Les Pays-Bas sont aujourd’hui au top du design. Comment résister aux opus iconoclastes – mais ô combien ludiques – des créateurs néerlandais ? Valeur montante : Marcel Wanders. Au dernier Salon international du meuble de Milan, ce jeune quadra a séduit avec  » Moooi Boutique « , sa collection de sofas customisables. Rencontre avec un talent protéiforme… et survitaminé.

WYSIWYG : The Wanders Code.  » What you see is what you get…  » Avec sa collection  » Moooi Boutique « , présentée en avant-première au Salon international du meuble de Milan 2006, Marcel Wanders a résolu une sacrée énigme. Le créateur néerlandais y dévoilait, en effet,  » sa  » solution pour nous rendre l’acquisition d’un canapé de qualité facile, rapide et – aussi – amusante.

Pourquoi donc est-ce si ardu d’acheter un beau canapé ? Pourquoi devons-nous décider de ses dimensions et de son revêtement sans pouvoir visualiser le résultat final ? Pourquoi devons-nous supporter de longs délais de livraison ? Pourquoi, une fois à la maison, le modèle pointé se révèle-t-il finalement un stéréotype ? Toutes ces questions taraudaient Marcel Wanders… et ont boosté sa créativité. Résultat ? Une gamme sophistiquée, joliment dessinée et affichant un sens aigu du détail inspiré.

D’une conception high-tech, le canapé  » nu  » (1, 2, 3 places – en vente dès janvier 2007), est  » prêt-à-emporter « . Pour l’habiller : une  » garde-robe  » de housses – il en existe déjà 14 et la collection ira en s’élargissant – taillées dans de superbes matières aux motifs exclusifs. La gestion du stock, elle, a été étudiée pour que le choix du client soit immédiatement exaucé. Et il suffit ensuite de changer de housse pour modifier – illico, et pourquoi pas radicalement ? – le look du canapé.

Né à Boxtel aux Pays-Bas en 1963, Marcel Wanders sort diplômé en 1988 de la Hogeschool voor de Kunsten d’Arnhem après un passage à la Hogeschool voor Productontwikke-ling à Genk, dans le Limbourg belge, et à la Eindhoven Design Academy. Dans les années 1990, il £uvre pour le collectif Droog Design, dont l’idée est que l’objet industriel peut aussi côtoyer le rêve et l’insolite. En 1995, il fonde le studio Wanders Wonders créant principalement des pièces uniques ou des séries limitées d’objets et de sculptures.

Réalisée en filets de pêche noués et renforcés par de la résine, la  » Knotted Chair « , en 1996, fut sa première pièce de mobilier. Coup d’essai, coup de maître ! Exposé par Droog Design, ce siège singulier qui rendit célèbre Marcel Wanders est aujourd’hui édité par la marque de design italienne Cappellini. Le Néerlandais conçut par la suite, entre autres, en 2000, le lounge VIP pour le Pavillon des Pays-Bas à l’Exposition universelle d’Hanovre ainsi que la  » Can of Gold « , un projet en faveur des sans-abri à Hambourg. En 2001, il rebaptisa son bureau Marcel Wanders Studio pour ensuite lancer, en 2002, avec Caspar Vissers, la marque Moooi, dont il est le directeur artistique. Ses récents opus lui ont ouvert de nouveaux horizons, tant en design qu’en architecture. Entre autres : l’aménagement des  » Lute Suites  » (des suites de luxe), à Amsterdam, la collection  » New Antiques  » pour Cappellini (du mobilier hype affichant un look rétro) et le mariage de Moooi avec B&B Italia, cette grande maison italienne renommée pour son classicisme intemporel dans le domaine du meuble contemporain.

Décidément infatigable, Marcel Wanders planche aujourd’hui sur de nombreux projets en architecture d’intérieur à travers le monde. Et tandis que le magazine  » Elle Décoration  » le consacre  » International Designer of the Year « , il signe la direction artistique de l’  » International Design Yearbook « , aux éditions Laurence King (lire encadré en page 14). Interview d’un designer en top forme, et dont la créativité participe à faire des Pays-Bas la nouvelle école du design.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment naissent vos créations ?

Marcel Wanders : Le processus de création en design est pour moi comme une table jonchée de petites balles, chacune d’entre elles représentant une idée, ouverte ou fermée, blanche ou noire, colorée… Pour concevoir un produit, je me trouve face à toutes ces balles avec lesquelles je dois jongler, un peu comme au cirque. Au fil du jeu, les idées sont sélectionnées… Je tente de capturer les bonnes idées qui correspondent le mieux à mes clients afin de créer une véritable valeur ajoutée.

Cette dimension humaniste, omniprésente dans votre production, d’où provient-elle ?

J’ai tout d’abord horreur de tomber dans le cliché banal. Et puis j’aime lier le passé et le présent. Humaniser les produits devient un but en soi, en se détachant de la machine pour accéder à une dimension artisanale et à des savoir-faire que l’on a tendance à perdre de vue. J’ai cette intime conviction que nous avons besoin de recréer l’humanité plutôt que la technologie. Celle-ci devrait donc suivre l’humanité et non l’inverse. Dépassons aussi la théorie remontant au xixe siècle où la forme devait suivre la fonction. Aujourd’hui, l’émotion est au premier plan. Dans l’esprit des Arts & Crafts britannique, où la fonction doit avant tout être le résultat d’un réel savoir-faire, j’ai initié la collection  » New Antiques  » avec la marque italienne Cappellini. Ce mobilier raffiné combine le tournage traditionnel du bois à une structure en bois laqué et une assise en mousse de polyuréthanne recouverte de cuir. Le passé devient ainsi source d’inspiration. Il nourrit la création contemporaine tout en portant une attention nouvelle sur l’authenticité.

Moooi a pour credo la beauté. Comment cela se concrétise-t-il ?

Je pense à chaque instant à la beauté. Elle m’indique les règles à suivre. La beauté mène en tous cas au-delà du goût et du style. Elle est au c£ur du monde et il est difficile de la traduire en paroles. Elle nous oblige à prendre des décisions et des partis pris qu’ils soient perçus comme de bon ou de mauvais goût. Je crois en la beauté de l’esprit et des sentiments. Je ne pense pas que la beauté naisse dans tout ce que l’on crée, mais plutôt dans l’émotion qu’elle procure au contact d’une personne qui y est sensible et se laisse séduire, envoûter, captiver. La beauté, selon moi, peut aussi tenir à une imperfection dans le processus de création. Elle est source d’imprévus et est synonyme de vie et de créativité.

Depuis quelques mois, Moooi fait partie du groupe B&B Italia. Cette fusion va-t-elle changer l’optique de la marque ?

Moooi cherche à apporter  » l’extra  » beauté à des produits déjà existants, rendus contemporains par l’utilisation de matériaux et de techniques actuels. Avec la complicité de Casper Vissers, j’ai développé Moooi de manière très personnelle. J’ai eu la chance de pouvoir faire appel à mon potentiel mais aussi au talent de designers de renom tels que Jasper Morrison, Ross Lovegrove, Joep Van Lieshout, Jurgen Bey, Bertjan Pot, Chris Kabel, Studio Job et Front ( NDLR : un collectif de jeunes créatrices suédoises très en vogue à l’heure actuelle, dans l’esprit de Droog Design). Le mariage avec B&B Italia, dirigé par Giorgio Busnelli, ne modifiera en rien notre approche innovante du produit. Il lui donnera, au contraire, des ailes et permettra d’élargir les marchés et d’étendre des possibilités de collaborations à l’international.

Vous avez aussi tout récemment signé l’aménagement des  » Lute Suites  » à Amsterdam. En quoi ce projet vous a-t-il enthousiasmé ?

Les  » Lute Suites  » ouvrent sur le passé. Sept petites maisons, construites vers 1740 en bordure de l’Amstel, ont été transformées en suites de luxe. A proximité se trouvent le restaurant du grand chef Peter Lute ainsi que les bureaux de la marque Vitra/Visplay. J’y ai mis en £uvre l’ensemble de mon répertoire créatif, en créant, par exemple, des murs et des objets-sculptures en mosaïques avec la marque italienne Bisazza. J’ai également profité du lieu pour placer des pièces de Cappellini, de Wanders Wonders et de Boffi, en particulier dans les salles de bains, où j’ai pu installer ma nouvelle baignoire  » Soap Stars « . J’ai l’impression, en tous les cas, qu’en introduisant des éléments baroques dans les intérieurs, j’arrive à accéder à une clientèle qui préfère la chaleur des matériaux comme le textile, la mosaïque ou le bois au minimalisme souvent très hermétique des années 1990.

Avec le recul, comment percevez-vous votre apport à Droog Design et au design au niveau international ?

L’énergie des premières expositions de Droog Design résidait surtout dans l’expérimental, dans l’opportunité de réaliser des projets fous comme celui de la  » Knotted Chair « . Avec le lancement de la marque Moooi, je me suis reconnecté avec la réalité : un design traduit en produits qui se vendent bien grâce à des personnes qui savent promouvoir la marque. La prochaine étape sera de me laisser inspirer par le monde entier et non seulement par mon propre passé européen, mais aussi par le Proche-Orient, le continent américain… Je développe actuellement un projet qui allie les valeurs et perceptions de l’Orient et de l’Occident. Avec l’Orient, l’on plonge dans l’univers du souk, avec ses alcôves, ses épices et pigments naturels, ses odeurs et ses échoppes, ses tapis et textiles colorés, ses pipes à eau et ses thés délicatement aromatisés. Le design s’intégrerait ainsi à une démarche du shopping  » à l’orientale  » qui se démarquerait de la vogue des concept-stores.

Carnet d’adresses en page 72.

 » Passe le message à ton voisin « 

Les mordus de design attendent chaque année sa sortie avec impatience. D’abord parce que le  » Yearbook  » – comme on l’appelle dans le milieu – reprend toutes les nouveautés, les courants et les créateurs qui ont  » fait  » le design cette année-là. Mais, aussi, parce qu’en choisissant, pour chaque nouvelle édition, un invité, c’est sa vision du secteur que l’on peut découvrir en filigrane. Après Andrée Putman, Philippe Starck, Tom Dixon et Karim Rashid, c’est au tour de Marcel Wanders de tenter l’exercice.  » Je crois que le design est l’une des plus belles choses qu’un homme puisse offrir à la communauté dans laquelle il vit, déclare-t-il dans la préface de l’édition 2005. J’espère que ce livre sera un ambassadeur qui nous inspirera tous. Pour cela, je vous demande de m’aider. Lorsque vous l’aurez lu, ne le laissez pas dans votre bibliothèque. Donnez-le à quelqu’un qui sera inspiré par ces petites photos, ces petits bouts de textes, tous ces petits signes de la passion que nous avons à créer un monde nouveau.  »

 » The International Design Yearbook 2005 « , édité par Marcel Wanders, 240 pages, Laurence King Publishing.

Propos recueillis par Lise Coirier

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