Eric Croes

© PHOTO FRÉDÉRIC RAEVENS

En ce mois de mars, le céramiste belge de renommée internationale Eric Croes s’apprêtait à exposer une nouvelle série de sculptures incarnant les Sept péchés capitaux, dans une galerie bruxelloise au nom étrangement prémonitoire : Sorry We’re Closed… Ce n’est que partie remise.

En céramique, on apprend dès le début qu’il faut lâcher prise. Le résultat ne correspond jamais à ce que l’on avait en tête, surtout au niveau des couleurs. Dès l’académie, on explique qu’à la sortie du four, on n’est jamais vraiment content de ce que l’on voit, qu’il faut un moment pour s’y habituer. On aimerait que le rouge ait moins tourné orange, par exemple. Une des sculptures ici, je n’en étais vraiment pas satisfait quand je l’ai découverte, et au bout de deux jours, c’est devenu une de mes préférées.

Les artistes qui prétendent qu’ils ne travaillent que pour eux, c’est une légende. Du moins dans les arts visuels. Tous les artistes sont égocentriques, si on fait des arts visuels, c’est pour être vu, la finalité, c’est tout de même de monter des expos, de montrer son travail à un public. Donc pour moi, c’est normal d’être proche des gens, de les rencontrer, d’autant qu’ils sont généralement bienveillants.

On pense toujours que c’est une matière fragile, à tort. On fabrique beaucoup de choses en céramique, d’ailleurs quand on me dit ça, je donne l’exemple des toilettes : c’est aussi de la céramique, cuite à moins haute température que mes pièces, et pourtant personne n’a peur de les casser en s’asseyant dessus. En archéologie, tout ce qu’on retrouve des civilisations très anciennes, c’est de la céramique, avec même parfois la couleur qui a tenu, alors que tout le reste a disparu. C’est la seule chose qui résiste au nucléaire ! Parfois j’imagine que l’on déterre des oeuvres à moi dans des milliers d’années et que ça devient un grand mystère, que l’on cherche de quelle religion ça provient.

‘Parfois j’imagine que l’on déterre des oeuvres à moi dans des milliers d’années et que ça devient un grand mystère.’

Les péchés capitaux, tout le monde les a un peu en soi. Certains sont moins sympathiques que d’autres – comme l’avarice – mais la plupart sont très humains, comme la gourmandise, la paresse. J’ai choisi ce thème parce que, quand je travaille, j’ai besoin d’une  » règle du jeu « . C’est le prétexte pour faire quelque chose, une idée qui va diriger ce que je fais. J’ai besoin de raconter des histoires, aux gens et à moi-même. J’ai rattaché plein d’histoires à ces péchés. Il y a la sculpture en soi, que l’on peut embrasser du regard, mais en regardant de plus près il y a plein de petits détails, plein de petites histoires comme dans les tableaux du Moyen Age. Certains éléments sont d’ailleurs repris de Jérome Bosch, dont le chien de la sculpture de L’envie.

Les gens iraient mieux s’ils se nourrissaient plus de romans et de livres, moins d’actualité. Il y a trop de médias, on est tellement surexposés que ça en devient angoissant. Je ne regarde jamais le JT, je n’écoute pas les infos. Mais je sais ce qu’il se passe parce que les gens en parlent autour de moi. Ça ne me nourrit pas, en tous cas pas de la bonne façon : ça m’angoisse. Quand je tombe sur Euronews, j’ai l’impression que la Troisième Guerre mondiale est pour demain. Depuis peu, le soir, je me force à lire plutôt que de regarder une série et je dors beaucoup mieux.

La politique, c’est un terrain glissant – à moins de vraiment maîtriser son sujet. Certains en parlent dans leur pratique, moi, je ne suis pas politologue. Je ne suis pas un intellectuel, ou alors un intellectuel caché. J’adore lire, me nourrir de plein de choses, mais j’ai besoin d’un travail simple, qui parle aux gens, qui éclaire leur quotidien, avec lequel ils se sentent bien.

On m’a toujours appris à fuir la mode. Déjà ado, mes professeurs me répétaient que ce qui est à la mode se démode. Que cela peut aller très vite, et qu’après, ça se voit très fort. Donc je ne suis pas les mouvements, mais je ne l’ai jamais fait, en fait. C’est pour cela qu’à un moment, j’ai juste eu la chance qu’arrive l’avènement de la céramique et du figuratif – et moi, j’étais au bon endroit, au bon moment. Mon boulot va évoluer, on verra jusqu’où, mais je suis déterminé à continuer de le faire  » à ma façon « .

L’interprétation des gens est rarement erronée. Même quand ils voient autre chose que ce que j’imaginais. Je ne suis pas sûr qu’il y ait de mauvaise réponse, je raconte le début de l’histoire, ensuite les pièces continuent à vivre. Mais j’aime brouiller les pistes, multiplier les niveaux de lecture. Il y a certaines choses, si je ne les explique pas, même un expert en histoire de l’art ne les comprendra pas. Pour moi, tout ce que l’on voit a un sens.

ericcroes.be et sorrywereclosed.com/

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