A l’occasion de l’exposition solo qu’elle présente à Laethem-Saint-Martin, Delphine Boël sort Couper le cordon. Une autobiographie sous forme de livre d’art, où la fille naturelle d’Albert II raconte sa vie et son ouvre. Avec simplicité et franchise. A l’image de l’entretien qu’elle nous a accordé dans son atelier.

Elle habite au sud de Bruxelles dans une charmante demeure aux odeurs de vacances à la campagne. Il y a le parfum de l’herbe, la balançoire, le lierre qui paresse sur les briques blanches. Un refuge que l’on devine chaleureux, où les dessins des enfants ont droit à la porte du frigo et les photos de famille aux rayons de la bibliothèque. Tout à fait ce que Delphine Boël et son compagnon cherchent à trouver en Belgique quand ils décident de quitter Londres, il y a quatre ans.  » J’étais enceinte. Je voulais que notre fille grandisse en Belgique, au calme, dans un endroit vert « , nous confie Delphine, décontractée dans un jogging tacheté de peinture. En ce matin ensoleillé de mars, c’est bien la quiétude qui règne dans le grand atelier qu’elle s’est aménagé au rez-de-chaussée de la maison. Mais, c’est palpable, la tempête approche : la table du salon n’est plus qu’un jardin de Post-it, de mémos et de croquis. Le mois d’avril s’annonce en effet plus que chargé pour l’artiste, la femme et la mère qu’est Delphine Boël. Il y a d’abord la sortie de Couper le cordon, son autobiographie qu’elle a imaginée sous forme de livre d’art. Au travers de ses £uvres, l’artiste y fait le point sur sa vie  » pour pouvoir enfin raconter les choses comme elles sont « . Afin de couper court aux  » rumeurs et aux tabous  » qui empestent son quotidien depuis bientôt dix ans. En 1999, à la faveur d’une biographie consacrée à la reine Paola, Mario Danneels a en effet changé radicalement l’existence de Delphine Boël en révélant au grand public que cette dernière était le fruit d’une relation adultérine entre la baronne Sybille de Selys Longchamps et Albert de Belgique, alors Prince de Liège. Des dizaines d’£uvres à fort relents cathartiques plus tard, Delphine décide donc avec ce livre-catalogue de  » tourner la page  » pour  » grandir « . Et pour exorciser le passé, rien de tel que de mettre les choses à plat. Pour accompagner la sortie de son livre, l’artiste exposera à De Latemse Galerij une trentaine de pièces gorgées du vide affectif qui la sépare de son père et de sa colère contre l’indécence de certains médias. Une £uvre tragique tempérée par un sens de l’autodérision typiquement belge et un goût pour la provocation très  » brit art « . Au menu également, un aperçu de ses nouvelles atmosphères plastiques : des peintures bigarrées où fleurissent des  » mantras  » libérateurs, tendance carpe diem. Il y a fort à parier que les vautours à scandale tournent une fois de plus autour de l’actualité de Delphine Boël. Ça risque de me passer au-dessus de la tête, sourit-elle. On pourrait croire que c’est fait exprès mais mon petit garçon arrive en avril. J’aurai donc d’autres choses à penser.  » Un beau pied de nez à la vulgarité.

Weekend Le Vif/L’Express : Lors de l’exposition que vous présentez à De Latemse Galerij, le public pourra découvrir Quand je suis devenue une £uvre d’art. Cette sculpture inspirée du livre d’Eric-Emmanuel Schmitt précisément intitulé Si j’étais une £uvre d’art vous a été suggérée par Weekend Le Vif/L’Express. Racontez-nous la genèse de cette pièce ?

Delphine Boël : Christine Laurent ( NDLR : rédacteur en chef de Weekend Le Vif/L’Express) m’a téléphoné un jour pour me proposer un projet autour de ce livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, que je connaissais très peu, en fait. Je n’avais jamais lu ses bouquins parce que je ne lis pas en français mais en anglais. C’était un sacré exercice de lire en français mais ça a coulé à merveille. D’autant que je me suis tout à fait retrouvée dans cette histoire de sculpture vivante jetée aux regards des visiteurs. Je m’explique : quand je suis revenue habiter en Belgique, des petites galeries m’ont invitée à exposer de nouvelles £uvres. J’avais bien quelques pièces mais je venais d’accoucher et ne me sentais pas prête de créer quoi que ce soit. En réalité, ces galeristes dont je veux taire le nom, s’en fichaient éperdument. Tout ce qu’ils voulaient c’était profiter du scandale. C’était incroyable, ils me disaient :  » Mais ce n’est pas grave si vous n’avez rien à présenter, venez vous-même !  » Comme si j’étais un petit animal que tout le monde allait venir voir, toucher, regarder, photographier… J’étais totalement éc£urée.

Comme la majeure partie de vos £uvres, celle-ci est autobiographique. Il s’agit même d’un autoportrait…

Oui. Je me suis représentée en dame bien en chair, parce que malgré tous les problèmes que j’ai eus, je ne veux pas apparaître comme une victime. Je suis vêtue d’un pull en papier mâché de toutes les couleurs, une récurrence dans mon art qui exprime la joie de vivre malgré tout. De la taille aux bottes, je suis nue car vulnérable. Mes jambes sont recouvertes de paillettes, parce qu’en général les gens associent le sang royal au côté  » glitsy « . Je porte des bottes plates-formes, avec des étoiles aux couleurs du drapeau belge. Ça me fait aussi penser à la manière dont je m’habillais quand je vivais à Londres. J’adorais ça, j’étais très extravagante. Et puis, il y a ma tête également recouverte de paillettes mais enfermée dans une cage, comme prisonnière de mon histoire.

Votre £uvre et a fortiori votre vie comportent tous les ingrédients de la tragédie. Avez-vous le sentiment d’être le personnage d’une pièce tragique ?

Oui, certainement. Je souffre encore beaucoup. Mais je me bats. Je fais tout pour voir les choses du bon côté. J’essaie d’être moins affectée, d’être plus distante. Je pense parfois quitter le pays. Mais je ne crois pas que ce soit la bonne manière de résoudre les problèmes. Je veux voir le côté positif de la vie.

Comme le petit garçon que vous attendez…

Oui… Même si je ne fais pas un enfant pour me rendre plus heureuse. Parce que, dans un sens, un enfant, ça rend la vie un peu plus compliquée. Par contre, c’est vrai que c’est magnifique de fonder une famille. Aujourd’hui, je veux bâtir ma propre tribu.

En créant cette £uvre inspirée d’Eric- Emmanuel Schmitt, vous vous associez aussi aux 25 ans du Vif/L’Express. Votre surexposition médiatique ne vous a donc pas totalement rendue allergique aux journalistes…

Ça dépend lesquels. Il y en a beaucoup que je n’accepte pas. C’est toujours pareil : je dis quelque chose, c’est dévié, ce n’est pas écouté. J’ai beaucoup de respect pour ce métier, mais je n’ai pas de respect pour les journalistes à sensation qui disent n’importe quoi. Tout de suite on me range dans le tiroir  » scandale « . Ça fait vendre le journal mais c’est très désagréable car ça influence aussi les gens que je connais. Même les amis. J’ai d’ailleurs créé une série de photomontages sarcastiques sur la perversité des médias pour exorciser le mal qu’on a pu me faire. Encore récemment, pour parler de la sortie de mon livre-catalogue, la couverture du Soir Magazine montrait Albert avec un bandage et moi, à côté, hilare. Comme si c’était moi qui avais donné le coup. Le message sous-tendu est faux : je ne défie pas le Roi. Ce livre-catalogue m’a été suggéré par Guy Pieters ( NDLR : commissaire de son exposition à De Latemse Galerij et éditeur de la version néerlandophone de Couper le cordon). Il voulait que j’explique les £uvres qui sont exposées dans sa galerie. Au début, je ne voulais pas de ce livre puis je me suis dit que j’allais pouvoir enfin raconter les choses comme elles se sont déroulées.

La sortie de ce livre est-elle à prendre comme l’expression de votre volonté de tourner la page ou est-elle nourrie par l’espoir d’être enfin reconnue par votre père ?

Non ! Couper le cordon ! C’est fini… Maintenant, peut-être qu’inconsciemment je l’espère toujours. Mais je souhaite tourner la page parce que je ne veux pas vivre avec ça dans la tête. Ça empêche d’évoluer dans la vie. Il y a un moment où l’on doit construire sa propre famille, où l’on doit accepter sa situation. Cela dit, peut-être que ce second enfant va réenclencher mon besoin de père comme ça a été le cas quand j’ai eu Joséphine… Je ne sais pas…

Espérez-vous une réaction du Palais ?

Non, non. Ils ne sont peut-être même pas au courant. Albert sera informé indirectement. Et je ne crois pas qu’il va lire mon livre.

Vous aimeriez qu’il le lise ?

Je n’ai même pas pensé à ça. Ce serait évidemment mieux parce qu’il comprendrait certaines choses. Mais ce n’est pas mon but.

A la lecture de Couper le cordon, on pointe un paradoxe : vous voulez être reconnue comme artiste indépendante et non plus pour ce que vous appelez  » les mauvaises raisons « . Cela dit, pour comprendre votre £uvre, fortement autobiographique, il est nécessaire de s’intéresser au côté  » scandaleux  » de votre vie. Comment gérez-vous ce paradoxe ?

Mon passé et mon origine font partie de moi. Donc forcément, je ne peux pas totalement les séparer de mon £uvre. De plus, aujourd’hui, je me dirige vers d’autres horizons qui n’ont plus rien à voir avec la royauté : je peins des grands tableaux avec des messages philosophiques comme  » this instant, is the only moment there is « . Ça m’aide à mieux vivre. Avant j’étais toujours dans le passé ou dans le futur. Je ne vivais pas le moment présent. Mais j’ai eu très peur, il y a un an, quand on m’a dit que j’avais peut-être un cancer du colon. Ça m’a fait un choc.

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur les £uvres en rapport avec la royauté ? Avez-vous l’impression que c’est une autre Delphine qui les a conçues ?

Euh… Non, c’est tout à fait moi, mais je ne porte plus cette douleur avec la même intensité. Avant les révélations de 1999, je faisais déjà plein de trônes. Ça me faisait hurler de rire parce que les gens n’étaient pas au courant de mon identité. C’était une sorte de private joke avec moi-même. Quand toute l’affaire a été dévoilée, j’ai eu un peu peur. J’étais artistiquement paralysée. Quand ma fille est née, tout à coup, je me suis posée des tas de questions sur le sens de la paternité, les responsabilités que ça engage. D’autant que je venais de m’installer en Belgique et beaucoup de gens m’ont rappelé d’où je venais. Il fallait que j’exprime toute cette souffrance par mon art. Je ne pouvais pas faire autrement.

Il y a des passages assez durs dans le livre. Vous évoquez que le Palais vous a suggéré de disparaître pour une destination lointaine. Il y aussi un dialogue au téléphone avec votre père où il vous renie explicitement.

C’est la dernière parole que j’ai entendue de sa bouche. Après, j’ai encore essayé de le revoir. Mais là j’ai eu ma dose. Si les portes sont fermées, elles sont fermées. Je n’essayerai plus. Ça doit venir du Palais.

Et si le Roi vous tend une perche ?

Je me suis posée la question… Je suis éc£urée mais je ne dirai évidemment pas non. Je crois qu’on ne peut pas dire non à son propre sang, on ne peut pas. C’est la force du lien du sang.

Quel regard posez-vous sur la crise politique qui a secoué notre pays ? D’aucuns vous ont accusée de vouloir déstabiliser la monarchie et, partant, l’Etat…

La crise, ça m’énerve. C’est un petit pays. C’est dommage. Et si je déstabilisais la Belgique, il faudrait me mettre dans le musée Madame Tussaud… C’est n’importe quoi. Ça m’attriste que certaines personnes puissent penser cela. J’aime beaucoup la Belgique. Le Belge est particulier, un peu zinneke comme ça… On est un miche-mache de gens qui ne se prennent pas au sérieux.

Pourtant, à vous lire, vous paraissez éprouver de la ranc£ur envers la Belgique…

Je dis aussi que le Belge est quelqu’un de très humain, de très bon. Ça a plus à voir avec cette solitude que Jim ( NDLR : James O’Hare, son époux) et moi on vit. On est quand même très médiatisés. Quand on sort, les gens ne sont pas indifférents, ou ils sont intimidés, ou ils n’aiment pas, ou ils aiment trop, bref, on n’est jamais incognito. A Londres, c’était différent. Parfois, j’ai envie de quitter le pays mais si je devais partir ça me manquerait. Il n’y a de paradis nulle part…

Vous racontez que le milieu de l’art vous a rejetée quand vous avez fait la Une des tabloïds. Votre vie est devenue une espèce de sas sans issue car vous éprouviez un sentiment d’illégitimité partout…

Oui. C’est vraiment ça. Dans ces cas-là on est seul. Je n’appartiens pas au clan d’où je viens et je ne peux pas non plus être reconnue comme une artiste parce que j’ai ce sang royal teinté de scandale. C’est comme ça. Je crois que ce sera toujours une difficulté de me faire admettre en tant qu’artiste. Je dois juste accepter et faire accepter que mon passé fait partie du package.

Comment va votre carrière artistique aujourd’hui ?

Le galeriste Guy Pieters, qui m’expose à Laethem-Saint-Martin m’a prise en main, maintenant. Je suis contente. Parce que c’est quelqu’un qui expose quand même de bons artistes belges comme Wim Delvoye ou Jan Fabre.

Finalement, c’eût été un brin plus simple si vous aviez été banquière ?

(Rires.) Oui, j’y ai déjà pensé. Si j’avais été banquière, infirmière ou secrétaire, les choses auraient-elles été différentes ? Oui, je crois. Mais c’est le destin. J’ai toujours été artiste.

Couper le cordon, par Delphine Boël, Luc Pire éditions, 144 pages. Lire aussi LeVif/L’Express.

Exposition des £uvres de Delphine Boël à De Latemse Gallerij, à Laethem-Saint-Martin. Du 12 avril au 15 mai prochain.

Tél. : 09 282 84 84.

Internet : www.guypietersgallery.com

Propos recueillis par Baudouin Galler Photos : Renaud Callebaut

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