» EVA CONTRE EVA « 

Rien ne semble arrêter l’ascension d’Eva Green. La brune ténébreuse vient de tourner dans Dark Shadows, de Tim Burton. Au printemps prochain, elle sera aussi à l’affiche de Perfect Sense, de David Mackenzie, avec Ewan McGregor. L’égérie de la joaillerie Montblanc pose pour nous et se confie à vous.

Avec son visage d’une pâleur extrême et ses yeux bleus immenses qu’elle charbonne, Eva Green a la beauté gothique des peintures symbolistes. À la fois androgyne et coquette, l’ex-James Bond girl déborde d’une énergie qui se noue et se dénoue, à l’image de ses jambes, qu’elle tresse pendant qu’elle se raconte. Fonceuse, perfectionniste, sélective dans le choix de ses rôles, la fille de Marlène Jobert aime le cinéma indépendant, les personnages au charme vénéneux. Comme la prof saphique qu’elle jouait dans Cracks, de Jordan Scott, ou la sorcière séductrice qu’elle incarne dans le nouveau Tim Burton, Dark Shadows (sortie prévue le 9 mai prochain), au côté de Johnny Depp. Celle que Bernardo Bertolucci a lancée dans Innocents, en 2003, et a décrite  » si belle que c’en est indécent « , se révèle une anxieuse, hypertimide, remettant sans cesse son image en question. Peur d’être trop lisse, marre d’être vue comme une femme fatale, elle rêve de montrer son côté abrupt. La comédienne, bien que française, est installée à Londres depuis six ans et n’a pratiquement tourné qu’en anglais. Il y a deux ans, elle déclarait au Times :  » Si seulement Tim Burton m’appelait…  » Aujourd’hui, elle nous avoue :  » Si Jacques Audiard me faisait signe… de battre mon c£ur s’arrêterait ! « 

Dans Perfect Sense, du Britannique David Mackenzie, vous incarnez une scientifique qui tente d’enrayer une épidémie planétaire. Qu’est-ce qui vous a attirée dans ce scénario ?

Son message. Perfect Sense décrit une fin du monde sensorielle. Frappés par une étrange maladie, les gens perdent l’usage de leurs cinq sens : l’odorat, puis l’ouïe, le toucher, le goût et, enfin, la vue. Ils réagissent par des crises d’angoisse, des excès de rage. Ce film est une métaphore de notre mode de vie, de plus en plus déconnecté du réel. Nous avons séparé l’intellect de notre sensibilité, notre capacité d’analyse de nos perceptions. Perfect Sense montre ce qui pourrait advenir si nous n’étions plus capables de ressentir. Le constat est effrayant. Parfois drôle : après qu’ils ont perdu le goût, les gens mangent n’importe quoi ! On me voit en train d’avaler des fleurs, du rouge à lèvres… Ce film est aussi un éloge de l’amour : alors que le monde s’effondre, mon personnage, Susan, une femme endurcie, tombe amoureuse d’un chef cuisinier, incarné par Ewan McGregor… Ça va sonner cucul, mais j’assume : l’amour est la réponse.

Vous venez de tourner Dark Shadows, de Tim Burton. Un rêve concrétisé ?

Tim Burton est un cinéaste et un peintre que je vénère. Je suis allée voir, je ne sais combien de fois, son exposition au MoMa, à New York. Elle sera prochainement à Paris. Quand il m’a appelée, j’étais au comble de la joie… Mais, dès le lendemain, j’ai commencé à me mettre une pression incroyable. Je suis toujours angoissée avant un tournage. Là, j’étais pétrifiée. Les deux premières semaines ont été très difficiles. J’étais intimidée par Johnny Depp et, surtout, par Michelle Pfeiffer, qui joue ma rivale dans le film. Tim a cru en moi et a tout fait pour me mettre à l’aise. Finalement, ça a été le plus beau tournage de ma vie.

Que raconte Dark Shadows ?

C’est une adaptation libre d’une série américaine des années 60. L’histoire commence au XVIIIe siècle : j’incarne Angelique Bouchard, une servante amoureuse de son maître, le riche et puissant séducteur Barnabas Collins (Johnny Depp). Angelique est la méchante de l’histoire : sorcière, elle fait de lui un vampire puis l’enterre vivant. Deux cents ans plus tard, en 1972, Barnabas est libéré de sa tombe et il retrouve Angelique. Métamorphosée, elle est devenue une femme d’affaires redoutable. Blond platine… Une Barbie avec un fouet ! Je ne peux pas trop dévoiler le scénario, mais l’univers de Tim Burton y est toujours aussi fascinant : cruel et tendre, macabre et poétique. J’ai aimé ma rencontre avec Johnny Depp. Électrique ! Nous partageons une passion pour la métamorphose et les personnages barrés.

Quels sont les personnages barrés qui vous ont le plus marquée ?

Le premier est celui de L’Histoire d’Adèle H, interprété par Isabelle Adjani. À 14 ans, éblouie par ce personnage puissant qui sombre dans la folie, j’ai décidé de devenir comédienne. Ensuite, il y a l’adolescente paumée et fougueuse que j’ai jouée dans Innocents, de Bertolucci, au côté de Louis Garrel. Et puis le personnage que j’interprète dans Cracks, de Jordan Scott. Pour ce rôle, je me suis inspirée de Blanche DuBois ( Un tramway nommé Désir). Elle semble forte et perverse alors qu’elle est sensible et fragile. Ces personnages vivent des amours impossibles. Leurs sentiments les rendent fébriles. Et moi, j’aime les passions violentes.

Vous êtes installée à Londres depuis six ans. Pourquoi avez-vous quitté la France ?

J’avais déjà pris des cours d’art dramatique à Londres à 17 ans, puis tout s’est enchaîné et le James Bond a beaucoup accéléré les choses. J’aime cette ville, ses parcs, j’y ai plein d’amis. Et je m’y sens libre. Londres, c’est ma ville d’adulte. À Paris, je régresse. Je redeviens la fille de…

Quelles valeurs vous a transmises votre mère, Marlène Jobert ?

Concernant mon métier, elle me prend pour un ovni ! Elle se demande pourquoi je fais des films indépendants que personne ne va voir ! [Rires.] Mais elle est fière de moi. Ma mère m’a transmis le goût du vrai : j’ai du mal à mentir, à faire semblant si je n’aime pas quelqu’un. J’ai aussi hérité de son sens de la responsabilité. Enfant, j’étais très studieuse, carrée, un petit soldat. Je voulais toujours être la première, je ne sortais jamais… Je suis restée la même : je me dis qu’il faut se donner à fond, aller jusqu’au bout, dans mon métier, mes relations. Je mets mon c£ur sur la table. Trop d’ailleurs ! Mais je préfère ça à une vie en demi-teinte.

Vous êtes donc une pasionaria…

Oui… Non. Enfin, c’est à l’intérieur de moi que tout se passe. Je suis une Cocotte-Minute qui n’explose jamais. Quand je m’énerve, ça devient plutôt : Eva contre Eva ! Parfois, j’aimerais crier, mais je n’y arrive qu’au cinéma… Ma mère me dit que j’ai plusieurs personnalités. Et c’est vrai ! J’ai souvent l’impression d’être effacée, hypertimide et, tout d’un coup, je suis capable de dire des énormités. C’est assez incompréhensible, même pour moi… Mais comme l’écrit Patti Smith dans son livre Just Kids,  » on est qui on est. Et puis merde ! « 

Quelles expériences ont le plus forgé votre personnalité ?

Une en particulier. J’avais 16 ans, j’habitais à Paris dans le XVIIe arrondissement et je ne voulais plus aller à l’école française. Mes parents m’ont inscrite à l’école américaine et ça a été la révolution : il y avait une telle aisance, les élèves pouvaient mettre leurs pieds sur la table, on s’habillait comme on voulait. Ça m’a libérée. Tous les jours, je faisais un défilé. Je mettais du fard à paupières en accord avec mes tenues gothiques. Je portais des bagues avec des têtes de mort. Je me suis teint les cheveux en noir-bleu… Depuis, je n’ai pas beaucoup changé. Je n’aime pas être trop visible. Sauf sur les red carpets. Là, je sors le grand jeu : je veux du glamour, du théâtral, du rock !

Des souhaits ?

J’ai conscience qu’il s’est établi une barrière entre le cinéma français et moi, et je le regrette. J’aimerais vraiment tourner en France avec des cinéastes comme Audiard, Giannoli, Desplechin… Je voudrais aussi me débarrasser de cette image glacée, sophistiquée, qui me colle à la peau. J’aimerais jouer un rôle d’homme. D’ailleurs, tous les personnages féminins que j’aime sont très masculins. Comme celui que j’interprète dans la série américaine Camelot : j’y incarne Morgan, une guerrière. Elle a le même charisme que celui d’un homme. Presque plus !

PAR PAOLA GENONE

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