Karim Rashid, le designer canadien né au Caire, dont les plus grands éditeurs de mobilier contemporain se disputent le talent, s’est offert un superbe loft à New York. La déco y est aussi funky que le style du créateur.

Karim Rashid est un créateur qui a le vent en poupe sur la scène internationale du design. Les meubles et les objets qu’il dessine sont édités par les marques les plus trendy du moment telles que Cappellini, Zanotta, Guzzini, Estée Lauder, Giorgio Armani, Issey Miyake ou encore Prada. Depuis l’inauguration de sa propre agence en 1993, il en a conçus plus de 800 : chaises, canapés, flacons de parfum, packagings de produits de beauté, cartes bancaires et même des plaques d’égout pour la ville de New York. Il n’a pas hésité non plus à inventer un concept très original baptisé  » plus par moins « . Le principe ? Lorsque le créateur acquiert un nouvel objet, il se défait systématiquement d’un autre… Même s’il s’agit d’une simple paire de chaussettes. Pour Karim Rashid, il s’agit d’une critique de la société de consommation. Ou plutôt d’un manifeste dans lequel il affirme que  » les objets peuvent être des obstacles perpétuels dans notre vie, des sources de complications et de stress « . Il dresse également une liste de 30 astuces pour  » vivre plus avec moins « .  » Tout objet usuel ou décoratif doit avoir un sens dans votre vie, constituer un souvenir important, une référence religieuse ou iconoclaste. A défaut, il faut le jeter « , précise le designer. Il préconise aussi de ne garder, au maximum, que deux ou trois couleurs dans sa garde-robe.  » Moi-même, je préfère le blanc, l’argent et le rose « , confie Karim Rashid.

Quasiment tout dans son loft new-yorkais a été dessiné par ses propres soins.  » Je m’entoure de mes propres créations de façon assez égocentrique « , avoue le designer qui utilise la partie avant de l’appartement pour mettre en scène et tester ses nouveaux prototypes. Je les monte une semaine ou deux et puis je les enlève. Le décor est ainsi en évolution permanente.  » Bien sûr, certains meubles et objets ne disparaissent pas. Parmi eux, la table en plastique stratifié que Karim Rashid a dessinée expressément pour l’appartement. Conçue comme un hommage à Archizoom ( NDLR : le groupe de designers italiens des années 1960), elle présente le même dessin en forme de grille voilée que les placards de la cuisine ou le sol de la salle de bains. Puis il y a les objets d’Ettore Sottsass, y compris son fameux vase en forme de pénis ( NDLR : Karim Rashid a étudié avec le grand maître italien il y a une vingtaine d’années).  » Ils ne quitteront jamais l’appartement « , déclare fermement Karim Rashid.

Sur le rebord d’une fenêtre se dresse une sélection de créations de quelques-uns de ses designers préférés : Joe Colombo, Marc Newson, Marcel Wanders, Gaetano Pesce… On y trouve également un vase de la manufacture Rosenthal qui date de 1951. C’est l’objet le plus ancien dans l’appartement. Le second est probablement la stéréo Bang & Olufsen que Karim Rashid s’est offerte à l’adolescence, avec son argent de poche.  » Ma mère pensait que j’avais complètement perdu la tête « , plaisante-t-il. Sinon, quasiment tous les autres objets ont été dessinés pendant les cinq dernières années.  » Je ne souhaite pas vivre dans un environnement régressif, affirme-t-il. Je n’ai aucune envie d’être associé au passé, de quelque manière que ce soit.  »

Pourtant, le propre passé du designer est à la fois pittoresque et très international. Né au Caire, en Egypte, il a été élevé entre la Grande-Bretagne et le Canada.  » Nous avons beaucoup déménagé, raconte-t-il. La vie familiale était assez tumultueuse.  » Adolescent, il s’est retrouvé dans une maison  » très traditionnelle et conventionnelle  » dans la banlieue de Toronto. Son père ( NDLR : décorateur pour des chaînes de télé) ne la supportait pas.  » Il y apportait donc un certain nombre de modifications pour le moins bizarres. Un dimanche matin, il s’est même levé tôt pour percer un trou gigantesque dans un des murs. Il peignait des motifs  » supergraphiques » partout et a même décoré une pièce de photos de fromages énormes. Tous mes amis pensaient qu’il était complètement fou « , se souvient Karim Rashid.

Depuis, le designer a continué à habiter des lieux insolites.  » A Toronto, j’ai vécu dans un loft qui faisait 24 mètres de profondeur pour seulement 4 mètres de largeur « , précise-t-il. De la même façon, son loft new-yorkais est tout en longueur. Il se trouve dans un immeuble de 1898 en face de l’Hôtel Maritime, dans le quartier branché de Chelsea. Karim Rashid l’a déniché il y a six ans, après avoir cherché un endroit extrêmement brut.  » Lorsque je visitais des lofts refaits à neuf, je détestais chaque détail, se rappelle-t-il. Ici, je pouvais tout commencer à zéro . »

L’espace était, en effet, dans un état bien pitoyable. Le rez-de-chaussée û qui abrite aujourd’hui ses bureaux û était autrefois une écurie. Le premier étage, où se situe l’appartement, servait d’entrepôt pour du matériel de plomberie. Les deux niveaux étant restés à l’abandon pendant plus de vingt ans, il y avait d’énormes trous dans le plancher, des rats sortaient de partout et il pendait de vieux crochets pour attacher les chevaux. En outre, il n’y avait ni eau, ni chauffage, ni électricité.  » Je n’avais aucune notion de ce que la rénovation pourrait représenter en termes de boulot, avoue le designer. C’était un vrai défi !  »

La plus grande difficulté : la lumière. Karim Rashid l’a résolue en découpant une grande fenêtre dans un des murs latéraux et en transformant les quatre petites fenêtres de la façade en ouvertures en forme de bandes verticales. Ensuite, il a recouvert le sol d’une résine époxy à base de caoutchouc pour lui donner un peu de moelleux. Enfin, il a caché la machine à laver, le système de chauffage et le dressing dans une  » boîte  » qui longe un côté de l’appartement. Malgré l’acquisition récente d’une maison à la campagne, située à 45 minutes de là, Karim Rashid se plaît dans l’environnement urbain.  » Les vapeurs d’essence et la puanteur de la ville me réussissent plutôt bien « , martèle-t-il. Lorsqu’il est à New York, le designer apprécie tout particulièrement de se prélasser sur son canapé Omnicouch avec son ordinateur, des livres, des journaux et des magazines.  » Quand je me retrouve dans l’appartement, je me transforme en quasi-légume, dit-il. C’est tellement paisible, tranquille et relaxant ici. C’est un peu comme si je retournais dans le ventre de ma mère.  »

Ian Philipps

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