Respectivement CEO et directeur artistique, Alain Lahy et Régis Prudhomme reviennent sur la rencontre entre Ungaro, grand nom de la mode parisienne, et JNL, leur marque belgo-belge fière de son exclusivité. Entretien.

La marque JNL reste confidentielle, même en Belgique…

Alain Lahy : Nous ne sommes pas connus du grand public parce que notre activité est tournée vers les professionnels : architectes d’intérieurs, décorateurs ou retail. C’est un choix de traiter avec cette famille d’interlocuteurs, qui vient vers nous au niveau international grâce au salon Maison et Objet de Paris, où nous faisons figure d’entreprise-phare à côté des grandes enseignes italiennes. Les pros sont très fiers de donner accès à nos collections haut de gamme à leurs clients, qui apprécient cette confidentialité. A un certain niveau de prix et de qualité, c’est important de pouvoir bénéficier de collections exclusives.

De quand datent les débuts de JNL ?

Alain Lahy : De 1992, lors de l’association de deux personnes, Christian Ji et moi-même. Très vite, on s’est rendu compte que le marché belge était bien trop réduit et qu’il fallait se tourner vers l’étranger. Aujourd’hui, JNL réalise 90 % de son chiffre d’affaires à l’export dans 40 pays. D’abord en Europe, puis vers les pays émergents, Russie, Asie, Moyen-Orient. Surtout depuis 2008.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres ?

Alain Lahy : Nous avons toujours détenu la fabrication de nos produits, sans recourir à la sous-traitance. Tout est confectionné dans notre propre usine qui compte 250 employés. Nous y avons intégré la création, la réalisation et la diffusion, ce qui nous assure un contrôle de qualité important, des produits 100 % belges et une organisation simplifiée.

Une maîtrise totale qui a des limites ?

Alain Lahy : Oui, puisqu’elle ne nous permet pas de grandir, ou très progressivement. Il nous serait impossible de multiplier la production par dix du jour au lendemain. Mais comme le projet mise sur la rareté, nous préférons éditer 50 canapés plutôt que 500, tout en proposant un service sur mesure qui nous a permis de surmonter la crise de façon remarquable.

L’identité de JNL se construit aussi à travers ses marques satellites…

Alain Lahy : Notre première acquisition remonte à 2007, avec Van Hamme. C’est le plus ancien fabricant de canapés de Belgique, une société au savoir-faire ancestral, fondée en 1895 et fournisseur de la Cour. Puis nous avons racheté Luz Interiors, un label plus jeune, plus simple, destiné aux budgets plus modestes. Et en 2008, les bougies Baobab. Nous voulions garnir notre portefeuille d’un bien de consommation qui reste lié à la déco, qui crée une ambiance. Notre portefeuille est complémentaire et cohérent.

Et il le reste avec l’arrivée d’Ungaro…

Alain Lahy : Ungaro voulait se redéployer, comme ce fut le cas en mode depuis deux saisons aux collections plutôt prometteuses. Pour le mobilier, la griffe était à la recherche d’un opérateur de luxe qui puisse la remettre à niveau. Notre réputation à Paris l’a amenée à nous et nous avons très vite constaté un intérêt commun. Une marque belge, aussi forte soit-elle, a beaucoup de mal à rayonner au niveau international. Tandis qu’un nom comme Ungaro, maison française implantée à Paris, a une aura inégalable.

Quelles étaient vos exigences ? Et les leurs ?

Alain Lahy : Nous avons d’abord demandé la main sur la direction artistique. Et ils nous ont donné carte blanche, j’avoue que je ne m’y attendais pas. Nous travaillons donc en totale autonomie, sans aucun droit de regard, nous assurons en interne l’ensemble de la production et la diffusion. En tant que créateurs d’ambiance et d’art de vivre, des meubles, des matières et des couleurs, nous avons aussi la licence mondiale pour les tissus d’ameublement, les papiers peints et les tapis.

Qu’est-ce qui les a convaincus de vous donner une telle liberté ?

Alain Lahy : Notre savoir-faire et notre efficacité. On est rôdés. En tant que Belges, on est modestes mais créatifs, et on sait se remettre en question. Et on garde beaucoup d’intérêt pour la déco, peut-être parce que les maisons font parfois 200, 300, 500 mètres carrés. A Paris, un client fortuné aura peut-être un appartement qui n’en fait que 120. Il recevra donc moins chez lui et ira souvent à l’extérieur, d’autant que la vie culturelle parisienne le permet. Chez nous, on invite plus facilement à la maison.

Comment avez-vous relevé ce défi de taille ?

Régis Prudhomme : Il n’y avait pas d’univers mobilier chez Ungaro, il fallait donc en bâtir un à partir de rien. Nous nous sommes inspirés des codes couleurs et tissus de la marque. Nous avons eu accès à leurs trésors d’archives et fait un énorme travail pour repérer des choses qui pourraient nous servir. On a tout eu à disposition depuis 1965, c’était extraordinaire. Mais il fallait un certain talent pour remanier cela, remettre au goût du jour les associations et les matières de l’époque.

Une belle preuve de confiance et une sacrée responsabilité…

Régis Prudhomme : Ce n’est pas leur métier, c’est le nôtre. Mais il ne fallait pas se rater. Ungaro était restée une belle endormie, qui n’a pas été abîmée, galvaudée ou pillée, contrairement à beaucoup de grands noms. Et l’alchimie entre nous a fonctionné.

Alain Lahy : A travers trois thèmes, nous avons associé le pragmatisme belge au rayonnement français. Même si nous avons pris une orientation luxueuse, brillante sans être ostentatoire, qui correspond davantage aux goûts des pays émergents qu’au marché français ou même belge, plus minimaliste. Ça ne séduira pas tout le monde. Délibérément. Ce qui plaît à tous ne plaît à personne.

Quels sont ces trois thèmes ?

Régis Prudhomme : Nous avons misé sur trois ambiances. La première, Avenue Montaigne, est un hommage au Baron Haussmann et une référence à l’héritage parisien d’Ungaro. Paris, où qu’on soit dans le monde, ça reste la Ville lumière. La seconde, brésilienne, est dédiée à Oscar Niemeyer, un poète de l’architecture urbaine, avec des motifs un peu géométriques, cybernétiques, des pièces qui rappellent les trottoirs ou les bâtiments de Brasilia, le congrès, la cathédrale… Et enfin, l’atmosphère  » Une visite chez M. et Mme Arthur Miller  » : un intérieur doré un peu patiné, qui évoque le Hollywood des belles années. Celui de Marilyn Monroe, mais je préfère dire Madame Miller, ça fait moins pin-up de calendrier. J’imagine bien Marilyn installée sur ce canapé blanc, en train d’appeler John Kennedy. Tous les projets seront signés, identifiés dans le temps et munis d’un certificat d’authenticité. Cela contribuera à leur valeur, ce sont les antiquités du futur.

PAR MATHIEU NGUYEN

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