Une déception, trois bons moments et un instant délicieux.

D’un côté, il y a notre planète, décimée par une horrible pandémie. De l’autre, la cité des morts, où ces derniers transitent tant que quelqu’un sur Terre se souvient de leur existence. Laura Byrd, en mission au pôle Nord, comprendra-t-elle la responsabilité qu’ont ses souvenirs sur le sort de l’humanité ? Séduisante au départ, la fausse bonne idée de Kevin Brockmeier s’embourbe entre philosophie de comptoir et essai de littérature fantastique signé par un élève boutonneux. Comme quoi, le buzz ne fait pas tout : la revue américaine Granta a beau pointer l’auteur parmi  » les 21 meilleurs jeunes romanciers américains « , sa  » brève histoire des morts  » est encore beaucoup trop longue pour être digeste. Détail d’importance : le premier chapitre du roman – le meilleur – est paru il y a quelques années dans le New Yorker. Là se situe sans doute l’erreur principale : de la nouvelle au roman, il y a un pas. Un long.

Une brève histoire des morts, par Kevin Brockmeier, éditions du Panama, 301 pages.

François Darré est né à Tarbes. C’est sans doute sa seule vérité. Récit picaresque d’un mythomane malicieux, Je m’appelle François, le dernier roman de Charles Dantzig nous emmène du Paris des années 1980 (vive les épaulettes !) à Los Angeles et Dubaï. Servi par une plume audacieuse comme un gros bobard, cette tendre ode aux imposteurs de tout poil ne manque pas non plus de férocité sur nos petites félonies quotidiennes, nos lâches échappatoires, et l’absurdité de nos glorioles ; ces réflexes de fuites, qui se révèlent finalement aussi tragicomiques que l’issue du roman. L’auteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française est pour le coup très généreux. On lui dit merci. Pour de vrai.

Je m’appelle François, par Charles Dantzig, Grasset, 316 pages.

La Perte en héritage de l’auteur indienne Kiran Desai a ravi autant de prix (dont le Man Booker Prize) qu’elle nous a ravi. Avec le même regard tendre et tragique que la réalisatrice Mira Nair, Kiran Desai situe son action dans les montagnes du Darjeeling où Sai, jeune orpheline, vit ses premiers fantasmes à travers les pages du National Geographic et les yeux de Gyan, son précepteur. Autour d’elle, une galerie de personnages bien campés – son grand-père, ancien juge aigri par l’Occident autant que par ses compatriotes, le cuisinier servile, dont le fils, Biju, est parti chercher une vie meilleure dans les soutes du mirage new-yorkais, ou encore Lola et sa s£ur Noni, vivant encore sous le joug culturel de l’Angleterre – incarnent cette fresque plus édifiante que n’importe lequel des nombreux dossiers spéciaux et autres documentaires consacrés à l’évolution de ce sous-continent maudissant l’Occident comme il le désire : de tout c£ur.

La Perte en héritage, par Kiran Desai, Editions des Deux Terres, 615 pages.

Bleue Van Meer a 16 ans. Orpheline de sa mère. Son père, professeur gauche caviar, la trimbale d’une université à l’autre au volant de sa Volvo, que tous deux transforment, au fil de leurs pérégrinations, en salon de joutes verbales dignes des Lumières. Pour son année de préparation à Harvard, le couple se pose dans une petite de ville de province, où Bleue va découvrir les affres de la grégarisation de la jeunesse US et tomber sous le charme étrange de Hannah Schneider son professeur de cinéma,. Jusqu’au jour où cette dernière est retrouvée pendue… Notre main à couper : ce livre va cartonner. Ecrit avec une intelligence qui frise l’indécence, un sens de la description chiadé, toujours juste, plein d’humour, ce récit brillant allie la densité des idées, la multiplication des genres (road movie, roman noir, comédie de m£urs…) et le plaisir des mots sur plus de 600 pages gorgées de saveurs rares. Agée d’à peine 27 ans au moment d’écrire ce premier roman, Marisha Pessl est promise à une grande carrière.

La Physique des catastrophes, par Marisha Pessl, Gallimard, 624 pages.

Dès la première phrase, le ton est donné :  » Toute la nuit, la pluie tomba sur Arlington Park « . Une pluie amère. A l’image de Juliet, Amanda, Maisie ou Solly, ces femmes trentenaires, mal assises dans leur vie apparemment sans plis. Dans un décor de banlieue anglaise, si banal qu’un canal s’est pendu, Rachel Cusk nous introduit dans le for intérieur de ces  » Desperate Housewives  » british, déçues du mariage, lasses de leurs mômes et dont l’ambition fane au fil des jours. Servie par une plume incisive trempée dans la politesse du désespoir, cette satire de la bourgeoisie moderne fait d’abord rire. Quand elle décante, c’est une autre histoire : ces ranc£urs silencieuses, ce climat étouffant, ces sas sans issue, tout cela n’a finalement rien de drôle. Troublant.

Arlington Park, par Rachel Cusk, éditions de l’Olivier, 291 pages.

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