A sa connaissance, c’est le seul lunetier de Belgique. Le Bruxellois vient d’ouvrir un atelier-boutique, où il fabrique des montures sur mesure en corne de buffle ou acétate. Ou quand le luxe devient une affaire personnelle.

Comment devient-on un jour lunetier, quand il ne s’agit pas de reprendre l’affaire de famille ou de nourrir une vocation née dès l’enfance ? Pour Ludovic Elens, l’histoire aurait pu tourner court, mais se révèle finalement plus qu’enrichissante. Ado, après une année tourmentée, ce dernier est orienté vers des études techniques.  » A 15 ans, on m’a demandé ce que j’aimais faire. Vaste question ! « , se souvient ce Liégeois de naissance, parti très tôt vivre en Flandre, dans le cadre du boulot du paternel.

Il s’imagine pâtissier ou jardinier, mais sa mère lui souffle que dans le premier cas, il se levera avant l’aube et, dans le second, il devra se farcir une bible de botanique. Hors de question. Reste l’option de la photographie – écartée pour cause de préjugés sur le caractère artistique de la filière -, de la prothèse dentaire ou de l’optique. Vendu, ce sera le monde des lunettes.  » Ce cursus s’est révélé très sympa, avoue-il. Ce métier combine des aspects esthétiques, techniques, commerciaux et paramédicaux.  » Ses stages lui confirment son impression positive. Le plaisir de rentrer dans l’intimité du client, devenu pour l’occasion patient. La joie d’apprendre à réparer, souder et fabriquer des montures.

Après une année supplémentaire en marketing, ce deuxième d’une fratrie de quatre enfants est repéré par une chaîne d’optique, qui l’engage pour le poste de directeur de magasin, avec la gestion d’une équipe de neuf personnes – toutes plus âgées que lui. Après coup, il le reconnaît : il était trop jeune et peu sérieux pour jouer ce rôle.  » Il me manquait clairement le savoir-être.  » Au terme de trois années d’expériences, certes riches d’apprentissages, celui qui, à l’époque, n’a pas 25 ans, est remercié. Pour se changer les idées, il part au Togo, y enseigne l’anglais, s’occupe de prévention contre le sida, creuse des puits, sillonne les environs en moto…  » Je suis revenu de ce voyage avec beaucoup plus de maturité « , se réjouit-il.

Le voilà désormais qui sait ce qu’il (ne) veut (plus) faire. Il dresse une liste d’opticiens haut de gamme de la capitale, envoie quinze CV et reçoit treize demandes d’entretien – bosser dans un secteur constamment en recherche de profils trilingues, ayant déjà endossé des responsabilités par le passé, cela aide. Son choix se porte sur la maison Hoet, créateur de lunettes à la réputation internationale. S’il y parfait son expertise pendant plusieurs années, trotte dans un coin de sa tête l’envie d’avoir son petit commerce à lui. Pas question, pour autant, de proposer la même chose que la concurrence. A force de réflexions, émerge l’idée de revenir au travail à l’ancienne et de fabriquer des montures sur mesure. La corne de buffle est également un matériau que l’on ne croise pas à tous les coins de rue. Bingo, l’homme part quelque temps dans le Jura, dans un village dédié à la lunetterie, où plusieurs pensionnés, meilleurs ouvriers de France dans cette catégorie, transmettent leur savoir-faire.

A l’automne dernier, il ouvre enfin sa boutique, avec atelier au sous-sol, Lunetier Ludovic, à Bruxelles.  » Au départ, je pensais m’adresser aux profils du type costume trois pièces. Finalement, ce sont des visages aux proportions peu courantes qui passent le plus souvent la porte, ceux qui ne trouvent pas leur bonheur dans les montures standards.  » A chaque fois, le rituel est le même. Trouver un modèle qui réponde aux envies du client, tout en tenant compte des spécificités de son visage. Plusieurs prototypes sont dessinés, avant que le spécialiste ne façonne et polisse la paire retenue.  » Je me tire peut-être une balle dans le pied en proposant des articles qui peuvent être gardés toute une vie. Mais n’est-il pas temps de changer notre mode de consommation, à partir du moment où l’on achète de la qualité ? « , s’interroge celui qui ne cache pas être un peu dépassé par le succès des débuts et n’hésite pas à demander l’aide de sa famille, le tout avec son fils de quelques mois, qui gazouille régulièrement à ses pieds. La relève est peut-être assurée…

www.lunetierludovic.be

PAR CATHERINE PLEECK

 » N’EST-IL PAS TEMPS DE CHANGER NOTRE MODE DE CONSOMMATION, À PARTIR DU MOMENT OÙ L’ON ACHÈTE DE LA QUALITÉ ? « 

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