Le créateur français Christophe Lemaire a relifté en quelques années la marque au crocodile. A l’occasion du défilé Lacoste automne-hiver 07-08, rencontre exclusive, à New York, avec un designer qui a des allures de rocker.Rencontrer Christophe Lemaire, c’est l’occasion de s’interroger sur la mode. C’est décoder les apparences. C’est, avec son dernier défilé en date pour Lacoste, se replonger avec bonheur dans la culture française, dans l’âge d’or du cinéma français, en faisant revivre la bande à Claude Sautet, la tribu Gainsbourg… Depuis qu’il a accédé à la direction artistique de Lacoste en 2000, Christophe Lemaire a repulsé la marque au crocodile qui s’était légèrement endormie, l’a rajeunie, l’a rendue plus pop et funky. Le polo, recolorisé, retaillé, a été starifié, les jupes ont été raccourcies et les robes, plus près du corps, sont devenues plus sexy… Bref, la révolution n’a pas eu lieu seulement sur les courts de tennis mais bel et bien sur le catwalk new-yorkais, où est présentée la marque de sportswear, créée par René Lacoste en 1933. Et dans la rue, où elle a rejoint désormais la garde- robe des fashion victims.

Le défilé automne-hiver 07-08 avait pour thème le week-end chic, évoquant des balades sur les plages de Bretagne en cirés et polos rayés, en salopettes en jean accessoirisées de bottes en PVC ou des soirées au coin du feu en Normandie vêtues de robes ponchos, de combi-shorts ou de twin-sets.

Le show terminé, Christophe Lemaire a reçu Weekend dans son splendide hôtel situé au c£ur de Tribeca à Manhattan, pour une conversation sur le style à la française. Littéraire de formation, DJ à ses heures, ce quadra dans l’air du temps, qui vient aussi de relancer sa propre marque, se méfie des diktats et des artifices de la mode, leur préférant l’âme et le charme que requiert le style. Une discussion qui, partie du polo et du crocodile, nous a amenés à réfléchir sur la valeur du symbole, des icônes, du patrimoine d’une marque de légende mais aussi du chic et de la simplicité. Rencontre avec un intellectuel de la mode, qui dans son slim noir a plus l’allure d’un rocker que d’un fashion designer.

Weekend Le Vif/L’Express : Votre collection automne-hiver 07-08 pour Lacoste s’inspire d’un week-end à la française…

Christophe Lemaire : En effet, elle se nourrit des images des films des années 1970 de Claude Sautet comme César et Rosalie par exemple, mais aussi ceux de Claude Chabrol, de Henri Verneuil, mêlés à des souvenirs personnels de moments passés en Normandie ou en Bretagne. Avec une première partie de défilé très nautique évoquant plus particulièrement la Bretagne et une deuxième partie plus countryside.

Quel âge a la femme Lacoste ? A quel type de cliente vous adressez-vous désormais ?

Lacoste est une marque très transversale. Depuis que je suis à la direction artistique, on a rajeuni les silhouettes. Mais dans ce défilé, nous présentions également des modèles pour toutes les femmes, comme ces grands imperméables ou ces grands plaids sur un pantalon large par exemple.

Comment définiriez-vous alors le nouveau style Lacoste qui semble être devenu plus pop, plus funky ?

Je n’ai rien inventé, je me suis contenté de reprendre la philosophie de Lacoste qui mêle le casual et l’élégance. C’est à la fois très naturel, très simple et très chic comme marque. En fait, il s’agit d’easywear,  » easywear with style « , comme on dirait en anglais.

Comment avez-vous intégré cet énorme patrimoine de Lacoste sans qu’il soit trop envahissant ?

Un patrimoine tel que celui-là n’est jamais envahissant. C’est une marque que j’aime, avec laquelle j’ai grandi, qui m’est parfaitement familière. Toutes ces archives sont au contraire très riches, très nourrissantes.

Qu’évoque pour vous le symbole du crocodile ?

C’est un logo complètement absurde. Si on faisait aujourd’hui une réunion marketing et que l’on proposait ce logo, les gens rigoleraient. Or la petite histoire du crocodile, vous la connaissez… ( NDLR :  » le crocodile  » était le surnom de René Lacoste). C’est devenu un logo culte, mondialement connu. Les enfants, notamment, adorent le crocodile. C’est un animal offensif mais qui ne mord pas. Il est sympathique. C’est une marque sympathique, Lacoste. Elle ne véhicule aucune agressivité mais au contraire une certaine évidence. C’est une marque de l’excellence mais qui ne se prend pas au sérieux, tout comme René Lacoste.

Ce logo, il vous arrive de l’agrandir en version XXL ou au contraire de le camoufler…

Ce logo, on n’a pas systématiquement envie de le voir. Sur certains modèles, il est camouflé, se fait plus discret. Je milite pour que, parfois, on l’enlève complètement. D’autres fois au contraire, on l’affiche en très grand sur des tee-shirts.

Le polo, qui est le produit phare de la marque, a également beaucoup évolué…

Cette saison, il est oversize, ou au contraire très cintré. On le décline aussi à rayures, ou dessiné en trompe-l’£il sur des tee-shirts. On l’a aussi proposé plus long, en version robe… A présent, nous travaillons sur la coupe rétro fit, c’est-à-dire qu’il est moins cintré et plus droit. Bref, il a encore une belle vie devant lui. C’est une pièce iconique comme le jean 501.

En parallèle, vous relancez votre propre marque Christophe Lemaire…

Oui, je viens d’ouvrir une boutique à Paris et, dans la foulée une autre à Tokyo. Je serai présent en showroom pendant la semaine de la mode de la femme, en octobre prochain, à Paris. J’avais mis ma marque entre parenthèses en 2003 mais à présent que les choses se sont mises en place chez Lacoste, c’est le bon timing.

Vous avez commencé par des études littéraires…

Oui, j’ai fait une année d’hypokhâgne avant de faire les Arts décoratifs. J’ai une sensibilité littéraire, j’en ai gardé cette approche de la mode comme faisant partie de la vie, et je conserve une saine distance. Je n’ai jamais été obsédé par la mode, ce qui m’intéresse, c’est plutôt le style.

Vous vous inspirez plutôt du milieu musical…

Je suis davantage inspiré par des musiciens, par des concerts, par ce que la musique génère comme style et par les films aussi. La mode est plus réelle lorsqu’elle est incarnée. Je dis toujours que je fais 50 % du boulot, ensuite ce sont les personnes qui portent le vêtement qui font le reste.

À propos, comment définiriez-vous le style ?

C’est difficile à définir, c’est comme si vous me demandiez ce qui fait le charme d’une personne ou son pouvoir de séduction. Cela a trait à l’âme, à la philosophie, à la grâce, à la façon de bouger, à l’instinct. Les podiums sont une espèce d’artifices, il y a bien entendu des créateurs extraordinaires qui font des choses incroyables. Mais le vrai style au bout du compte, c’est une chemise et un jean porté par quelqu’un qui a beaucoup de classe. C’est la contradiction à laquelle je suis confrontée en tant que styliste mais je l’assume parfaitement désormais. Les sixties ont changé la donne, la révolution du streetwear aussi… Désormais, on s’habille davantage comme on est. C’est pour cette raison que les diktats de la mode m’embarrassent. Le style, c’est une histoire de personnalité, une question d’attitude, de point de vue sur la vie et sur soi. J’essaie d’amener de la précision, du goût, de l’humour, de l’impertinence dans mon travail. Et de faire des vêtements justes.

Le défilé reste toutefois un beau tableau…

Pour aussi simples qu’ils puissent être, les vêtements racontent toutefois quelque chose. Ils ne sont pas simplement une panoplie, une carapace. Et la mode n’est pas qu’un business.

Quelles sont vos icônes ?

Romy Schneider, Samy Frey, Stéphane Audran, Isabelle Huppert, cette bande-là de l’âge d’or du cinéma français. Gainsbourg qui était aussi présent cette fois dans la bande-son du défilé. Je n’ai pas l’habitude de pratiquer le chauvinisme mais en l’occurrence, j’avais envie pour cette collection de montrer une autre vision du style français, du sportswear à la française, ce qui n’est pas l’image que l’on associe immédiatement au style français.

Propos recueillis par Agnès Trémoulet

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