a tout vu, tout vécu et je pense qu’au-delà de son savoir-faire technique, il peut nous apprendre beaucoup de choses. Il nous a évidemment raconté quelques anecdotes sur Serge, mais de manière très respectueuse.

Dans  » Biological « , il est question d’ADN. Vous chantez  » I need your DNA « . Quelle est l’idée maîtresse de cette chanson ?

N.G. : C’est une chanson sur l’amour génétique. Dans son livre  » La Biologie des passions  » paru il y a dix ans, le neurobiologiste Jean-Didier Vincent explique le coup de foudre à travers les phénomènes chimiques. On a écrit cette chanson d’amour vu de l’intérieur ( rires) : les paroles ne parlent que de chromosomes, de poils, de chair, d’os, de molécules, de gênes. On voulait prendre le côté très factuel des réactions du corps !

Quelle est l’histoire de  » Surfin’ on a Rocket  » (NDLR :  » Surfant sur une fusée « ) ?

J.-B.D. : Le 11 septembre 2001, on donnait un concert à Bruxelles et on a appris la nouvelle de l’attaque sur New York pendant la balance son. Tous nos musiciens sont américains, new-yorkais même : ils étaient hallucinés, traumatisés. Sous le choc.

Etait-ce toutefois un bon concert ?

N.G. : Oui, parce que pour les Américains  » The show must go on  » ( sourire) !

Sur  » Talkie Walkie « , pour la première fois, vous chantez vous-mêmes. Pourquoi ne plus avoir de  » guests  » comme sur les disques précédents ?

N.G. : On s’est dit que la meilleure façon d’être original, c’était d’être juste un groupe normal ! Comme d’habitude, on a produit le disque nous-mêmes, sans ingénieur du son, sans assistant. Puis on a travaillé avec Nigel Godrich (Radiohead, Beck, Travis) qui nous a aidé à faire le tri : il voulait qu’on aille droit au but. Il a apporté ce quelque chose d’organique qui nous éloigne de notre home-studio au son parfois froid, petit, clinique. En mixant le disque, il lui a donné du moelleux. Il nous a aussi convaincu de chanter nous-mêmes, de laisser entendre la fragilité et l’authenticité de nos voix aux gens. Et de voir ce qu’ils en pensent.

Propos recueillis par Philippe Cornet

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