Les » Touaregs » du troisième millénaire rêvent d’habiter des pavillons design agrippés au toit d’un gratte-ciel ou nichés au cour d’une forêt luxuriante. Sans transition. Buxi, un module habitable imaginé par deux architectes belges, surfe sur la tendance nomadisante.
Chaque décennie voit se pointer son lot de nouveaux spécimens sociologiques. Fin des années 1990, les » bobos » – ces jeunes bourgeois bohèmes, bien souvent friqués mais jouant à l’écolo branché et se refusant le luxe ostentatoire des générations précédentes – ont commencé à envahir les centres urbainsà Aujourd’hui, notre monde occidental se voit lentement occupé par une nouvelle espèce en mutation : les nouveaux nomades – appelez-les » nonos « . Emportés par le tourbillon de la mondialisation et en quête de modes de vie alternatifs, de préférence trendy, ces baroudeurs des temps modernes réitèrent l’expérience, certes davantage fleur bleue et improvisée, des New Age Travellers des années 1970 et arpentent le monde, que ce soit pour leur travail ou leurs loisirs. Ils ont soif de bouger – sans entrave – et ne rêvent plus d’un foyer douillet et rassurant, mais plutôt de quais confortables où poser leurs valises le temps d’une halte.
Face à cette tendance émergeante, designers et architectes planchent depuis quelques années déjà sur de nouveaux concepts d’habitat destinés à ces individus en mouvement perpétuel – modules XXS aux vertus bioclimatiques, containers reconvertis en logement économique et autres » boîtes à sardines » carénées. Ces maisons expérimentales se doivent d’être compactes, peu onéreuses, facilement (dé)montables et si possible écologiques. Certes, l’utopie veut que ces modules puissent être emportés, telle une coquille sur le dosà Mais plus concrètement, ces habitats sont le plus souvent placés à des endroits clés et utilisés temporairement. Le but étant alors de voyager de lieu en lieu, de module en module.
Même notre petit pays s’y est mis. Au printemps dernier, deux jeunes architectes brabançons, Xavier Petit et Amaury Tercelin, lançaient en effet Buxi, » une ligne de modules habitables de jardin à l’esthétique résolument contemporaine « . Traduisez : un volume facile à construire, ne nécessitant pas de permis d’urbanisme (en Région wallonne du moins) et ne ressemblant pas à ces ingrates cabanes-chalet de montagne qui ornent les jardins de notre royaume. » Nous voulions créer de petites entités (15 m2), confortables toute l’année, argumentent les deux créateurs. Nous avons donc imaginé une ossature en bois, qui peut s’adapter aux besoins, et prévu des options telles que la toilette sèche ou le poêle à bois à » Une idée pour s’offrir une résidence de vacances à un prix raisonnableà Mais pas seulement. » Avec la crise, des clients nous ont soufflé d’autres utilisations, ajoute le duo. Des candidats-bâtisseurs peuvent par exemple installer ce module sur leur terrain, pour y vivre le temps de leur chantier de construction ; puis recycler la cabane en abri de jardin ou en annexe à la maison. «
Des ovnis à intégrer
Version internationale, ces modules habitables rivalisent de créativité. Ainsi, l’architecte allemand Werner Aisslinger a imaginé un Loftcube, en bois et métal, avec tous les équipements intégrésà Il peut s’amarrer au toit d’un immeuble, être transporté en hélicoptère, démonté et placé en containers et est écologique et recyclable. Cinq de ces modules ont déjà été vendus l’an dernier en Allemagne. Parmi les premiers nomades privilégiés qui expérimentent ce loft : un homme d’affaires qui passe sa vie à voyager et a eu envie d’un petit pied-à-terre à Londres, sa ville, dans un endroit exclusif, le toit d’un bâtiment de huit étages ; ou encore une fan américaine de surf qui a planté sa hutte du XXIe siècle dans les dunes face à l’océanà Dans quelques années, plusieurs hôtels en Europe devraient également se doter de tels modules qu’il sera alors possible de louer. Tout aussi design, la Microcompacthome (m-ch) du bureau londonien Horden Cherry Lee Architects. La brochure de présentation justifie le projet : » Notre vie entière est accaparée par la combinaison d’exercices sportifs, via le jogging, la gym, les autres sports ; et d’apports intellectuels grâce à la télévision, au Web et aux voyages. Nous pouvons aujourd’hui être en contact avec le monde tout en vivant dans un espace minuscule. » La m-ch permet dès lors d’accueillir, durant de courtes durées, avec tout le confort nécessaire, des personnes seules. Celles-ci pouvant par exemple posséder ou partager plusieurs modules à travers le monde, dans des villes, à la montagne, en forêtà
Dans un style moins minimaliste, mais jouant sur la connotation champêtre de la cabane, Ecop Habitat, un bureau d’étude basé en Bretagne, creuse également son sillon avec son Mini-Loft 36 entièrement autonome en énergie et destiné à » effleurer la surface du monde » quel que soit le climat.
Dans le même esprit, on peut encore citer la société italienne Hangar Design, qui a conçu un module préfabriqué en usine, Joshua Tree. Ou encore, plus explicitement nomade, la caravane Mehrzeller qui affiche un look organique très avant-gardiste. Chaque modèle est d’ailleurs différent car généré par les données entrées par le client dans un ordinateur.
Containers à tout faire
A la recherche d’économies, d’autres bureaux d’études planchent eux, non pas sur des volumes excentriques et personnalisés, mais sur un habitat plus rationnel et rapidement adaptable aux besoins temporaires de l’occupant, fabriqué le plus souvent à l’aide de containers. C’est le cas de Maison container. Cette société française propose des habitations bâties à l’aide de ces modules à marchandises, mais avec un confort équivalent à celui d’une maison traditionnelle. De l’autre côté de la Manche, Urban Space Management a également développé un concept sur cette base : la Container City. Une cité pour artistes a ainsi vu le jour à Cove Park, sur la côte ouest écossaise. Et, à Londres, un quartier » container » de plusieurs dizaines d’appartements est aménagé dans des modules empilés sur un quai du secteur maritime industriel de Docklands.
On retrouve ici, à l’échelle de l’habitat, les réflexions menées déjà dans les années 1960 sur la ville du futur et la société de masse par le mouvement japonais des Métabolistes notamment. Ceux-ci prônaient le développement d’immeubles évolutifs, composés d’une structure fixe avec toutes les servitudes (eau, électricité, communication) sur laquelle viendrait se pluger et se dépluger des capsules provisoires d’habitat, sorte de containers adaptés aux besoins humains. L’application la plus connue de ce concept fut la tour-capsule Nakagin, au Japon, conçue par le célèbre architecte nippon Kisho Kurokawa. Preuve s’il en est que, même si la réflexion sur l’habitat minimum et nomade fait aujourd’hui le buzz, elle est loin d’être neuveà Dans les années 1920 déjà, en France, le constructeur automobile Gabriel Voisin éditait une publicité proposant des hangars transportables et gonflables imaginés notamment pour les colonies.
Voyager dans la tête
Quoi qu’il en soit, les exemples d’habitat pour globe-trotteurs ne manquent pas aujourd’hui et les candidats au voyage non plus. Le monde polycentrique des années 2020-2050, prédit par Jacques Attali n’est peut être pas loinà Pour lui, une nouvelle catégorie d’individus devrait émerger, les hypernomades, qui dirigeront l’hyperempire. Dans leur sillage, des exécutants – cadres, ingénieurs et chercheurs – formeront la classe des nomades virtuels. Sédentaires dans les faits, ils travailleront en réseau pour des entreprises non localisées. Le reste de l’humanité, qu’il appelle infranomades, subsistera dans la misèreà En d’autres termes, le fait de changer de lieu régulièrement pourrait devenir, en Occident, un privilège – au même titre que la possession de terres ou d’une grande demeure solide l’était autrefois. Le reste de la société se contentant de migrer dans sa tête, au gré des images de papier glacé offertes par quelques créateurs aux idées larges. Car aujourd’hui il s’agit bien de cela : l’habitat nomade est d’abord là pour alimenter un imaginaire à l’affût d’évasion et de voyages utopiques.
Carnet d’adresses en page 41.
Fanny Bouvry
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