Amoureux de la Chine du Nord, le célèbre illustrateur Hippolyte Romain a recréé une maison de thé… au cour du Jardin d’Acclimatation de Paris. Il l’a meublée des plus beaux objets rapportés de ses voyages et a réalisé de toutes pièces un fabuleux décor.

Même si, d’une pirouette, il s’affiche modestement  » lutin de jardin « , Hippolyte Romain, peintre, illustrateur et metteur en scène, est aussi le directeur artistique du Jardin d’Acclimatation à Paris. C’est là qu’il a choisi de donner libre cours à sa passion pour Pékin et la Chine du Nord. Tout a commencé avec l’achat d’un lit, extraordinaire objet de la fin du xviie siècle, trouvé chez un antiquaire parisien. A ceux qu’horrifierait une emplette aussi fastueuse, Hippolyte Romain répond qu’il est naturel, quand on ne sait pas conduire, de préférer un beau lit à une belle voiture… C’est ce meuble étonnant, explique- t-il, qui l’a  » tiré par les pieds pour l’envoyer en Chine « , où il n’était jamais allé.

Hippolyte Romain est tombé amoureux du pays, des gens, et a cherché à les comprendre. Il a visité Pékin, a rencontré des personnes qui lui en ont montré les recoins, s’est mis à la cuisine chinoise (il a, depuis, consacré un ouvrage à cet art). Il se rend désormais en Chine cinq à six fois par an afin de satisfaire, aussi, son grand intérêt pour le mobilier ancien, en particulier pour celui de la province du Shang Si, rustique, très simple, très pur, à l’inverse de ce que produit la Chine du Sud, souvent tarabiscoté.

Afin de donner une nouvelle vie au Jardin d’Acclimatation, vieux parc qui s’endormait dans ses formes Napoléon III, Hippolyte Romain a suggéré de l’orientaliser en y aménageant une maison de thé. Ce genre de lieu û qui, au demeurant, n’existe plus guère à Pékin, mais qui peuple, par exemple, les romans de Lao She û est un havre de paix, où tout un chacun peut venir lire, boire du thé, rêver, au milieu de belles choses, écouter de la belle musique, dans une ambiance raffinée. Cette lumineuse demeure est remplie des meubles qu’Hippolyte Romain a patiemment rapportés de ses voyages.  » La Chine m’a simplifié la vie, confie-t-il. Acquérir un meuble européen du xviiie siècle est devenu excessivement coûteux ; une copie d’antiquité chinoise, en revanche, et de belle qualité, est abordable.  » Sa maison de thé, il l’a remplie de quelques copies, ou d’objets contemporains, mais également d’admirables collections de meubles anciens, d’objets et de tableaux, qui, juxtaposés avec un très harmonieux sens de la mise en scène, offrent une ambiance profondément dépaysante et reposante. Il prétend qu’avoir découvert la Chine est un présent qui lui a été fait, pareil au fait d’avoir trouvé une deuxième galaxie :  » J’ai ouvert une porte de placard et aperçu un autre ciel…  »

Eclairée par une vaste verrière, la merveilleuse demeure est remplie de milliers d’objets, tous authentiques, qui symbolisent la Chine. Il y a des cages à rossignols, habitées d’oiseaux empaillés, des lanternes en tissus, en papier ou en grillage, des lanternons et des rubans de couleurs vives suspendus un peu partout. Il y a des meubles laqués (les uns sang de b£uf, les autres noirs), des vêtements anciens, peints ou brodés, des tableaux splendides et tout le matériel (pinceaux et pots à pinceaux) qu’il a fallu pour les réaliser, des meubles (armoires, buffets hauts, coffres, autel de prière), des objets liés au cérémonial du thé. Il y a aussi des poupées, des marionnettes, des vases (anciens et contemporains mélangés), des coiffes, outrancièrement kitsch, des bols, des assiettes, des panneaux peints de couleurs vives (fuchsia, orange, jaune). Il y a encore des paniers, des brûle-parfums, des théières, de toutes tailles, de tous âges et de tous matériaux, des photos sépia, des portes anciennes, sculptées et gravées, des piles de livres (anciens ou modernes), la plupart illustrés, tous sur le thé ou la Chine. Il y a enfin des dessins, chinois ou du maître des lieux, des éventails, des caisses à thé, des jeux de go. Sans oublier de superbes collections d’idéogrammes peints. Que signifient-ils ? C’est un secret.

Tout est placé sous la bienveillante protection de  » Mademoiselle Li « , une encre sur papier armé signée Hippolyte Romain et tout est baigné par la délicate musique, jouée au tympanon, à la cithare et à la viole chinoise. C’est ici, dans cette ambiance exquise, dans le plus scrupuleux respect de l’âme d’un Pékin qui n’existe plus, qu’Hippolyte Romain invite ses amis à prendre le thé… Tous, de cette maison, pourraient penser ce qu’en dit celui qui l’anime :  » J’ai toujours beaucoup de mal à la quitter et beaucoup de plaisir à la retrouver.  »

Robert Colonna d’Istria

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