La toque multi-étoilée multiplie les succès. Sa cuisine de la Méditerranée s’est hissée au sommet de la haute gastronomie tandis que son univers culinaire – restauration, hôtellerie, formation, édition… – n’a cessé de s’élargir. Mais l’un des grands plaisirs d’Alain Ducasse est de toujours dénicher de nouveaux talents aux quatre coins de la planète.

 » La cuisine méditerranéenne est une cuisine de la vérité, de la diversité et du partage. De la vérité car elle valorise les produits dans toute la force de leur authenticité. De la diversité car elle n’impose aucun modèle mais, au contraire, incite chacun à exprimer la particularité de sa culture culinaire. Du partage, enfin, car elle favorise la transmission des savoirs.  » Telle était la déclaration d’amour d’Alain Ducasse – debout, revêtu de sa veste et de son grand tablier blanc, à peine sortis du pressing et immaculés, comme d’habitude, sa manière à lui d’être tiré à quatre épingles – lors du dîner de gala organisé, le 17 novembre dernier, pour fêter les 25 ans du restaurant monégasque Le Louis XV, qui offrit à ce surdoué sa première consécration triplement étoilée avant Paris et Londres.

Assis à la table d’honneur, le prince Albert de Monaco accompagné de son épouse Charlène, la princesse Caroline et des sommités de la gastronomie mondiale comme Tetsuya Wakuda de Sydney, Alex Atala de São Paulo ou Luke Dale-Roberts de Cape Town. Dans la salle, parmi les invités, on recensait 240 chefs venus de France et des cinq continents, totalisant 300 étoiles Michelin. Plusieurs et non des moindres, comme le très exubérant Ecossais Tom Kitchin, du restaurant The Kitchin à Edimbourg, appartiennent à la  » Génération Ducasse  » : ils se sont formés dans un des établissements de la première toque à avoir glané les désirables trois macarons dans un restaurant d’hôtel. C’était en 1990. Ducasse avait 33 ans et il cornaquait les cuisines du Louis XV depuis 33 mois seulement.

UN VÉRITABLE EMPIRE

Avant d’avoir été recruté par la Société des Bains de Mer, propriétaire de fleurons de l’industrie hôtelière monégasque, Ducasse, né le 13 septembre 1956, s’était initié auprès de trois grands maîtres : Michel Guérard, Roger Vergé et Alain Chapel. En arrivant à Monaco, il fait de la Méditerranée son terroir, explorant avec une passion inextinguible les moindres recoins de la Provence, de la Ligurie voisine, poursuivant ses explorations jusqu’en Toscane. Son style, il en apporte une première synthèse en 1992, en publiant La Riviera d’Alain Ducasse, inaugurant ainsi une longue série de livres qui l’amèneront à devenir un auteur prolixe, couronné en 2005 du Gourmand Award du Meilleur éditeur de livres de cuisine du monde.

Selon le magazine américain Forbes, les Editions Alain Ducasse représentent aujourd’hui 30 % de ses revenus, la même source le classant sixième fortune des chefs cuisiniers du monde. On ne construit pas un tel empire, basé essentiellement sur des affaires florissantes, sans vision, sans conviction profonde. Ducasse, qui n’est pas un homme de médias, croit à la formation. En 2009, il fonde Alain Ducasse Formation et Conseil. Aujourd’hui, ses écoles – une pour professionnels, une pour amateurs et l’Ecole Nationale Supérieure de Pâtisserie, qu’il a reprise avec Yves Thuriès – sont appréciées par la profession pour la qualité et la précision des cours qui y sont donnés.

L’hôtellerie aussi éveille l’intérêt de Ducasse. En 1999, il prend la présidence de la chaîne des Châteaux et Hôtels de France, qui deviendra Châteaux et Hôtels Collection avant de fusionner, en 2011, avec Exclusive Hôtels. Mais l’homme est avant tout un restaurateur, aujourd’hui à la tête de quelque 25 restaurants, dont trois 3-étoiles : Le Louis XV, à Monte-Carlo, Le Plaza Athénée, à Paris, et Alain Ducasse at The Dorchester, à Londres. Il est présent, entre autres, à Las Vegas, Tokyo, Doha (au sein du Musée des Arts Islamiques), Osaka, Saint-Pétersbourg… A Paris, il reprend l’enseigne Benoît, la modernise et l’internationalise. Il s’offre les restaurants de la Tour Eiffel, dont le très emblématique Jules Verne. Il s’est au passage intéressé à la boulangerie avec son établissement be boulangépicier et s’apprête à ouvrir une chocolaterie, dirigée par un ancien chef pâtissier du Louis XV.  » Il a toujours de nouveaux projets sur le feu, souligne Thierry Le Saux, un de ses principaux associés de longue date. Il nous surprend à chaque fois. La célébration du 25e anniversaire du Louis XV a été décidée à peine quelques mois avant la date de l’événement.  »

UN PALAIS RÉPUTÉ INFAILLIBLE

Sa force de caractère, Ducasse la tire sans doute d’un accident grave dont il échappe par miracle. Le 12 août 1984, le Piper dans lequel il a pris place s’écrase non loin de Chambéry. Seul survivant des cinq passagers, il lui faudra une année pour recouvrer une vue normale et réapprendre à se tenir sur les jambes. Il a alors 27 ans. Trois ans de plus seront nécessaires pour marcher sans soutien.

Fureter, dénicher, goûter, jauger de son palais réputé infaillible… Ducasse est toujours en éveil. Le Lillois Alex Croquet, que le chef multi-étoilé, le premier, a consacré meilleur boulanger du monde, se souvient de ses visites dans son atelier de Wattignies :  » Il décrypte tout, du feuilletage au baba au rhum. Il analyse chaque levain. Il vient aussi avec des projets. Il m’a ainsi envoyé une stagiaire dans l’idée de créer une nouvelle collection d’ouvrages ayant pour thème la transmission d’informations à un élève. Estelle, la stagiaire, est aujourd’hui devenue mon bras droit.  »

Ducasse entend parler d’un cuisinier ? Il prend aussitôt l’avion pour aller le rencontrer, où qu’il soit, afin d’ausculter sur place ses saveurs et talents. Nombre de virtuoses repérés de la sorte, comme l’Italien Gennaro Esposito, le Brésilien Alex Atala ou l’Américain Dan Barber à New York, ont ensuite été invités à oeuvrer au Plaza à Paris, toujours accueillis de manière impériale.

Ducasse, lui, ne cuisine plus. Il confie ces tâches à son armée de fidèles seconds, tel Franck Cerutti qui a rejoint Le Louis XV voici vingt ans déjà. Le chef qui incarne et défend le plus le savoir Made in France a renoncé à la nationalité française, pour devenir Monégasque et se rapprocher plus encore de la Méditerranée qui lui a tant donné.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

 » La cuisine méditerranéenne est une cuisine de la vérité, de la diversité et du partage. »

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