Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(1)  » Voyage autour de ma chambre « . (2)  » L’Art du voyage « , éd. Mercure de France.

Il s’est d’abord glissé dans un pyjama rose et bleu. Puis il s’est bravement lancé dans l’aventure : rien moins que l’exploration de son pré carré intime, expérimentant ainsi un mode d’expédition qui allait le rendre célèbre : le voyage en chambre. Un plaisir qui ne coûte  » ni peine, ni argent « . Et que Xavier de Maistre (1) recommandait tout particulièrement  » aux pauvres et à ceux qui craignent les tempêtes, le brigandage et les précipices « . En 1798, soit huit ans plus tard, le voilà qui s’enhardit. Il se risque jusqu’au rebord de sa fenêtre, une virée d’une audace inouïe dont il tire un tout aussi stupéfiant récit :  » Expédition nocturne autour de ma chambre « . Vaste odyssée ! Mais pas si rocambolesque ou farfelue qu’il n’y paraît de prime abord. Car, comme le note malicieusement dans son dernier opuscule le jeune écrivain britannique Alain de Botton (2), voyager sans perdre la boussole, tant sous la voûte étoilée qu’en dessous de son modeste plafond, est bien un art, une véritable quête. Pour accomplir son jouissif trip philosophique, de Botton a choisi entre autres pour compagnons Flaubert, Baudelaire, Van Gogh, le scientifique allemand von Humboldt ou le professeur de dessin John Ruskin. Sans oublier, bien sûr, notre grand explorateur de Maistre. Une sacrée caravane qui nous promène au c£ur d’un périple dont on revient métamorphosé. Car si le voyage est pour la plupart d’entre nous promesse de bonheur, il se révèle souvent dans la réalité bien décevant. On anticipe en observant les photos racoleuses des brochures, mais sur place rien n’est ou rarement comme on l’avait imaginé. C’est qu’on habite parfois mieux un lieu quand on ne doit pas y être. Comment dès lors profiter pleinement de l’évasion ? En se rappelant d’abord, c’était le cas de Flaubert, que ce que nous croyons trouver exotique à l’étranger n’est, hélas, que ce à quoi nous aspirons en vain chez nous. Qu’il faut se méfier du diktat des guides qui nous imposent des visites qui biaisent notre vision et nous écartent de l’essentiel. Qu’il faut poser, à l’instar de Humboldt, les bonnes questions au monde. Et surtout, s’inspirant de Van Gogh, qu’il est précieux d’apprendre à voir plutôt qu’à regarder. Comprendre pour mieux se souvenir. Partir oui, mais avec pour seul viatique, l’observation. De Maistre, tout comme Proust plus tard d’ailleurs, avait mille fois raison, l’initiation au vrai voyage commence bien au pied de son lit.

Christine Laurent

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