Apparu sur les bases américaines au Japon, ce trophée de soie orné de motifs chatoyants est le must du dandysme cette saison. Retour sur la  » souvenir jacket « , une icône au coeur tendre.

A l’instar de ces peignoirs pour boxeurs à motif de serpent ou de fauve, la  » souvenir jacket  » se recommande aux durs ultrasensibles, James Dean souffrants et autres racailles au grand coeur. Ses tigres et ses dragons sont des talismans de force qui font circuler l’énergie sur les parties vitales – le dos, la poitrine. Brodés sur une matière vivante – la soie -, ces tatouages indolores laissent le corps intact. La mode aurait pu s’intéresser plus tôt à ce blouson poids plume où s’affrontent deux paroxysmes, le pic de testostérone et l’infinie douceur. Il est en tout cas, cet été, chez presque tous les créateurs. Chez Gucci, la souvenir jacket garnie de pivoines argent se confronte aux chemises transparentes et aux costumes-pyjamas. Elle se décline par ailleurs à l’envi chez Louis Vuitton, siglée de panthères, d’oiseaux de paradis ou de singes perchés dans les bambous… Mais si la planète entière se met à la porter, est-elle encore un vêtement branché ? C’est la question qui taraude les collectionneurs de cet accessoire mythique, prêts à dépenser des fortunes pour acquérir, sur eBay, des pièces d’époque.

Ces vêtements sont apparus dans l’après-guerre, dans les troupes américaines d’occupation stationnées au Japon. Avec des excédents de toile de parachute, les soldats s’étaient fait confectionner des blousons légers – sur le modèle du Teddy, Varsity ou Stadium Jacket, qui avait habillé leurs études à l’université – par des tailleurs locaux. Afin d’y apposer leurs divers insignes – calicots de régiment… – ou tout autre dessin de leur goût, souvent inspiré par le conflit – cartes de batailles, aigles vengeurs, Marilyn dévêtue chevauchant une bombe A, ou encore cette inscription :  » Quand je mourrai, j’irai au ciel, vu que j’ai fait mon temps en enfer « , cris de très jeunes hommes, arrachés à leurs foyers et qui virent mourir tant de leurs camarades… D’autres motifs chantent le repos du guerrier – scènes de geishas au bain – et les  » bizarreries  » de la culture asiatique – branche de cerisier en fleurs.

NIPPON MANIA

Ces trophées auraient dû humilier les Japonais. Mais l’empire du Soleil levant s’enticha de ses conquérants. La souvenir jacket intégra la culture nationale sous le nom de sukajan, abréviation de Sky Dragon Jumper ou, plus vraisemblablement, de Yokosuka Jumper, du nom de la base proche de Tokyo où les troupes américaines étaient installées. Son allure sportive et flashy, sa connotation militaire et ses dessins inspirés de tatouages – phénix, carpes de longévité, dragons bondissants – en firent le vêtement préféré des yakuzas et des délinquants de tout poil. Equivalent local du blouson noir des durs à cuire, le sukajan allait, comme lui, être adopté par les branchés des générations suivantes. Terriblement chronophages, les broderies à la main se contentaient, à l’époque, de dessins souvent linéaires, mais les broderies mécaniques permirent des compositions élaborées (squelette ou démon grimaçant, vue du mont Fuji ou Grande Vague d’Hokusai), d’autant plus riches en effets de texture que le sukajan se voulait réversible. Vendu comme souvenir dans le Tokyo touristique (au marché Ameyoko à Ueno), il a aussi intégré les tenues de la jeunesse urbaine, les filles le portant avec chemise hipster et jupe d’écolière. Fièrement arboré par des chanteurs, présentateurs télé ou créateurs de jeux vidéo, il s’est remis à bomber le torse, pour le plus grand profit de ses marques historiques (Okuma Shoukai en vend par correspondance à moins de 100 euros). En Occident, on le préfère dépouillé, à la rigueur orné d’un scorpion dans le dos, comme celui que portait Ryan Gosling en 2011 dans le film Drive. Alors que le sukajan d’Issey Miyake, sorti en 2015, est un vrai tableau vivant, aux délicatesses complexes.

NO GENDER

Portée en Amérique par nombre de stars, la souvenir jacket est l’incontournable de l’été, tant pour la femme (Chloé, Isabel Marant) que pour l’homme, sa double nature l’érigeant en Graal de la mode mixte : il n’est pas si courant qu’un vêtement masculin mobilise les matières (soie) et les techniques (broderies) de la couture. Chic et dépouillée chez Dior Homme et Pringle of Scotland, réversible et imprimée d’un portrait de Marilyn chez Dries Van Noten, en twill brodé main de motifs Hawaii chez un Valentino très multiculturel, la souvenir jacket a trouvé chez Saint Laurent sa version la plus aboutie. Avec un modèle noir en viscose, brodé d’un patchwork d’insignes qui crée des effets de relief. Ou ce sukajan en jacquard illustrant les premiers pas de l’homme sur la Lune, évocation lointaine des robes-tableaux d’Yves Saint Laurent. D’autres pièces en georgette de soie s’ornent d’imprimés palmiers et de broderies faites main. Voyants et sexy, les blousons dorés ont donc ringardisé – le temps d’une saison – les blousons noirs et leur esprit loser.

PAR JACQUES BRUNEL

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