Nadège Vanhee-Cybulski, Alessandro Michele, Julien Dossena… Ces noms ne vous parlent pas encore ? Normal, les nouveaux DA de la mode se la jouent low profile. Décryptage.

Rien de tel pour émoustiller le microcosme de la mode qu’un bon ragot. Ces dernières années, le jeu de chaises musicales auquel se sont adonnés les créateurs dans les maisons a rempli cette fonction à merveille : difficile d’oublier les émois, spéculations et tweets en rafales qui ont précédé l’arrivée de Raf Simons chez Dior ou de Hedi Slimane chez Saint Laurent.

Véritables célébrités du milieu, ces créateurs apportaient dans la corbeille de mariage un peu de leur aura personnelle, un coup de jeune et un nouveau désir de couverture médiatique. Quoi de plus efficace à l’heure de la boulimie des réseaux sociaux ? Mais quand Hermès annonce le départ de Christophe Lemaire (ancien directeur artistique de Lacoste et DJ à ses heures) à la tête du prêt-à-porter féminin, la marque opte pour la stratégie inverse. C’est un nom totalement inconnu qui est avancé : celui de Nadège Vanhee-Cybulski, une styliste aussi professionnelle que discrète. On ne connaît d’elle qu’un passé appliqué chez Céline et The Row. Aucun scandale, pas de soirées enflammées ou de copinage à son actif : en somme, un recrutement fait en studio plutôt que sur Instagram. Voilà peut-être la chose la plus radicale à l’heure du self-branding effréné : un low profile garant d’un sérieux dévoué. On peut également penser à Sébastien Meunier, qui remplace Ann Demeulemeester après l’avoir épaulée ; à Julie de Libran, anciennement chez Louis Vuitton, dirigeant aujourd’hui Sonia Rykiel, ou encore à Alessandro Michele, qui vient de reprendre la place de la starissime Frida Giannini chez Gucci, alors que se murmurait le nom de Riccardo Tisci, voire de Tom Ford. Ces maisons suivent l’impulsion de Phoebe Philo chez Céline. Recrutée par LVMH en 2008 pendant une période de break, la créatrice redéfinit les codes de la success-story. Un focus sur le produit, donc, plutôt que sur son enveloppe symbolique.  » Depuis toujours coexistent deux figures : le couturier restant proche d’une pratique d’atelier et le styliste star, comme Charles Frederick Worth ou Paul Poiret, explique Alice Litscher, professeur de communication à l’Institut français de la mode. Une figure discrète est souvent la promesse d’une image non diluée, une façon de remettre sur le devant de la scène le produit et son client.  » La discrétion, la meilleure façon de faire parler de soi ?

NADÈGE VANHEE-CYBULSKI, UNE SECRÈTE CHEZ HERMÈS

Qui est-ce ? Cette diplômée de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers fait ses armes chez le maroquinier Delvaux, où elle développe une vraie connaissance du travail du cuir. Puis, chez Maison Martin Margiela, maestro de l’anonymat, elle cultive une approche conceptuelle et artisanale. Enfin, elle rejoint Céline, où elle oeuvre, jusqu’en 2011, au côté de la papesse du minimalisme, Phoebe Philo. On découvre finalement la pluralité de son talent chez The Row (photo), à New York, marque montée par les jumelles Olsen, dont elle dirige le studio.

Ses atouts. Agée de 36 ans et absente des réseaux sociaux, on la devine calme et ultrapro (elle fait de la boxe tous les matins). A la tête du prêt-à-porter féminin d’Hermès, elle présentera sa première collection automne-hiver 15-16 en mars prochain.  » Je me réjouis de rejoindre la maison Hermès, que j’admire et dont je partage pleinement les valeurs « , commente-t-elle sobrement.

KATIE HILLIER ET LUELLA BARTLEY, L’APRÈS-MARC BY MARC JACOBS

Qui sont-elles ? C’est la première fois que Marc Jacobs confie la création de sa seconde ligne, qui, de son propre aveu, tournait un peu en rond. Il engage donc deux excentriques Anglo-Saxonnes au curriculum vitae VIP, mais au quotidien discret : la créatrice d’accessoires et consultante Katie Hillier et sa meilleure amie, Luella Bartley, fondatrice de l’enseigne pop mais aujourd’hui en sommeil Luella. Leur dernière collection mêle des touches de girl gangs, de skate chic et de rétro. Un pont parfait entre une énergie contemporaine et l’ADN Marc by Marc.

Leurs atouts. Ces ex-party girls, reconverties en femmes aux carrières sérieuses et en mères de famille, incarnent une nouvelle forme de stabilité, loin d’une hype effrénée que connaissait la marque à ses débuts. A deux, leur grande force est de cerner les tendances les plus pointues et de les transformer en vêtements portables et abordables, teintés à la fois de sous-culture grunge et de sportswear grand confort : en somme, un vestiaire pour la vie.

L’UNDERGROUND ADAM ANDRASCIK, POUR GUY LAROCHE

Qui est-ce ? Ce cool kid, figure de l’underground britannique, détient un diplôme du Fashion Institute of Technology de New York, ainsi qu’un master du Central Saint Martins College of Art and Design, de Londres, obtenu sous la direction de Louise Wilson. Il monte la marque qui porte son nom en 2011, et partage le même ADN sexy mais réaliste que Guy Laroche, qu’il vient de rejoindre en tant que directeur artistique. On peut s’attendre à ce qu’il y injecte une touche rock et dark – précisément ce qui manquait à la griffe.

Ses atouts.  » Avec un jeune créateur, une maison installée gagne à la fois une vision fraîche, un désir d’expérimentation mais aussi une connaissance des pressions commerciales de la mode « , résume Adam Andrascik.

JULIEN DOSSENA, LE JEUNE PREMIER DE PACO RABANNE

Qui est-ce ? Ce diplômé de l’école bruxelloise de La Cambre mode(s) commence sa carrière en travaillant chez Balenciaga entre 2008 et 2012, sous la direction de Nicolas Ghesquière, rock star du secteur s’il en est. Il y découvre un style futuriste et une féminité warrior, et rejoint en 2013 la maison Paco Rabanne, qui peinait à trouver chaussure à son pied. Sa première collection – qui mêle matériaux nobles et sportifs – a été présentée l’an dernier avec succès.

Ses atouts. La personnalité de ce jeune Breton, silencieuse et romantique, fait mouche. Adolescent avant l’ère Instagram, il se forge une grande culture littéraire, pop et mode : il lit le magazine fashion Dazed & Confused, adore l’artiste Cindy Sherman ou encore les auteurs Philip K. Dick et J. G. Ballard, ce qui explique son amour de la féminité subversive et futuriste. Coureur de fond, il grimpe les échelons un à un en studio. Dans ses premières collections, il repense certains éléments iconiques de Paco Rabanne, qu’il réinjecte dans des silhouettes contemporaines : les robes sixties métalliques ou en vinyle façon Barbarella réapparaissent mélangées à des bombers masculins ou à des santiags.

et aussi LES ANONYMES DE VÊTEMENTS

Qui sont-ils ? Ce collectif est composé de sept diplômés de l’Académie d’Anvers, du Studio Berçot à Paris, et de l’Angewandte, à Vienne, tous passés par Maison Martin Margiela. Ses membres ne communiquent jamais individuellement et  » préfèrent laisser les vêtements s’exprimer « . Le premier défilé, la saison dernière, a pourtant beaucoup fait parler de lui, avec un casting sauvage et un style aux finitions artisanales mais à l’énergie ultracontemporaine (les références vont du mouvement musical underground gabber au grunge, au sportswear…)

Leurs atouts. Alors que leur maison d’origine, Maison Martin Margiela, connue pour son mystère, adopte la stratégie inverse en accueillant le très médiatisé et controversé John Galliano, leur approche marque un retour aux sources que les puristes sauront apprécier.

PAR ALICE PFEIFFER

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