Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

(*) Libération, édition du 10 mai 2004.

C’est plus qu’un sujet délicat. Disons-le tout net, il est carrément tabou. L’aborder, c’est prendre, en effet, le risque de voir grimper illico aux barricades les ultraféministes. Sous l’£il amusé des misogynes qui eux, bien sûr, s’en délecteront. Les Américaines Pat Heim et Susan Murphy n’ont pas reculé pour autant. Leur pavé dans la mare, elles l’ont bel et bien balancé. Car pour elles, il n’y a pas de doute possible : au travail,  » la femme est un loup pour la femme  » (éd. Payot).

Crêpages de chignon, agressions voilées, commérages, insinuations, sabotages… Les belles ne reculeraient devant aucune stratégie de bas étage pour nuire à leurs semblables. Pis. Un récent sondage réalisé en France l’affirme tout aussi sec : 88 % des femmes interrogées disent, sans rougir du tout, préférer travailler pour un homme (*). Plus réacs encore, les ghettos exclusivement féminins (caissières, vendeuses, téléopératrices), là même où les pressions des entreprises exacerbent encore tensions et jalousies. Bref, autant d’éléments accablants susceptibles de saper le moral de la plus combative des suffragettes !

Alors bien sûr on s’interroge. On doute, on cherche. Les psys, déjà, sont appelés à la rescousse. Ils sont formels : les conflits au féminin ne seraient que la résurgence inconsciente en milieu professionnel de la rivalité mère-fille. Le rejet d’une femme PDG viendrait d’une confusion avec la mère toute-puissante de la petite enfance, car ce qui déterminerait l’attitude des femmes, ce serait tout simplement leur rapport à l’autorité maternelle. Soit.

Mais on avance d’autres explications encore. Les femmes se positionneraient dans une optique plus relationnelle et affective, elles auraient même plutôt tendance, entre elles, à gommer toute hiérarchie, pendant que les hommes maîtrisent parfaitement les jeux de pouvoir. Les femmes seraient plus à l’écoute de l’autre, mettraient davantage de liant dans leurs relations. Mais elles seraient aussi moins à l’aise avec l’autorité, notamment parce que celle-ci n’est pas toujours bien acceptée. Et qu’elles le savent intuitivement.

Ainsi, voilà le sexe  » faible  » tout autant englué que le sexe  » fort  » dans un système de représentation qui perpétue toujours les inégalités. Pat et Susan, elles, proposent un kit psychologique à l’américaine, tout cousu de poncifs, pour sortir de ce maquis. Mais l’affaire n’est pas si simple. Le pouvoir au féminin est encore neuf en entreprise. Et donc pas vraiment intégré. Ni par les unes, ni par les autres. Mais ça bouge, ça bouge quand même, n’en déplaise aux grincheux. Et là aussi, chaque petit pas en avant est rien moins qu’une bataille gagnée. Alors, patience, patience.

Christine Laurent

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