Acheter, louer, rêver d’acheter, en avoir marre de louer… A 25 ans comme à 60, on doit se loger. Mais débusquer son bonheur, quand on débarque à peine dans la vie active, est devenu l’exception. Alors on fait comme on peut…

Jay, 25 ans, a tapé fort :  » Je me suis débrouillé comme un chef au niveau immobilier « . Historique (bref) : à 18 ans, il entame des études à l’UCL… Et achète son premier studio. Papa met une maison en garantie. Mais c’est Jay qui rembourse le prêt, en bossant dur dans l’horeca. Il revend le studio et s’offre, en 2000, un appartement planté à un pas de la place de Brouckère, au centre de la capitale. Montant : 90 000 euros, autant dire une croûte de pain pour ses 90 m2, deux chambres et un garage. Bingo !  » Si je le revends aujourd’hui, je peux en tirer 200 000 euros. Au moins.  » Entre-temps, Fay s’est offert une année en Australie, en prenant bien soin de louer son bien pour 600 très raisonnables euros mensuels. Le prêt s’autorembourse. Et s’autoremboursera sur les 15 années à venir.

Fin de l’histoire ? Non. Jay a encore étoffé son patrimoine immobilier depuis. Une petite astuce à l’appui. Son frère, copropriétaire de l’appartement, rachète la totalité. Objectif ? Entrer dans les conditions pour bénéficier d’un prêt (avantageux) du Fonds du logement. Ça marche. Nouvelles ambitions :  » J’ai trouvé un loft de 88 m2 avec garage que j’ai acquis, hors frais, 111 000 euros. Autant dire pas grand-chose. Mais je l’ai acheté à Molenbeek, commune moins recherchée actuellement. C’est prémédité. Je suis sûr qu’avec les projets de développement du canal, de la gare RER, les loyers augmenteront en flèche dans les années à venir. Et ensuite, j’achèterai autre chose, en couple cette fois-ci. En louant mon loft au prix fort. « 

La croix et la bannière

Grand écart. A l’autre bout de la lorgnette immobilière, il y a Marie, ses 22 étés, ses galères, frustrations et petites misères. Quand, voici quelques mois, la cohabitation avec sa maman se révèle trop bancale, elle quitte le nid. Pour s’envoler vers plus d’autonomie. Et se fracasser contre les murs de l’intolérance. Marie combine trois handicaps : jeune, métisse et émargeant au CPAS.  » Me trouver un appartement ? La croix et la bannière ! La majorité des bailleurs ne s’en cachaient pas : je disais que j’étais prise en charge par le CPAS durant mes études, et ils raccrochaient. Sans compter le nombre de fois où l’on m’a demandé mes origines ethniques, alors que mon nom n’a rien d’africain. « 

Mais Marie l’a trouvé, finalement, son appartement : un cagibi de 25 m2 qu’elle paie cher,  » trop cher « . Pour s’en sortir ? Une combine. Travailler au noir. Sans cela : 650 euros du CPAS moins 430 de loyer = 220 euros mensuels pour vivre. Quant à acheter…  » J’aimerais bien. Mais sans garant derrière… On verra quand j’aurai mon salaire d’ingénieur. « 

Aujourd’hui, les jeunes cherchent à s’acheter un toit plus tôt. Et à le revendre bien plus tôt que leurs parents. Même le président du Syndicat des locataires, le volubile José Garcia, qualifie la location d' » aberration économique « . Et au fil de nos témoignages : le  » à quoi bon enrichir un propriétaire ?  » revient comme un leitmotiv.

Prenez Kamel et Sandra, 27 et 28 ans. Ils vivent dans un grand appartement et viennent d’accueillir un bébé. Sont tous les deux, momentanément, sans emploi. Lui parce qu’il a été licencié, elle parce qu’elle s’occupe du petit bout.  » On paie, charges comprises, 730 euros par mois de location. Quand on bosse tout les deux, c’est jouable. Mais dès qu’il y a le moindre souci, c’est la galère. Près de 50 % de nos revenus passent actuellement dans les frais de logement.  » Pour s’en sortir, c’est la combine aussi : Kamel graisse les fins de mois en tapant du ballon… Le foot lui rapporte, dans les bons mois, jusqu’à 1 000 euros supplémentaires. Au noir. Elle :  » On aimerait acheter, mais sans stabilité financière…  » Lui :  » Il faut de l’argent, un capital de départ. »

Crédit plus souple avec 2 500 euros au compteur mensuel

Pour tirer l’affaire au clair, un petit coup de fil à Piet Van Baeveghem, secrétaire général de l’Union professionnelle du crédit (UPC), s’impose. La réponse : non, il ne faut pas forcément un capital de départ pour les jeunes qui souhaitent investir. Des prêts à 100 % existent dans certaines institutions de crédit.  » L’élément le plus important, souligne le spécialiste, c’est que vous puissiez rembourser la mensualité. Il existe une règle non écrite qui impose que le remboursement du prêt doit être inférieur à 30 % des revenus. Mais on sera plus souple avec un jeune couple qui gagne 2 500 euros par mois qu’avec le copain qui en gagne 1 500. « 

30 %, pour Antoine et son épouse, cela reste un chiffre un brin théorique. Si le remboursement de leur prêt ponctionne mensuellement leur compte de quelque 1 000 euros (sur 3 400 euros de revenus combinés), c’est plus de 1 800 euros qu’ils consacrent, en réalité, à leur logement. Entre le chauffage, le précompte immobilier, le prêt supplémentaire contracté auprès du père de la mariée, les époux sortent de deux années plutôt difficiles. Malgré deux salaires.

 » Il faut que le couple soit solide pendant les moments où un cinéma, un restaurant ou même un petit bouquet de fleurs grève le budget conjugal. Il faut bien deux ans pour se sortir de cette situation difficile. Mais acheter un bien immobilier à 24 ans, comme je l’ai fait, est une grande fierté pour moi. Passer pour la première fois la porte de sa maison en se disant : ici, c’est chez moi, est inestimable. « 

Les atouts de la ville

A Bruxelles, contrairement au reste du pays, plus de 50 % des habitants sont locataires. Les prix du bâti et du foncier crèvent, chaque année, des plafonds qu’on croyait inaccessibles. Dans ce contexte, s’offrir un bien dans la capitale relève souvent de la gageure. Surtout quand on démarre dans la vie professionnelle.

 » Le plus important, c’est de faire le premier pas et d’entrer dans le marché immobilier, martèle le notaire Bleeckx. Ce ne sera pas forcément l’achat rêvé. Mais, dans dix ans, on peut acquérir quelque chose d’autre. Si j’étais jeune, je m’achèterais un appartement deux chambres dans un quartier alternatif.  » C’est quoi, un quartier alternatif ?  » C’est là où personne ne veut aller. Pour l’instant… « 

Quant à quitter les centres urbains pour les villages ruraux ?  » Les déplacements incessants posent le problème de la qualité de vie, pointe le notaire. Et du coût de l’énergie. Conclusion : je resterais en ville. Les surfaces habitables vont diminuer, c’est inéluctable. A Paris, une famille avec deux enfants se satisfait amplement d’un appartement de 80 m2. Sans parler de Londres, Dublin ou Madrid. « 

Ou Neuchâtel. Quand on lui demande combien d’habitants compte sa ville d’origine, Alexandra, 23 ans, passe son tour. Mais si on lui parle prix de l’immobilier, elle réagit dans la seconde :  » J’ai trouvé ici, près de la Grand-Place de Bruxelles, un appartement en colocation. Je paie 350 euros par mois. En Suisse, j’aurais dû compter le double « . Précision : Neuchâtel accueille plus ou moins 35 000 âmes. Paris, 300 fois plus.

Claire est originaire de la Ville lumière. Etablie en Belgique depuis six ans, elle vient de s’offrir un premier appartement. Cash. Elle a 24 ans. Acheter, finalement, c’est plutôt simple quand papa et maman ont été prévoyants, que la tirelire des premières années a laissé place à un gigantesque cochon entrelardé d’euros. C’est aussi simple que quelques visites sur le Web :  » J’ai loué pendant pas mal de temps, mais j’en avais marre de mettre de l’argent dans un loyer. Quand j’ai vu cet appartement sur Internet, j’ai sauté sur l’occasion. En tout, j’ai payé 201 000 euros.  » Dont 10 000 au noir. Toujours la combine. Comme (presque) tout le monde. Entrer dans le train de l’immobilier, pour les jeunes, ça se fait parfois sans ticket.

Manuel Sanza

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