À quelques semaines de la première d’Akhnaten, le créateur belge Walter Van Beirendonck nous ouvre les portes de l’atelier de costumes de l’Opéra flamand, à Anvers. Impressionnant.

« Nous sommes dans la dernière ligne droite « , lance Walter Van Beirendonck. L’homme, connu pour l’audace de ses collections Homme, est aussi l’affable directeur de la section mode de l’Académie d’Anvers.  » Aujourd’hui, nous faisons les essayages de deux seconds rôles. Après, nous nous attellerons aux solistes. Au fil de ce mois de janvier, tout s’emboîtera pour la première fois : musique, costumes, danseurs, chanteurs et décor. Un moment très prenant, presque angoissant. Après plus d’un an et demi de préparatifs, il faudra être prêt.  »

La rencontre initiale avec Nigel Lowery, le metteur en scène, a eu lieu à l’été 2013.  » Akhnaten a rarement été porté à la scène. C’est donc au metteur en scène de lui donner corps. Nigel m’a expliqué comment il voyait les personnages, l’habillement et le décor, qu’il a d’ailleurs conçu lui-même. Je me suis ensuite mis à dessiner. Comme il a puisé l’une de ses références visuelles dans l’oeuvre de Frans Masereel, un sculpteur sur bois flamand, je me suis inspiré de ses lignes dures, anguleuses, et de ses silhouettes échancrées. L’idée est de travailler sur un décor sombre, pour qu’une partie du vêtement se fonde dans l’arrière-plan noir. Il ne reste alors plus qu’une image épurée et nette.  »

Composé en 1984 par l’Américain Philip Glass, Akhnaten retrace la vie du pharaon Amenhotep IV. Epoux de la reine Néfertiti, il avait remplacé le panthéon égyptien par le culte du dieu unique, celui du soleil, dont il s’était proclamé le grand prêtre. Le peuple égyptien avait alors dénoncé ses réformes brutales, avant de le renverser. Une histoire qui se rapproche de l’actualité récente, puisqu’elle fait songer au fameux  » printemps arabe « .  » Nigel a actualisé l’opéra en faisant allusion à l’insurrection populaire de la place Tahrir au Caire. Par exemple, le poing noir, symbole de la révolution, est le fil rouge des costumes.  »

Au coeur de l’Opéra flamand, dans la cantine, sont affichés les plans d’un impressionnant décor pivotant. Walter Van Beirendonck tire de sa serviette une épaisse farde noire, remplie de dessins. Le premier croquis – il y en a un pour chacun des trente personnages et pour les cinquante membres du choeur – est destiné au rôle principal : Akhenaton, le nouveau nom du pharaon.  » Nous avons choisi pour lui une tenue évoquant le glam rock. Je voulais moderniser le côté étincelant, propre aux pharaons, mais de manière subtile : cette touche se retrouve dans le maquillage, les chaussures et les ors. Je me suis beaucoup documenté sur l’Egypte et sur ce souverain en particulier. Il avait un physique singulier, presque élancé : grande taille, longues mains et silhouette mince, quasi féminine. Nous avons souligné cela en faisant réaliser des prothèses pour le visage et les doigts d’Akhenaton, mais aussi de Néfertiti et de leurs six filles, pour leur conférer une allure royale.  »

C’est la première fois que Walter Van Beirendonck, qui fait pourtant souvent référence à d’autres cultures dans ses collections, se plonge dans l’Egypte ancienne.  » Je m’en suis longtemps détourné, parce que cette période chargée de dorures et un peu kitsch ne m’inspirait pas vraiment. Mais au fil de mes lectures, j’ai commencé à la trouver captivante. Surtout ce pharaon-là, qui avait quand même une conception bien arrêtée de l’art et de la culture et qui a pris des décisions très radicales.  » Plus on feuillette le dossier, plus les dessins apparaissent chamarrés.  » L’opéra se compose de deux parties : avant et après la révolution « , explique notre interlocuteur.  » Les principaux personnages ont donc deux costumes : l’un sombre, pour la première moitié du récit ; l’autre, très égyptien, dans des couleurs turquoise, or et bleu azur, pour l’avènement du royaume du dieu soleil.  »

Plus loin, sur l’une des tables, Naiara Beistegui, responsable des accessoires, a exposé les bijoux qu’elle a réalisés à partir des dessins du créateur : parures hip-hop en hiéroglyphes à paillettes colorées, scarabées en punaises et boucles d’oreilles jugées  » très organiques  » par le styliste. Dans l’atelier, des robes dorées attirent inévitablement les regards.  » Elles sont destinées au choeur « , explique Walter Van Beirendonck.  » Elles se replient vers le haut, comme un coquillage. Les choristes portent des Reebok aux pieds. Je savais qu’elles existaient aussi en rouge et noir. Je trouve très réussi le contraste entre l’ancienne Egypte et cet élément moderne.  » Avant de saluer notre hôte, nous lui posons une dernière question sur la différence de  » pression  » entre son travail habituel et celui-ci :  » C’est autre chose, répond-il. On a ici une plus grande liberté de pensée, car on ne doit pas tenir compte de la vente et de la production. J’apprécie que l’on s’efforce toujours de réaliser le vêtement tel que je l’ai dessiné. J’explique ce que je veux et on me le confectionne. C’est fou tout ce que l’on peut faire ici !  »

Akhnaten. Dès le 13 février prochain. Réservations par tél. : 070 22 02 02. www.operaballet.be

ELLEN DE WOLF

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