De l’émancipation des femmes en pantalon au rêve hippy. Retour sur un héritage qui inspire plus que jamais nos vestiaires.

C’est une onde de choc et de liberté qui n’en finit pas de nourrir le présent.  » Lorsque s’ouvrent les années 1960, écrit l’historien de la mode Bruno du Roselle, rien ne laisse présager qu’elles seront une période de bouleversement total, comme l’histoire du costume n’en a probablement jamais connu.  » Entraînant ce printemps dans son sillage une myriade de robes à fleurs et d’imprimés psychédéliques, l’anniversaire des 40 ans de Mai 68 est l’occasion ou jamais de revenir sur cette révolution qui est autant celle de la société que celle du style. De l’explosion du prêt-à-porter au vêtement manifeste, décryptage en cinq points de l’esprit libertaire qui continue d’inspirer les collections.

Le vêtement manifeste

Dans la décennie du tout-politique, le vêtement a valeur de slogan. Les féministes brûlent leurs soutiens-gorge, les homosexuels font leur coming out dans les rues de San Francisco en marcel, les étudiants gauchistes arborent des vestes Mao et des casquettes d’ouvrier en signe de solidarité avec le prolétariat. Les jeans se griffonnent de sigles anarchistes et on détourne les vêtements militaires à la ville dans un esprit pacifiste. Un esprit que l’on retrouve en version féminisée cette saison, des parkas en coton aux robes à imprimés camouflage d’Isabel Marant, en passant par les treillis en soie de chez Sportmax. Icône des seventies, le keffieh des combattants palestiniens fait aussi son come-back, mais brodé de fils de Lurex (Liwan).

Dans la joaillerie aussi, on affirme haut et fort les acquis de Mai 68. Pomellato crée en exclusivité pour Colette, la plus hype des boutiques parisiennes, des pendentifs gravés d’un  » J’aime la liberté « . Dinh Van, lui, dont la campagne publicitaire met en scène une manifestante, au poing levé, devant la place Vendôme – revisite son modèle  » pavé  » en argent, à porter autour du cou ou en bague.

Le rêve cosmique hippy

La génération pacifiste du Flower Power se veut en harmonie avec la nature et le monde, à l’image de la marguerite, une fleur simple et sauvage qui devient son emblème. Et se retrouve peinte sur les visages et les Combi Volkswagen qui partent chercher une nouvelle spiritualité à Goa en Inde, dans des vapeurs d’opium et de cannabis. Cette ouverture sur le monde se traduit par une garde-robe puisée dans tous les folklores, bientôt reprise par Missoni ou Kenzo et ses métissages d’imprimés fleuris. Ou encore Laura Ashley, dont les robes fleuries cristallisent la nostalgie de cette décennie qui va inventer le rétro. Quarante ans plus tard, les fleurs envahissent les collections, en version Liberty (Roberto Cavalli) ou patchwork (D & G), les papillons se posent dans les cheveux (Sonia Rykiel) et semblent battre des ailes dans des effets de cape. On repart aussi sur des routes imaginaires qui nous mènent de l’Inde (Hermès) au Mexique (Kenzo), en passant par le Marrakech de Talitha Getty. Le rêve d’une nature enchantée où cohabiterait la diversité des cultures est tout aussi d’actualité.

Une mode jeune et accessible

 » A l’époque, je travaillais comme rédactrice de mode junior à Elle. En janvier 1968, toutes les femmes du magazine étaient en jupe stricte et, en juin, elles portaient jeans et baskets, comme les étudiants « , se souvient, amusée, Agnès b. La rue dicte sa loi et ses modes. Les jeunes ont pris le pouvoir et veulent changer le  » vieux monde « . Le vieux monde ? C’est la haute couture, qui vit une crise sans précédent. En 1968, Balenciaga ferme sa maison, Coco Chanel décède trois ans plus tard. L’heure du prêt-à-porter a sonné. C’est l’époque des premiers stylistes qui offrent à la rue les couleurs de la création. Daniel Hechter, Jean Bousquet (Cacharel), Emmanuelle Khanh, Gaby Aghion (Chloé)… Tous incarnent la rupture avec l’establishment de la haute couture, de Christiane Bailly, qui défile dans des restaurants, aux pulls aux coutures à l’envers de Sonia Rykiel.

Le corps libéré

Le vêtement devient le porte-parole des envies de liberté qui coïncident avec l’arrivée de la pilule (1967) et la féminisation de l’emploi.  » Le prêt-à-porter a considérablement aidé la femme à s’exprimer. Grâce aux robes amples et aux pantalons, on pouvait bouger, danser. On découvrait le plaisir pour soi « , souligne Nelly Rodi, présidente du bureau de style du même nom. Il y a eu d’abord l’onde de choc de la minijupe, inventée en 1965 par l’Anglaise Mary Quant, des collants Dim, lancés en 1968, qui allaient permettre aux femmes de se lover dans les gros poufs Sacco. Et puis, bien sûr, le pantalon, qui va, en cachant les jambes, libérer l’esprit. A cette époque où l’amour libre est un acte militant, le corps triomphant joue à cache-cache avec le vêtement. Yves Saint Laurent découvre les seins à travers une blouse en mousseline. Et c’est cet érotisme tout en transparence, très David Hamilton, qui resurgit quarante ans plus tard sur les petites robes blanches incrustées de crochet de Stella McCartney ou les longues djellabas de Haider Ackermann.

La confusion des genres

 » Est-ce une fille ou un garçon ? / Un garçon aux cheveux longs ? / Ou une fille en pantalon ? » chantait Stone en 1966. L’unisexe reflète une époque égalitaire qui remet en question la vieille définition du masculin et du féminin et prône un nouvel érotisme fondé sur l’ambiguïté. Apôtre de ce style baptisé  » Il « , Yves Saint Laurent offre au pantalon ses lettres de noblesse. Suivront le smoking et la saharienne.  » Quand je travaillais chez Renoma, vers 1963, les lycéennes de Janson-de-Sailly (le plus grand établissement scolaire de Paris) voulaient des pantalons avec braguette comme ceux des garçons, alors que les modèles femme de l’époque se fermaientpudiquement sur le côté « , raconte le couturier Jean Bouquin. Il faut dire que le physique des filles a bien changé et tient désormais plus du tanagra façon Birkin que de la mandoline. Idem pour les garçons filiformes, comme Mick Jagger et David Bowie, à qui Jacques Esterel propose, dans les années 1970, une collection complète de robes. Le style androgyne est né. Le tee-shirt et, surtout, le jean s’imposent comme les emblèmes de la génération 68. Avec un succès qui ne s’est jamais démenti.

Charlotte Brunel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content