Dans  » Femmes X « , elle chante le couple en déroute, les filles perdues et l’enfance volée. Et pourtant Karin Clercq croit au mariage, à la fidélité… Un jour, c’est sûr, elle écrira une chanson d’amour où tout va bien!

Yeux clairs, chevelure blond cendré, robe noire aux transparentes élégances : au premier regard Karin Clercq, 30 ans, apparaît comme une héroïne hitchcockienne. Mais méfiez-vous des apparences… Les femmes (presque) fatales de Hitchcock ne chantent pas et n’enfantent guère: Karin Clercq fait les deux. Tout en évoquant parfois le timbre de Françoise Hardy, elle est davantage proche de jeunes interprètes telles que Keren-Ann Zeidel (la demoiselle qui a composé pour le retour d’Henri Salvador) ou de Françoiz Breut. Son premier jet de chansons s’appelle  » Femme X  » et le titre  » Ne pas  » fréquente déjà les ondes radio: sans doute à cause des textes mordants où elle jette les phrases comme autant de petits films privés. La belle Bruxelloise a fait un bébé avec son mari et un disque avec un Breton, ex-comparse de Miossec. Chez Karin Clercq, les sentiments ont la langue bien pendue.

Weekend Le Vif/L’Express: La pochette de  » Femme X  » est une photo de vous immergée dans l’eau: une présomption à la naissance de votre petit garçon ?

Karin Clercq: Ce n’était pas prémédité: je trouvais que le symbole de l’eau me représente bien. Je n’avais pas envie d’un visage, d’une photo d’une  » belle plante « , je voulais un peu de mystère, d’où le titre de l’album  » Femme X « . Plutôt le X de l’anonymat que le X du cul. Et je précise que sur la pochette, ce n’est pas ma poitrine que l’on voit mais mes genoux ( rires). D’ailleurs, on a retouché les genoux ( rires).

Deux bébés en même temps. Est-ce un hasard ?

Disons que la conception du bébé-disque a été plus longue que celle de mon fils Maxence. Mais c’est un hasard qu’ils soient arrivés la même semaine: mon petit garçon avait un peu d’avance. Pour l’instant, je suis plutôt dans un état second, mais un état euphorique, gai. Le disque; c’est une sensation étrange d’y avoir travaillé pendant deux ans puis de le livrer aux gens sans connaître leur réaction. Dans mon métier de comédienne, la sanction est immédiate et change tous les soirs. Le disque est gravé, il ne m’appartient plus.

Quel est votre parcours artistique ?

Depuis toute petite, je voulais être comédienne, mais pour des raisons – disons familiales – j’ai d’abord étudié l’histoire de l’art à l’UCL. M’intéressant beaucoup à l’architecture du lieu théâtral, j’ai beaucoup travaillé sur le théâtre de Chimay, ce théâtre à l’italienne qu’on voit dans  » Le Maître de musique « . Ensuite, j’ai fait le Conservatoire de Liège pendant trois ans. Mon premier contrat, c’était une pièce de de Ghelderode et mon premier grand rôle c’était la jeune première dans Goethe où je chantais des lieds.

Qui a forgé votre éducation musicale ?

Mon père écoutait beaucoup de rock, et c’est toujours lui qui me fait découvrir toutes les nouveautés, même assez pointues. Au niveau chanson française, j’étais un peu larguée, mais depuis peu, je m’y suis mise. J’étais plutôt fascinée par le cinéma, les films glamour, les héroïnes hollywoodiennes, Marlene Dietrich. Puis le cinéma d’auteur français. Parmi les derniers films qui m’ont secouée:  » No Man’s Land  » et un film allemand, dont j’oublie le titre, qui était vachement trash (NDLR :  » Das Experiment  » d’Oliver Hirschbiegel). Basé sur un jeu de rôle où l’on enferme les gens dans une fausse prison, la moitié devient gardiens, l’autre prisonniers. A la vision du film, j’étais enceinte et je suis rentrée chez moi, les jambes coupées. C’est surtout les rapports entre les gens qui m’intéressent au cinéma, au théâtre ou dans les chansons.

C’est le cinéma qui vous a amenée à la chanson, non ?

Oui, une amie réalisatrice, Nathalie Jacques, m’avait vu chanter  » Suzanne  » de Leonard Cohen quand j’avais 18 ans. Elle a écrit un court-métrage où elle m’a demandé d’interpréter un titre qui était mis en musique par Guillaume Jouan, guitariste de Miossec. Au départ, j’étais un peu tétanisée mais la découverte du chant, cette chose qui parle aux tripes, m’a complètement emballée. Cela a été le début de mes relations – musicales – avec Guillaume: on a vite senti qu’il se passait quelque chose entre nous.

Dans  » Femme X « , vous chantez  » Pourquoi quand je marche dans les rues, je passe toujours inaperçue ? « . Ce n’est pas autobiographique ça !

Là, je suis partie de l’image d’une jeune femme dans le métro: son regard perdu m’a inspiré cette chanson. On a tous ce sentiment d’être parfois transparent: cette femme cristallisait cela. J’essaie d’utiliser des mots simples, d’être directe. Ce qui me parle, ce sont les failles, les fêlures. Faudrait que j’arrive à écrire une chanson d’amour où tout va bien: c’est l’étape suivante.

 » Possessive, excessive, impulsive, agressive, hystérique, romantique, ridicule, pathétique « : c’est dans  » Ne pas « , chanson sur le couple.

 » Et ne pas oublier le bac du chat « : un peu d’humour est nécessaire pour désamorcer. Je me suis inspirée de couples autour de moi et du mien aussi d’ailleurs !

Croyez-vous au couple ?

Ah oui oui, j’y crois. Et je suis mariée à l’église… J’aime les rites et je trouve que cela a du sens de marquer le coup: le couple n’est jamais gagné d’avance, d’autant que la femme et l’homme sont devenus tous les deux très indépendants. Pour le couple, c’est vachement difficile, surtout pour l’homme, parfois il faut être Superman. Le mariage, pour moi, reste un défi.

Au théâtre, on joue généralement les textes des autres, en musique, on parle plus directement de soi ! Que dit votre entourage de cette intimité déballée ?

Il faut prendre de la distance: au théâtre, lorsqu’il y a une scène d’amour et que j’embrasse un homme, ce n’est pas réaliste. Il y a l’individu et la chanteuse: depuis le départ, mon mari – Gabriel Alloing, metteur en scène – m’encourage énormément, me provoque. Mais cela se passe aussi dans l’autre sens: je l’ai provoqué en lui demandant une chanson d’amour et d’humour. Il a écrit  » Manqué  » sur une femme qui attend un homme qui ne vient jamais.

Qu’est-ce qu’un baiser de théâtre ?

C’est un bisou sur la bouche, c’est rien du tout. Sans la langue naturellement: celui qui met la langue se ramasse vite une gifle, sauf si c’est en public. Alors, il la prend après ( sourire). Quand trois cents personnes vous regardent, on pense à autre chose qu’à un  » vrai  » baiser.

Les scènes d’amour, cela doit être embarrassant !

Je n’ai jamais fait de scène d’amour au théâtre: la seule fois où j’ai passé un casting dans le genre, c’était pour une scène de nu avec John Hurt, mais je n’ai pas voulu la faire. Cela n’a rien d’érotique du tout… C’est très technique tout cela, même s’il y a certainement des débordements. Je ne suis pas quelqu’un de très pudique, je n’ai pas de problème avec la nudité, mais ne faire que des scènes d’amour, non. Cela dit, au cinéma, jusqu’à présent, je n’ai eu que de petits rôles. Il y a beaucoup de tournages en Belgique mais les Belges doivent souvent se contenter de petits rôles, alors que les capacités sont là !

Enervée ?

Un peu. Ici, il y a un énorme potentiel d’acteurs mais peu de relais médiatique ou de support politique et culturel. Et les télés ne font pas grand-chose !

Aimez-vous partir en tournée ?

Cela m’excite à fond, je ne suis pas très casanière. Je n’ai plus de scènes avant septembre prochain et comme j’ai arrêté de jouer fin novembre dernier, cela fait long ! Les concerts, j’ai l’impression, sont sans filet: le vertige vous prend en même temps que la montée d’adréaline. Je ne connais pas encore mais ça a l’air bon !

Et il ne faut pas avoir la grosse tête !

Quand on allaite à trois heures du matin, qu’on est crevée, on a beau avoir sa photo dans les  » Inrockuptibles « , cela ne suffit pas à avoir la grosse tête !

Vous intéressez-vous à la mode ?

Pas trop: comme toutes les filles, je regarde un peu ce qui est tendance. Et cet été, cela n’a pas l’air terrible, ces tons pastel années 1980, bof !

Dans  » La Chanson d’Anna « , vous chantez  » Qu’il est vieux, cet immeuble désuet/Est-ce là que je vais travailler ? Qu’il est vieux, l’homme, qu’il sent mauvais/Pourquoi ferme-t-il la porte à clé ? « 

Au départ, il y a un reportage sur la prostitution des filles de l’Est auxquelles on promet un travail et qui se retrouvent sur le trottoir. Je suis tombée sur l’une de ces femmes perdues, une jeune Polonaise qui témoignait sur le Net. Je suis partie de cela pour écrire la chanson: je me suis dit que je n’arriverais jamais à écrire ce qu’est le fait d’être vendue, c’est tellement glauque que je ne voulais pas être descriptive: j’ai arrêté la chanson au moment où le type ferme la porte à clé et piège la fille. Le reste, il vaut mieux le laisser dans l’imaginaire.

Comment les femmes réagissent-elles à vos chansons ?

Parler du désir féminin ou de sujets plus noirs, plus mordants, n’est pas fréquent chez les chanteuses: la femme est souvent cantonnée au côté romantique et léger de l’amour. Les réactions face aux chansons du disque sont assez positives, notamment à  » Fêlure « , texte sur l’infidélité où je dis:  » Que sont ces pulsions voluptueuses qui rendent aveugle l’amoureuse, lui font oublier ses serments pour les plaisirs d’un court instant « .

Et la fidélité ?

Jusqu’à preuve du contraire, j’y crois. La fidélité est un défi. Cela me rassure d’entendre des femmes et des hommes me dire que mes chansons leur parlent. Maintenant, il y a un renouveau du point de vue féminin: Coralie Clément, Françoiz Breut, Keren Ann Zeidel. S’il y avait une chose à emmener sur une île déserte, ce serait mon petit poste à musique.

Mais il n’y a pas d’électricité sur une île déserte !

Il faudra que je pense aux piles parce que la musique ponctue tous les moments de ma vie.

CD  » Femme X « , chez Pias. En concert à la rentrée.

Propos recueillis par Philippe Cornet

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