Le gotha mondial s’y retrouve pour passer des vacances  » en toute simplicité « . Niché entre la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique, ce caillou français se révèle un lieu étonnant à plus d’un égard.

« Nous, notre grand délice, c’est de regarder la météo française.  » Depuis qu’elle a pris sa retraite, Caroline, la soixantaine coquette, vit la moitié de l’année à Saint-Barth avec son mari. Ils en avaient les moyens : leur appartement parisien, c’est Xavier de Rosnay, du groupe électro Justice, qui l’occupe désormais.  » Il y a une vraie qualité de vie ici. Et une vraie qualité de gens.  » Traduction : des gens riches, mais pas seulement.  » Des gens distingués « , entend-on. Les hôteliers parlent de  » jolie clientèle « . Comprenez que les Russes bling-bling et les Anglais vulgos (sic) n’ont pas encore fait de ce territoire français d’outre-mer leur point de chute dans les Caraïbes.  » Ici, il n’y a pas de nightlife délirante, pas de putes de luxe ni de baignoires de champagne « , murmure le serveur d’un bar lounge, les pieds dans le sable. Ici, il y a le ciel, le soleil et la mer. Ici, les stars et les milliardaires se baladent en short et tongs au milieu des touristes et des locaux. Loin des paparazzis, des curieux et des fans. Les hôteliers ne les reconnaissent d’ailleurs pas toujours, tout le monde est logé à la même enseigne, c’est-à-dire avec énormément d’égards.

Anecdote révélatrice : un soir, au restaurant du Taïwana, l’une des meilleures tables de l’île, une tente est plantée dans le sable, un peu à l’écart. On y aperçoit un couple nimbé d’une lumière pourpre. Le manager explique :  » C’est un chanteur américain qui demande sa copine en mariage. Je ne sais pas qui c’est. On me dit qu’il s’appelle Jack White. Ça ne me dit rien.  » Johnny Hallyday, Yannick Noah, Roman Abramovitch… La jet-set internationale (60 % d’Américains dont une majorité de New-Yorkais) a pignon sur mer à Saint-Barth. Mais qu’est-ce que ce caillou antillais de 25 km2 (9 000 habitants), plutôt très à droite, sans misère ni criminalité, possède de si attirant ?

L’ARRIVÉE

Saint-Barth se mérite. On n’y entre pas facilement. Quand on vient d’Europe par avion, on transite par le côté néerlandais de Saint-Martin et son aéroport aux infrastructures spartiates. On attend son tour, comme à la boucherie, pour obtenir le précieux sésame qui permet d’entrer dans un minuscule coucou (20 places maximum) qui relie les deux îles. On s’y installe entre une mémère à caniche et un mannequin brésilien, on attache sa ceinture si on veut, le pilote et son bras droit sont installés dans un cockpit vintage (pour ne pas dire décati). Il fait chaud, raison pour laquelle on a droit à des raquettes en carton en guise d’éventails. Après un quart d’heure de frissons (c’est que ça ballote au moindre coup de vent, ces machins-là), l’appareil se pose sur l’une des pistes les plus courtes du monde. Au bout de ce mini-enfer, le contraste est stupéfiant : la plage de Saint-Jean, son eau bleu layette et son sable sucre glace…

Autre choc visuel : ici, toute la population est blanche, ou presque. Saint-Barthélémy, de son nom complet que personne n’utilise, est un confetti de territoire français posé sous les tropiques. Si on y aperçoit encore les restes d’un passé suédois (qui en a fait un port franc), c’est surtout la Bretagne, la Vendée et la Normandie que l’on hume ici, leurs patronymes, leur culture, leur gastronomie, et sur certaines portions de côte, leurs paysages. Ici, point de palmiers à profusion mais des frangipaniers, des pommiers rouges et des poiriers. A l’anse de Toiny, la plage abrite des coraux et des galets noirs, l’eau grise devient jaune en fonction de la lumière, l’air est puissamment salé et l’horizon mélancolique. On est loin du cliché turquoise de la carte postale exotique. Même la plage à l’eau la plus cristalline n’a pas les couleurs caraïbes que l’on imagine souvent.

L’anse de Grande-Saline se mérite elle aussi, au terme d’une petite balade sur un étroit chemin caillouteux où de gros lézards hébétés par la chaleur ont élu domicile. Il débouche sur un arc sauvage de sable grège pratiquement désert, bordé de flots laiteux à l’écume immaculée, à la monotonie contrariée par un petit îlot rocailleux planté à quelques dizaines de mètres de la rive. De haut, on aperçoit des marais salants (d’où le nom) inexploités depuis les années 70. Même son sel, Saint-Barth doit l’importer. Comme à peu près tout le reste. Ici, rien ne pousse, et l’eau que l’on boit est celle de la mer, dé-salée. Bienvenue dans l’une des plus étonnantes autarcies de la planète, où les yachts rutilants fendent les flots aux côtés des tortues qui barbotent la tête en périscope, tandis que les pélicans piquent du nez à ras la coque. Où les femmes enceintes doivent évacuer à 8 mois de grossesse pour aller accoucher ailleurs : il n’y a pas d’hôpital, juste un dispensaire. Où les enfants quittent leurs parents dès 15 ans : l’école ne monte pas plus haut que la troisième secondaire. C’est ainsi, on s’y fait.

AMERTUME

Miguel, 27 ans, skipper sur le port de Gustavia (oreilles percées, balayage lumière naturel dans les cheveux et teint de brugnon, le parfait look marin), est né ici et est parti étudier ailleurs avant de rentrer au bercail.  » Les jeunes choisissent généralement entre Saint-Martin, la Guadeloupe et la métropole. Moi j’ai choisi la France, Antibes notamment, où j’ai passé mon diplôme de voile. Mais je savais que j’allais revenir ici, je voulais absolument faire découvrir ma passion de la mer et de Saint-Barth aux extérieurs et aux enfants de l’île.  » Issu d’un milieu modeste, fils d’une institutrice et d’un conducteur de bus scolaire, Miguel côtoie de richissimes étrangers toute l’année.  » Ce n’est pas générateur de frustrations. Mais c’est clair que la vie est chère, ici « , dit-il en sirotant un jus de pamplemousse à 10 euros sur une terrasse de Gustavia, la capitale.  » L’île vit à 100 % du tourisme, mais les salaires ne sont pas forcément en fonction. Pas mal de gens cumulent plusieurs boulots. Un appartement ordinaire avec une chambre se loue entre 1 200 et 1 500 euros par mois, par exemple. Cela pousse certains, surtout des extérieurs, à partir après un an ou deux, parce qu’ils ne peuvent plus tenir.  » Jackson Questel, gérant de L’entre-deux, l’un des rares restaurants abordables, confirme :  » Les saisonniers doivent cohabiter à trois ou quatre pour s’en sortir.  » S’il apprécie particulièrement  » la beauté, la nonchalance et la sécurité  » que l’on retrouve sur son île natale, Jackson pose aussi sur elle un regard teinté d’amertume.  » De temps en temps, je me dis que je vis dans une prison dorée, qui a évolué trop rapidement pour s’adapter au tourisme, qui perd sa culture propre et importe beaucoup de superficialité.  » Une grande partie des quelque 600 chambres d’hôtel de l’île sont en effet d’un luxe tout bonnement ahurissant : certaines disposent d’une piscine privée, et d’autres, comme à l’Eden-Rock, d’un studio d’enregistrement. Un train de vie initié par le milliardaire américain David Rockefeller qui y a acheté une propriété en 1957, amorçant la pompe à billets actionnée depuis par le gotha mondial.

PAR MYRIAM LEROY

 » LA BEAUTÉ, LA NONCHALANCE ET LA SÉCURITÉ.  »

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