Demandez au premier quidam venu de décrire l’architecture typique du littoral belge et il y a fort à parier qu’il évoquera ces blocs de béton sans âme ou ces lotissements de villas identiques. Pourtant, les environs de Nieuport recèlent aussi quelques perles !

« Attention, traversée de batraciens entre 19 heures et 6 heures !  » Bienvenue à Simli, une zone résidentielle à 600 mètres de la plage de Nieuport où on entend encore murmurer les vagues et crier les mouettes, et où les Mercedes s’arrêtent paresseusement pour laisser passer grenouilles et crapauds. Une maison à moins de 500 000 euros, ici ? Vous pouvez toujours chercher ! Autant dire qu’on ne trouve guère de jeunes familles dans ce quartier où se succèdent les villas imposantes entourées de vastes jardins…

Pourtant, dès que l’on bifurque dans le Mosweg, l’architecture prend un tout autre visage. Les grosses villas font place à des constructions basses aux lignes élégantes, des maisons toutes de plain-pied avec çà et là un toit en pente. Atypiquement belges. Au fil du Mosweg, de la Hendrik Consciencelaan et de la Charles Decosterlaan, on se croirait presque dans la Finlande d’Alvar Aalto. Pourtant, c’est bien un architecte belge, Peter Callebout, qui a imaginé dans les années 50 des plans pour tout le quartier – même si une dizaine de maisons seulement ont finalement été construites. Ses créations modernistes et épurées semblent presque disparaître dans la nature environnante : construites à flanc de dune, elles se fondent complètement dans leur environnement avec leurs murs blancs et leurs panneaux en bois ou en roseaux.

PASSAGE DISCRET

Plus d’un demi-siècle après leur construction, la plupart des bâtiments de Callebout ont aujourd’hui besoin d’être restaurés… et s’il est un bureau d’architectes belge qui colle au profil de leur créateur, c’est bien Oyo, un jeune collectif gantois de cinq personnes qui vient de s’atteler à son troisième chantier de rénovation d’une maison Callebout. Oyo est l’acronyme de  » Open Y Office « ,  » parce que chez nous, tout est sujet à discussion, explique son cofondateur Eddy Soete. Nous ne choisissons jamais d’emblée la solution qui saute aux yeux, même s’il n’est pas question non plus d’exploiter de façon systématique les mêmes ficelles. Nous n’allons pas nous amuser à superposer deux boîtes simplement pour faire original « . Bureau atypique, Oyo a étroitement intégré dans son style le modernisme de Peter Callebout et le goût des constructions basses, ancrées dans la terre au sens propre comme au figuré.

 » Quand on me demande où j’habite, j’essaie toujours de rester vague, explique dans un sourire Eddy Soete, lui-même occupant d’une maison Callebout. Je suis bien conscient de l’image que renvoie le quartier, mais cette rue, c’est un îlot à part. Derrière le coin, les places de stationnement sont envahies de touristes tous les dimanches, mais dans cette petite artère discrète, il n’y a jamais personne.  » Après avoir vécu pendant plusieurs années à Maldegem, l’architecte a eu envie de retrouver sa vraie patrie : la côte. Lorsqu’il a vu cette bâtisse signée Callebout sur un site de vente immobilière, il a immédiatement eu le coup de foudre… et le contrat était signé avant même que son épouse n’ait eu le temps de visiter les lieux !  » Cette maison, il me la fallait « , conclut-il en riant. Il extrait d’une armoire un carnet de croquis des années 80, sorte de journal en images d’un voyage d’études au fil des oeuvres d’Alvar Aalto en Finlande. Il nous montre une esquisse représentant la résidence secondaire de l’architecte à Muuratsalo, qui rappelle tout à fait sa propre maison.  » J’ai été très marqué par ce voyage, qui a littéralement posé les bases de mon oeuvre ultérieure… et puis un beau jour, je tombe ici en Belgique sur quelque chose de tout à fait semblable. Comment croire que ce n’était que le fruit du hasard ?  »

Eddy Soete a acheté l’habitation en 2008 et l’a rénovée en limitant les aménagements au minimum.  » J’adore la manière dont cette maison se fond dans son cadre naturel, avec son toit en pente qui disparaît dans le sable et la dune qui lui sert de jardin. Avec un tel bâtiment, le grand défi est toujours de ne pas gâcher sa spécificité.  » Les panneaux en bois à l’avant ont néanmoins fait place au verre pour laisser mieux entrer la lumière, le garage a été converti en chambre d’enfants et, à l’arrière, l’architecte a agencé autour d’un patio un étage supplémentaire en sous-sol pour accueillir des chambres et une salle de bains.  » La maison était franchement trop petite pour notre famille, mais pas une seconde je n’aurais songé à y ajouter un étage en surface. Callebout se serait retourné dans sa tombe !  »

UN BUNKER TOMBÉ DU CIEL

La marinière qu’il porte ce jour-là ne fait que le confirmer : Eddy Soete aime tout ce qui a trait à la côte ou à la mer. Devant sa maison se dresse un bunker qu’il a fait fabriquer sur mesure et qui sert aujourd’hui à ranger les vélos.  » C’est une grue qui l’a déposé là – mais pas tout à fait au petit bonheur la chance : si vous regardez bien, vous verrez que sa diagonale est exactement parallèle à celle du toit.  » La maison n’a pas d’entrée carrossable ; depuis la rue, on accède à la porte par un simple chemin en acier Corten dont l’apparence rappelle celle de la rouille.

Tout ici évoque une maison de vacances. Avec une pointe d’imagination, les couleurs sont celles de la mer : le rouge de la rouille, le jaune du sable, le bleu de l’eau. Dans le jardin, l’architecte a fait creuser une piscine-étang dont l’eau crée des reflets dansants sur les murs de la cuisine dès que le soleil se montre. Une cavité aménagée à même le sol du salon accueille un cactus ramené de Lanzarote, et on remarque aussi çà et là une lampe en métal dessinée par le célèbre architecte César Manrique, originaire des Canaries. Grâce à son père, ancien commandant sur la ligne Ostende-Douvres, Eddy a pu récupérer pour ses enfants des lits superposés provenant d’une cabine de ferry.

A la fin de notre entretien, il nous abandonne dans sa maison pour filer chez le poissonnier. Peu après, il revient les bras chargés et nous prépare en deux temps trois mouvements un véritable festin de carpaccio de bar, langoustines et crevettes épluchées à la main.

Après le repas, nous partons à la découverte du reste du quartier. Un peu plus loin, une autre maison Callebout a été restaurée sans aucun respect pour la vision du défunt architecte : les nouveaux propriétaires ont manifestement essayé d’en faire une villa Simli. La fin du Mosweg est marquée par une autre bâtisse étonnante aux allures de pavillon de jardin, une création récente de l’architecte Peter Haverhals inspirée de Callebout.

SOURCE D’INSPIRATION

 » C’est ça qui est sympa dans ce quartier : les mêmes principes modernistes resurgissent dans les nouvelles demeures.  » Au numéro 7, l’ancienne habitation privée de Peter Callebout, construite en 1956, reste l’un des fleurons du quartier, même si elle a visiblement besoin d’être rénovée. L’architecte a été forcé de la mettre en vente pour des raisons financières, explique Chris Yperman, poétesse et écrivaine âgée de 79 ans, qui vit ici depuis de nombreuses années. Dans le jardin, on aperçoit encore quelques oeuvres de son époux aujourd’hui décédé, le sculpteur Roel D’Haese.

Lorsque nous tournons le coin de l’August Oleffelaan, Eddy Soete brandit une clé et nous ouvre la porte d’une habitation qu’Oyo a été chargé de rénover. Après un autre site à Oostduinkerke, c’est aujourd’hui la troisième maison Callebout que le bureau s’apprête à remettre à neuf.

Oyo est le genre de bureau auquel on peut s’adresser avec à la fois des projets fous etun petit budget : sympathique, terre-à-terre et pourtant ambitieux – une qualité qui se reflète tout particulièrement dans la personne du plus jeune de ses partenaires, Nigel Jooren (25 ans). Pour les cinq compères, le fait d’être présentés comme  » atypiquement belges  » est un compliment, fût-ce moins par goût de la rébellion que parce qu’ils sont bien conscients de l’esprit qui les anime. Récemment, l’une de leurs créations a été nominée au titre de Building of the year 2014par le célèbre site Internet Archdaily. Oyo est également le seul et unique studio belge à figurer aux côtés de ténors tels que Zaha Hadid sur la liste des candidats à la réalisation du nouveau campus Howest à Courtrai. Et ce n’est certainement pas un hasard si son style se marie si bien avec celui d’un original comme Callebout…

www.oyo.is

PAR VEERLE HELSEN / PHOTOS : VERNE

 » J’adore la manière dont cette maison se fond dans son cadre naturel.  »

 » Les mêmes principes modernistes resurgissent dans les nouvelles demeures.  »

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