Le designer suisse Hannes Wettstein veut trouver le juste point d’équilibre entre la forme et la fonction de ses créations. Elégants et essentiels ses objets sont désormais édités par les plus grandes marques de mobilier contemporain.

La chaise-longue  » Thor « , la chaise  » Hola  » et le fauteuil  » Spin  » chez Cassina. Le lit  » Dodicesima Notte-Q  » et le système de meubles de chambre à coucher  » 3030  » chez Molteni… L’année 2003 est un excellent millésime pour le designer Hannes Wettstein. Une reconnaissance internationale bien méritée pour ce créateur né en Suisse, près d’Ascona, en 1958 et qui a suivi une formation de dessinateur en construction avant d’entamer une carrière dans le montage d’expositions. Au début des années 1980, cet autodidacte s’est installé comme designer indépendant. Hannes Wettstein a connu son premier gros succès avec le système d’éclairage révolutionnaire  » Metro « , le premier système de faible voltage monté sur des fils de contact. Depuis, il a dessiné des vélos, des montres, des meubles, des tapis pour d’autres grandes marques de design telles que Baleri Italia, Belux, Ventura et Wittmann. Tout cela en trouvant le temps d’aménager l’hôtel Grand Hyatt de Berlin et d’ouvrir Zed sa propre agence de création spécialisée dans l’élaboration de projets en matière d’aménagement d’espace, de mobilier et d’objets divers. Rencontre avec un homme dont la vie ressemble à une formidable course contre la montre.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment définissez-vous votre approche design ?

Hannes Wettstein : A mes yeux le design est une interaction entre la forme et la fonction dans le cadre d’un contexte socioculturel bien précis. Je ne travaille jamais directement sur la forme. Je me préoccupe d’environnement et de contexte architectural. Il faut opérer une distinction bien claire entre le simple styling ( NDLR : exercice de style) et le design. En design, il y a toujours plusieurs voies de réflexion.

Dans le monde du design, on a déjà inventé une quantité incroyable d’objets. Quelle est votre formule magique pour créer des objets séduisants ?

La caractéristique première de mon travail ne se situe pas dans l’élégance formelle mais plutôt dans la dimension conceptuelle. Je travaille dans le cadre de situations très différentes. Chez BrionVega ( NDLR : célèbre fabricant de télévisions et radios aux formes très design), par exemple, j’officie en tant qu’art director. Dans cette optique, je ne suis pas chargé de créer des objets bien précis mais plutôt de développer la culture et l’image de la marque pour améliorer la communication autour des produits. Je ne me charge pas d’assurer la communication, ce n’est pas mon rôle, mais bien de nourrir la culture design. Pour Zeiss, par exemple, j’ai créé un langage d’identification pour les appareils photo de la marque. En revanche, en matière de mobilier, on peut soit créer des meubles passe-partout qui plaisent à un maximum de gens, soit créer des objets qui expriment un véritable  » statement « . C’est selon l’envie du créateur et de l’éditeur.

Quand on vous demande de dessiner un meuble, n’avez-vous jamais l’angoisse de la page blanche ?

Ces deux dernières années, on m’a principalement demandé de créer des meubles discrets. J’ai, par exemple, créé des intérieurs et des meubles pour des collectionneurs qui voulaient mettre leurs £uvres d’art en valeur. J’ai donc utilisé des éléments architecturaux d’une grande discrétion. Cette année, pour le Salon du meuble de Milan, j’ai dessiné des objets dans le même esprit. Essentiels, bien pensés mais également très sobres. Ainsi, pour Molteni, j’ai pensé des meubles raffinés et excessivement bien conçus du point de vue technologique, c’est d’ailleurs la philosophie de la marque. En revanche, l’année prochaine, je pense que je vais créer des objets plus originaux, plus percutants.

Il y a deux ans, vous avez créé la chaise Alfa pour Molteni. Un complément d’ameublement au look résolument original. Pouvez-vous expliquer la genèse de ce projet ?

La chaise consiste en l’assemblage de deux pièces : dossier et assise, avec leur piétement respectif. Au début, je souhaitais que cet objet soit réalisé en aluminium moulé. Mais comme les coûts de production auraient été faramineux, nous avons dû trouver d’autres matériaux. Pour assurer la solidité et la rigidité de l’ensemble, nous avons essayé d’appliquer d’autres technologies issues, entre autres, du secteur automobile. Finalement, nous avons utilisé du SMC, une variété de résine polyester renforcée avec de la fibre de verre, sur lequel on applique ensuite trois couches de peinture, deux mates et une brillante. Ce projet a mûri pendant sept ans avant de voir le jour et d’être édité. En design, il y a deux méthodes de travail. Soit vous avez un design bien précis en tête et vous recherchez la technologie appropriée, soit vous disposez de la technologie et vous pensez le design en fonction de ses desiderata.

Quel est l’objet que vous avez créé dont vous êtes le plus fier ?

En général, c’est le dernier-né. On est encore très impliqué dans sa vie. Je viens de présenter un projet de montres qui implique une technologie digitale très innovante avec des nouvelles interfaces. C’est grisant.

Quand pouvez-vous déterminer qu’un projet est arrivé à maturité ?

Le design est un travail d’équipe. Je ne maîtrise pas toutes les facettes d’un projet. Je travaille en compagnie d’ingénieurs, de dessinateurs, de techniciens… Le design est une affaire de compromis. Il faut un équilibre raisonnable entre la forme, la fonction et la technique. Il y a un moment où il faut savoir prendre la décision d’arrêter les recherches. On peut toujours faire plus beau, plus technique, plus fonctionnel…

Quels sont les matériaux qui vous inspirent le plus ?

Je n’ai pas de matériau favori a proprement parler. Chaque matériau est intéressant en soi. Il faut simplement trouver de nouvelles façons de l’exploiter pour prendre son pied. C’est comme un piano. En frappant différemment les touches d’un même clavier, on produit une infinité de mélodies.

Quel secteur du design souhaiteriez-vous encore exploiter ?

Le thème de la mobilité m’intéresse beaucoup. Je ne pense pas forcément à la voiture mais, par exemple, aux nouvelles technologies que l’on pourrait mettre en £uvre pour améliorer le confort et l’efficacité des bicyclettes. L’art de la table m’inspire aussi. Plus au niveau de la fonctionnalité que de l’esthétique.

Quel est votre rêve le plus cher en termes de design ?

J’aime énormément les bateaux. Ce serait vraiment chouette de plancher sur ce sujet. Mais en général mes rêves ont plus trait à la qualité de vie qu’au design pur. Actuellement, le design occupe parfois une importance démesurée, surtout dans son aspect décoratif.

Chaque année, à Milan, les designers du monde entier présentent leurs nouveautés. Cette surabondance de créations ne risque-t-elle pas de tuer le design ?

C’est un vrai problème. Le consommateur final fait son choix et grappille des créations à gauche et à droite pour se créer son propre univers. Il est en fait très indépendant. Par contre, la situation est beaucoup plus compliquée pour les fabricants qui doivent composer un catalogue qui propose une unité, un style, une gamme cohérente. C’est également très difficile d’exposer toutes les nouveautés de l’année dans les showrooms, en parallèle avec les collections précédentes. Cassina, par exemple, a fait un excellent travail de  » branding « , en développant intelligemment son image et sa culture. Il est primordial de se créer une identité bien spécifique. Je suis intimement persuadé que le marché du meuble et du design va changer radicalement.

Comment voyez-vous le futur ?

Je pense que l’on va créer différentes typologies de mobilier. On va dépasser les typologies classiques telles que celles de la table, de la chaise ou du canapé dans le living, par exemple. On va créer de nouvelles manières de vivre dans les pièces et les meubles s’y adapteront. Les chambres à coucher, par exemple, ont déjà beaucoup évolué ces dix dernières années. Actuellement, ce sont des pièces à vivre à part entière. On ne se contente plus simplement d’y dormir. Il en va de même pour la cuisine qui, jusqu’il y a peu, était un local technique. Maintenant, la cuisine est aussi un lieu de vie. C’est dépassé de dessiner pour la cinq millième fois une chaise classique. Il faut lui insuffler une dimension supplémentaire.

Pensez-vous qu’actuellement nous vivons dans une période particulièrement créative ?

Quand on observe ce qui se crée aujourd’hui, on a l’impression que les designers sont forts inspirés par les créations de leurs prédécesseurs. Cette année, par exemple, le design scandinave semble être très prisé. Le meuble devient un produit de mode, comme un vêtement. On adapte des références anciennes dans un contexte différent.

Pensez-vous qu’il est possible de faire des objets design à prix démocratique ?

Ces dernières années, beaucoup d’entreprises ont changé de politique de prix. Quand on évoque les objets design à petits prix, on pense immédiatement à Ikea. Mais il n’y a pas qu’eux qui réalisent cette prouesse. Il y a Kartell, aussi, qui propose des objets très sympas à prix très démocratiques. Je ne pense pas que design rime forcément avec prix élevés. En fait, il y a deux extrêmes : des prix très élevés et des prix très bas… Et presque rien au milieu.

Quels sont vos projets ?

J’ai des contacts avec de nombreuses entreprises qui souhaitent construire leur identité. Je m’intéresse également à des concepts de  » shopping  » inédits. L’année prochaine, je m’investirai beaucoup dans le développement de nouveaux systèmes d’éclairage. Je m’occuperai plus de la qualité de la lumière créée que du look des lampes.

Propos recueillis par Serge Lvoff

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