Il multiplie et juxtapose les cols, les cravates et les écharpes, il bascule les formes, il joue avec les gros plans… Inédit et original, le travail de Franck Audrain est empreint d’une grande rigueur. Ses créations sont à la fois épurées, sexy et féminines.

Sa troisième collection de haute couture s’appelle  » Fantomatic « . Franck Audrain l’a présentée au Musée Galliera, à Paris, en bousculant quelque peu ce lieu prestigieux et vénérable par un concept étonnant. Pas de défilé ! En se baladant dans les caves du musée, Franck a repêché de l’oubli quelques mannequins anciens. Il les a dépoussiérés, bichonnés, habillés, puis placés dans l’espace silencieux. Déambulant parmi ces silhouettes statiques, le visiteur anime et fait vivre ce lieu étrange, peuplé de créations futuristes et non moins étranges. Quelques points forts ? Cette robe à la fois étonnante et seyante qui n’est en fait… qu’une manche de chemise géante. On retrouve d’emblée l’une des marques de fabrique du jeune couturier qui consiste à zoomer sur une partie du vêtement, puis le détourner de manière inhabituelle. Le poignet de la chemise habille le buste, tandis que la manche coule en souplesse jusqu’au sol. Franck Audrain a superposé deux matières délicates et lumineuses : le crêpe de lin et le lin dévoré irisé. On admire aussi cette veste grise en lin et laine  » toile de peintre  » où les rabats des poches sont appliqués sur la poitrine comme une protection. Pour l’accompagner ? Un pantalon coordonné  » manches de chemise  » ou, plus glamour, la vraie jupe-culotte, confectionnée avec une multitude d’affriolantes culottes en dentelle. La répétition et la multiplication sont une autre idée forte. Il y a, ensuite, cette pièce pleine de caractère, construite avec un tissu laine et lin au motif très masculin prince-de-galles. Il est  » dévoré « , pour plus de légèreté. Ici, le créateur a détourné le col Mao dans la jupe. Le col fait office d’ourlet et illustre la troisième originalité de Franck Audrain : le vêtement basculé. Un top taillé dans la même matière prince-de-galles se rehausse d’un col géant. On admire, enfin, ce manteau blanc en laine bouillie, dont toutes les extrémités sont frangées. Des dizaines d’écharpes ont été soigneusement juxtaposées et cousues pour former cette silhouette immaculée, à la fois forte et fragile. Sans oublier une robe en forme de cravate géante, un jeans basculé en veste ou un top réalisé avec des cols de chemises. Répétitions, multiplications, détournements, exploitation singulière des gros plans et des détails… Voilà les idées clés du travail de Franck Audrain.  » Mon but est de faire avancer le schmilblick, souligne-t-il. Mon travail de haute couture est un laboratoire de recherche. Cela dit, j’évite la gratuité. Tous mes vêtements doivent être portables.  »

Ces concepts novateurs sont la conclusion d’un long parcours éclectique. Fils unique et enfant rebelle, Franck Audrain confie n’avoir jamais été un élève modèle. Il arrivera tout de même au bac. La culture et l’ouverture d’esprit, il les trouvera ailleurs, en voyageant.  » A l’âge de 10 ans, je connaissais presque toute l’Europe. J’ai traversé aussi, en trois semaines, les Etats-Unis. Ma mère, dessinatrice industrielle et peintre, a toujours adoré voyager pour le plaisir. Tout petit, je l’accompagnais partout. C’est très enrichissant.  » L’autre passion ? Le dessin. Le carnet de croquis ne le quitte jamais. Son exercice de style préféré consiste à refaire les caricatures dans les journaux. Plus tard, il s’amuse avec un copain à dessiner les silhouettes féminines d’avant-garde, inspirées par des morceaux de rock alternatif qu’ils écoutent en boucle. C’est l’époque où, en mode, Mugler et Montana règnent en maîtres absolus. Leur style graphique et affirmé fascine le jeune homme. En 1988, après le bac, il relie ses deux passions et prend le chemin des Ateliers Fleuri-Delaporte, une école de dessin de mode pur et dur. Il n’y a pas de cours de modélisme, on ne touche pas aux tissus. Diplôme en poche, Franck Audrain frappe à la porte de Balmain. Hervé Pierre, directeur artistique de l’époque, impressionné par son talent et par son  » £il « , le pousse à approfondir la formation dans la mode et le recommande à l’Ecole de la Chambre syndicale de la Haute Couture. L’étudiant peut entrer directement en deuxième année. L’apprentissage s’accompagne de premiers stages, chez Popy Moreni, au bureau de style Peclers, puis chez Torrente. Madame Torrente aime beaucoup ses croquis. Du coup, le stagiaire monte en grade et est chargé d’illustrer les books des collections. Quand la maison Lanvin lui offre son premier vrai job, Franck Audrain n’hésite pas une seconde et lâche définitivement la Chambre syndicale. Dominique Morlotti, directeur artistique de l’époque, lui confie la collection Il pour Elle. Le concept ? Adapter les costumes d’hommes à la femme. Une aubaine pour le jeune créateur dont la vision et la philosophie de la mode est déjà bien affirmée. Il aime par-dessus la coupe. Il attache de l’importance à la silhouette qui se dégage de loin, unie, éventuellement contrastée d’une seconde couleur. Le tout couronné par un grand raffinement de détails. Surtout pas de chichis, pas de tralala ni de fantaisies chromatiques.

Après le service militaire, Franck Audrain entre chez Givenchy où il fera une longue halte de plusieurs années. Dans un premier temps, il donne un coup de main à la couture, seconde Alexander MacQueen lors des défilés avant de se voir confier la responsabilité de la ligne Diffusion, plus accessible. Il dessine, choisit des matières, suit de A à Z la fabrication du prêt-à-porter et s’occupe de toutes les licences, dont une ligne de golf. Dans toutes les collections, on devine le même fil conducteur : l’esprit masculin-féminin qui lui est si cher depuis le début. Petit à petit, l’idée de sa propre griffe de couture commence à germer, d’autant plus que chez Givenchy il bénéficie de certaines facilités : il manipule les plus belles matières, a accès à tous les accessoires et  » outils « . A la fin 2001, une nouvelle présidente prend les rênes de Givenchy, restructure le département couture et arrête les licences. Le travail de Franck Audrain se réduit comme une peau de chagrin. On lui propose alors une collaboration en free-lance.  » A quelque chose malheur est bon « , dit le proverbe. Il préfère négocier son départ et s’investir pleinement dans sa griffe.  » Dès le début, le maire de Paris m’a beaucoup soutenu, en mettant à ma disposition, pour les défilés, l’espace du Musée Galliera « , précise-t-il. Pour le premier défilé, sur le thème  » Silent Spa « , des copains artistes lui donnent un coup de main appréciable et créent un décor autour de l’eau. Masseuses, soigneuses, mannequins et clientes se côtoient dans une ambiance zen.  » Papillon de nuit « , la deuxième collection, développe de façon plus appuyée les thèmes chers à Franck Audrain : le jeu sur le masculin et le féminin, un travail très épuré de la coupe, le basculement des formes, le zoom sur une partie du vêtement, un goût prononcé pour le noir et le blanc ainsi qu’un travail sur les tons pastel.  » Fantomatic « , enfin, affirme son style encore davantage, marque l’introduction de nouvelles matières, tel le lin, que l’on n’a pas l’habitude de voir en hiver, surprend par quelques brins d’audace… Il n’y a pas de doute, ce jeune créateur de 34 ans apporte un souffle neuf et frais dans l’univers de la haute couture, en pleine mutation.

Barbara Witkowska

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